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[verso-hebdo]
22-03-2018
La chronique
de Gérard-Georges Lemaire
Chronique d'un bibliomane solitaire

Les Maîtres d'autrefois, Eugène Fromentin, introduction de Patrick Tudoret, «  Les mondes de l'art », Klincksieck, 352 p., 19 euro.

Fromentin, Patrick Tudoret, 296 p., 19 euro.


Eugène Fromentin (1820-1876) n'est pas un inconnu à nos yeux. Mais il ne fait pas partie des artistes considérés avec admiration et reste l'auteur d'un seul roman, Dominique, publié en 1863, toujours réédité, mais qui fait oublier tout le reste, en particulier ses merveilleux récits de voyage. Il n'existait en librairie, jusqu'à une date récente, qu'une grosse monographie. Et je me souviens avoir vu ses tableaux surgir par miracle aux murs d'une salle du Louvre. Mais il n'ya pas eu pour autant une rétrospective. Il s'était spécialisé dans la peinture orientaliste, et ses tableaux avaient été pour lui un moyen de relater ses périples en Afrique du Nord et en Egypte dans ce langage poétique qui n'appartient qu'a lui, et qui le différencie beaucoup des autres artistes qui traitent alors ce thème. La biographie écrite par Patrick Tudoret est remarquable, parce qu'elle est bien faite, mais aussi écrite d'une manière plaisante (mais pas désinvolte et approximative). Au fond, on ne sait que peu de choses delà vie de ce peinte doublé d'un homme de lettres. On apprend qu'il est né à La Rochelle, dans une famille aisée et que son père était médecin, spécialisé dans les aliénés. Il révèle assez tôt des dons pour le dessin, mais son père l'envoie à Paris pour faire des études sérieuses. Le jeune homme passe plus de temps au musée du Louvre que sur les bancs de la faculté. Sa vocation n'a pas été purement picturale, même s'il commence à étudier l'art avec sérieux, devenant l'élève de Louis Cabat. Il lui a fallu une raison majeure pour trouver sa voie, et cela a été » le voyage en Algérie : son fidèle ami Charles Labbé devant se marier à Blida, ce fut pour lui l'occasion rêvée de traverser la Méditerranée. Il renouvellera ce périple plusieurs fois dans son existence et, au Salon, il a présenté ses tableaux orientalistes dès 1845. Il se fait remarqué et, les années suivantes Théophile Gautier et Sainte-Beuve, l'ont remarqué et estimé. Sa vision de l'Orient est sans doute très poétique, mais pas anecdotique : il privilégie les scènes de chasse, surtout la chasse à l'épervier, qui est un art. Il se distingue donc de tous ses contemporains dans ce domaine, même de Decamps, l'un des plus brillants dans genre. Il se distingue aussi par sa manière de peindre, avec ces dominantes grises qui était pour lui la couleur de l'Afrique du Nord. Et puis il y a chez lui un paradoxe : il suit les traces de Delacroix, mais tient un réalisme précis du traitement de ses sujets -, ce qui fait son originalité. Il publie son premier récit de voyage en 1857, Un été au Sahara (il apparu trois ans plus tôt dans La Revue des Deux Mondes) Une année dans le Sahel suit un an plus tard. Il publie Dominique en 1863, son unique roman, qui est accueilli avec chaleur. Et il meurt en 1876. Patrick Tudoret a su à merveille restituer ce personnage, nous faire comprendre sa démarche sans nous encombrer des détails chronologiques et anecdotiques exténuants dans ce type d'ouvrage. C'est un beau travail, mené avec talent, qui rend juste à ce grand créateur. La réédition des Maîtres d'autrefois, qui ont paru l'année de sa mort, est une belle chose. Pour moi, ce fut l'un des livres qui m'ont enchanté et m'ont poussé à persister dans l'étude de l'histoire de l'art. Il avait fait un voyage en Belgique et aux Pays-Bas l'année précédente, du 5 au 30 juillet. On est surpris par la connaissance profonde de la peinture Nord et la sagacité de ses jugements après un aussi bref séjour. Sans doute avait-il été inspiré par les études de Charles Blanc et de Thoré-Bürger. Il présente son livre comme un journal de voyage et non comme un traité savant, par modestie sans doute. Mais son livre apporte alors une vision originale sur les heures et les jours ces immenses peintres du XVIIe siècle, en parlant longuement des grandes gloires, tels Rubens, Rembrandt, Hals, Van Dyck, Ruysdael, mais aussi d'artistes considérés comme de petits maîtres comme de Hooch ou Gerrit Dou. Il fait découvrir des peintres alors inconnus. Il évoque aussi la figure de Vermeer, qui n'était pas encore sorti des limbes (entre autre, pur des questions d'attribution). Il s'attache aussi aux maîtres du XVe siècle, comme Van Eyck ou Memling, qu'on qualifiait encore de « primitifs flamands ». Emule d'Hyppolite Taine, il prend en considération le contexte culturel, historique et même climatique de ces régions. Mais plus que tout, c'est l'intelligence et la sensibilité dont il parle des oeuvres qui fascine encore aujourd'hui. Il est concis, mais est capable en peu de phrases de dire ce qui importe chez tel ou tel créateur. Il sait capter l'idée force qui guide l'un d'eux, par exemple Rubens. Et il faut enfin louer son écriture, toujours mesurée, mais toujours ciselée avec art et sans la moindre fioriture. Ce livre a conservé tout son charme et aussi toute sa valeur, même si nos historiens de l'art ont depuis révisé beaucoup de chose dans le savoir que l'ont a des artistes flamands et hollandais.




Tintoret, naissance d'un génie, sous la direction de Christian Krischel, Réunion des Musées Nationaux - Grand Palais / musée du Luxembourg, 224 p., 40 euro.

Tintoret, Guillaume Cassegrain, « Découvertes », Gallimard, 64 p., 9,20 euro.


Le musée du Luxembourg n'étant pas un édifice gigantesque, il ne peut abriter une grande rétrospective. En ce qui concerne Le Tintoret (Jacopo Robusti (vers 1518-1594), les commissaires ont choisi de nous illustrer ses jeunes années. L'exposition est belle car nous permet de comprendre comment s'est développer le style si spécial de ce peintre, qui a marqué une véritable rupture en son temps. On y découvre déjà le caractère fougueux de son coup de pinceau, mais aussi la volonté d'imprimer un mouvement plus important dans la composition ce qu'on a pu voir chez ses prédécesseurs, même chez Michel-Ange. Il y a d'ailleurs plusieurs solutions adoptées dans la construction des tableaux : mais dans certains, on retrouve un peu l'esprit du Titien et de Véronèse et un ordre encore dérivé de la Haute Renaissance vénitienne; dans d'autres, on décèle déjà ce qui va être son esprit et son esthétique, comme dans Le Miracle de saint Marc. On voit qu'il a déjà une maîtrise du portrait, avec tous ces grands personnages d'alors peint en noir et j'ai découvert qu'il faisait déjà des portraits quasiment grandeur nature comme celui de Doria (presque un siècle plus tard, Rubens inventera le portrait plus grand que nature à Gênes). Le plus intéressant de tout est sans doute la découverte du fait que l'artiste a travaillé avec un peintre bergamasque, Giovanni Galizzi (dont on sait hélas peu de choses, et surtout de quelle façon il travaillait avec le jeune Tintoret), dans le grand atelier de Bonifacio de' Pitati. Ils se seraient associés autour de 1544, affirme l'historien de l'art américain Robert Echols. Nous savons que comme tous les créateurs de son temps, Tintoret avait un atelier et qu'il y avait son fils et surtout sa fille illégitime Marisa, qu'il lui préférait de loin et qu'on a surnommé La Tintoretta. Il a pu mener à bien la réalisation du Paradis dans la salle du conseil du palais des doges à Venise en trois jours, croit-on savoir : c'est grâce à une technique rapide de déposer la couleur, mais aussi la présence d'une escouade nombreuse pour l'assister. Quoi qu'il en soit, il est clair qu'il hésite encore entre plusieurs manières et même plusieurs conceptions de la peinture. Mais il a déjà élaboré des subterfuges efficaces, comme les architectures qui sont des esquisses élaborées, presque toujours blanches. Il a une sorte de génie de l'espace, qui reste en partie conventionnel au début, mais va bientôt lui permettre toutes audaces. Le catalogue est une vraie mine pour avoir accès toutes ces connaissances nouvelles sur les débuts de ce maître. Il fait découvrir un Tintoret plus complexe, mais aussi plus inventif. Il met fin à la Renaissance et lui donne un prolongement déroutant avec son écriture plastique si emportée et si rapide, et ses compositions où la gestualité et des équilibres sophistiqués et quasiment impensables sont créés dans une sorte de tumulte d'orage. A ne perdre aucun prix. Et pour qui veut s'initier l'art de Tintoret, il faut absolument se procurer le livre de Cassegrain paru dans la collection « Découvertes »  chez Gallimard.




Mary Cassatt, Isabelle Enaud-Lechien, Somogy Editions d'Art, 176 p., 15 euro.

Mary Stevenson Cassatt (1844-1926) a vu le jour dans la ville d' Allenghy (aujourd'hui Pittsburg) en Pennsylvanie. Elle s'est rendue à Paris pour la première fois en 1855 à l'occasion de l'Exposition universelle. Elle y apprend le français. De retour aux Etats-Unis, elle aspire bientôt à devenir artiste, mais ce qui n'est du goût de ses parents. Elle parvient tout de même à s'inscrire à la Fine Art Academy de Pennsylvanie en 1860. Mais l'enseignement qu'on y dispense la déçoit. Elle retourne à Paris en 1865 avec sa mère et une amie. Elles entrent dans l'atelier de Paul-Constant et dans celui de Charles Chaplin, y apprenant d'abord l'art du portrait. Elles font des copies au musée du Louvre. Mary travaille ensuite sous la tutelle de Gérôme, mais elle fréquente néanmoins Barbizon. En 1868, un tableau de sa main est accepté au Salon : La Joueuse de mandoline. Elle s'intéresse à Manet et à Courbet. Mais la guerre avec la Prusse la force à rentrer dans son pays en 1870. Elle revient un an plus tard à Paris, fait un voyage en Europe, étudie Le Corrège à Parme, découvre Rubens au musée du Prado, puis à Anvers. Elle étudie aussi la gravure. Elle continue à exposer au Salon, mais continue à étudier, cette fois auprès de Thomas Couture. Elle fait la connaissance de Degas en 1875, qui l'encourage à exposer aux Indépendants quand sa toile est refusée au Salon de 1877. Elle expose à cette exposition alternative encore en 1879, 1880, 1881 et 1882. Elle connaît les autres impressionnistes et se lie d'amitié avec Berthe Morisot. Emile Zola parle de manière élogieuse des deux femmes en 1880. Elle découvre les estampes japonaises en 1890, ce qui métamorphose sa conception de la peinture et de la gravure. Elle monte une exposition personnelle en 1891 chez Durand-Ruel, les artistes étrangers étant exclus de la Société anonyme des artistes. Elle commence à être exposée à l'étranger (en particulier à Londres) et à New York en 1895 et en 1902. Elle décide de cesser de peintre en 1914 et devient aveugle en 1921. Voilà résumé en deux mots le parcours de cette femme exceptionnelle, qui n'est pas inconnue en France, mais pas reconnue encore à sa juste valeur. Cette bonne et solide biographie donnera, j'en suis sûr, l'envie aux amateurs de mieux la connaître.




Pastels du XVIe au XXIe siècle, Fondation de l'Hermitage / La Bibliothèque des Arts, 224 p., CHF 54.

J'ai déjà eu l'occasion de commenter ce catalogue il y a quelques semaines. Mais ayant eu la chance de pouvoir visiter l'exposition à Lausanne, je tiens à apporter quelques précisions à son sujet. Je songe à la première salle, où l'on découvre de petites oeuvres de Rosalba Carriera (1675-1757), qui n'a jamais travaillé qu'avec cette technique. C'est elle qui d'ailleurs en a importé la mode en France en 1720. Elle a d'ailleurs laissé un mémoire de son voyage à Paris (où elle est devenue membre de l'Académie royale de peinture et de sculpture, réalisant quelques trente-cinq portraits, dont celui de Watteau) et un traité de la technique du pastel. Les petites oeuvres présentées ne montrent pas l'importance historique qu'elle a pu avoir. Et l'on s'en rend compte avec les belles pièces de Maurice Quentin de la Tour. On est émerveillé par les pastels d'Edgar Degas et d'Odilon Redon. On peut être diverti par ceux de Sisley avec ses troupeaux d'oies. Et puis j'ai été heureux de voir de belles compositions de Louis Anquetin, ami de Van Gogh et de Gauguin, qui n'est pas estimé à sa juste valeur. On est heureux de croiser Guiseppe De Nittis et Federico Zandomeneghi, amis italiens de Degas à Paris. On est surpris par la beauté des oeuvres de Lévy-Dhurmer (1865-1953), grand artiste symboliste qui n'a pas été remis à sa juste place. La section moderne et contemporaine est un peu décevante, même s'il y a un minuscule Picasso et un gentil Paul Klee. En fait, il n'y a que deux pièces d'Aurélie Nemours qui soient remarquables. Mais, dans son ensemble, l'exposition est de valeur. Moon attention a été retenu par deux oeuvres de Lorenzo Tiepolo (1736-1776), fils de Giambattista, représentant deux têtes superbes d'Orientaux. Son père a disséminé dans ses compositions, que ce soit dans des scènes antiques ou dans des représentations de la vie de son temps des figures d'Orientaux, qui se trouvent souvent dissimulées derrières colonnes ou des rideaux, ou perdu au milieu d'un groupe de personnes. Il a inclus ces figures pour engendrer une sensation étrange et aussi inquiétante, comme si ces étrangers venus de loin scrutaient notre culture et nos moeurs. C'est là sans doute un des aspects les plus troublants de sa peinture, que je me promets d'étudier dès que possible.




Les Dangers de la cour, Eugène Delacroix, textes établis par Servane Dargnies, préface de Dominique de Font-Réault, Flammarion, 240 p., 17 euro.

Quelle merveilleuse découverte que celle de ces deux nouvelles et aussi de cette pièce de théâtre, Victoria. Dominique de Font-Réault relate les circonstances de cette divine surprise et nous explique que ce sont là les pages d'un jeune homme. Nous savons, à travers son sublime Journal, commencé » dès 1822, c'est-à-dire l'année de sa première entrée au Salon, mais aussi ses écrits sur l'art et la littérature ainsi que ses méditations, prouvent à quel point l'écriture a tenu une place essentielle dans son existence et sa pensée, mais sans plus avoir jamais tenté de composer des oeuvres de fiction. La publication assez récente de son voyage au Maroc et en Algérie en 1832, avec le brouillon de son premier jet, montre à quel point il avait du mal a trouver un beau style et combien et il avait travaillé son écriture pour arriver à un résultat qui lui convenait et qui est d'ailleurs remarquable. Au fond jamais cette passion pour l'art de l'écriture ne l'a abandonné jusqu'à la fin. Ses articles sont admirables et peuvent être comparées aux productions des grands écrivains qui se sont livrés à la critique d'art en son temps, de Gautier à Baudelaire. Ces deux nouvelles ne sont pas des oeuvres immortelles. Mais elles sont assez curieuses pour leur sujet peu commun. En effet, dans Les Dangers de la cour, la plus longue, c'est un jeune homme d'origine modeste, vivant dans l'Appenzell, qui rencontre des nobles de la cour de Sardaigne Piémont et assiste à leurs démêlées et note aussi avec insistance aussi à l'importance que leur attribue leur rang. Alfred se déroule en Angleterre à l'époque normande et est mieux construite. Quant à Victoria, je ne saurais juger de la pièce à sa seule lecture. Tous ces écrits ont un point commun : leurs héros sont orphelins et ont maille à partir avec une stricte hiérarchie sociale. Delacroix est visiblement révolté par ce pouvoir qui vient de la naissance. Mais, lui-même était fils d'un grand bourgeois, qui a été ministre et ambassadeur ! Il n'a de considération pour l'aristocratie que dans un passé très lointain. Bien sûr, on peut souligner les maladresses qui se font jour de-ci de-là et une construction un peu dégingandée. Mais ces proses sont essentielles pour mieux comprendre l'artiste. Il faut aussi se souvenir d'une choses fondamentale, qui revient comme une antienne dans son Journal : son incapacité de trouver un sujet -, ses sujets il va les chercher chez Goethe, chez Dante, chez Shakespeare et d'autres grands auteurs, ou alors dans l'Orient, car il a été « orientaliste «  avant d'aller dans le Maghreb. Si l'on veut mieux connaître ce peintre hors norme, la lecture de ces oeuvres de jeunesse a son importance.




Tout Saint-Simon, sous la direction de Marie-Paule de Weerdt-Pilorge, « Bouquins », Robert Laffont, 1153 p., 33 euro.

La vie de cour à Versailles a amplement été documentée. D'abord par les lettres de Madame de Sévigné, qui n'étaient pas destinées à la publication (ce n'est qu'après sa mort qu'on a eu l'idée de les réunir et de les mettre sous presse), et puis par L'Histoire secrète des Gaules, écrite en 1666 par son cousin Roger de Bussy-Rabutin (ouvrage qui lui valu d'être interdit de se présenter à Versailles et d'être même reclus dans son château en Bourgogne). Mais ce sont les titanesques Mémoires plusieurs dizaines de milliers de pages) écrites entre 1691 et 1723 par Louis de Rouvroy, duc de Saint-Simon (1675-1755) et qui n'ont pas paru de son vivant, qui demeurent le témoignage le plus détaillé des faits et gestes et du roi, et des membres de sa famille, et des courtisans. Son ouvrage est paradoxal : d'un côté il est assez critique sur un grand nombre de figures éminentes de cette période de la fin du règne de Louis XIV, de la Régence et du début du règne de Louis XV, de l'autre, la volonté de défendre la monarchie sous ses formes absolues et aussi de défendre une esthétique de l'aristocratie. On peut aussi s'interroger sur un point fondamental de cette grande aventure : cette oeuvre considérable a été inconnue de ses contemporains. Mais comment peut-on consacrer autant d'énergie pendant tant d'années à écrire un ouvrage particulièrement soigné pour ne servir que le futur ? C'est l'aspect mystérieux de cet auteur. L'auteur de cette édition, dans sa préface ne nous éclaire pas beaucoup sur la personnalité de cet homme et sur le destin de son manuscrit : elle ne nous entretient que de ses espoir de voir le duc de Bourgogne monter sur le trône. Dommage. Ce qu'il est important de savoir, c'est qu'il a joué un rôle modeste à la Cour : il a été conseiller quelque temps pendant la Régence, puis a fait une ambassade en Espagne. Il s'est retiré sur ses terres quand l'abbé Dubois est devenu ministre. Il a par contre participé à des intrigues politiques et avait aussi des amis et un certain nombre d'ennemis puissants. Son ouvrage s'interrompt à la mort du Régent. Il est vrai qu'il s'est éloigné de Versailles et ne pouvait plus rendre compte de la vie de cette micro société. Mais on a trop souvent réduit ses écrits à une chronique des us et coutumes de cette Cour. C'est une réflexion d'ordre politique et moral. Il met en avant les valeurs qui seraient celles de l'aristocratie (pas souvent respectées alors !) et s'efforce de définir une conception idéale de la société aristocratique. De plus, il commente avec maints détails à propos de la politique menée par le roi et ses ministres ou par le Régent. Dans ce livre, nous trouvons une anthologie thématique qui nous éclaire sur sa pensée sur tous les sujets, des plus abstraits aux plus présents. Il parle de la guerre, comme il peut parler da la dignité ? Chaque fois, ses réflexions sur tel ou tel événement, sur tel ou tel personnage s'accompagnent d'une méditation profonde, qui en fait une manière de philosophe (ce qu'il ne prétend d'ailleurs ne pas être). Il faut dire que ce choix d'extraits est remarquablement fait et qu'il nous apprend beaucoup de choses sur cette époque et sur la pensée de son auteur. C'est un guide merveilleux pour qui n'est pas spécialiste de la fin du XVIIe siècle et du début du XVIIIe. Les présentations sont très complètes, mais jamais fastidieuses. L'ensemble permet de se repérer dans ces nombreux tomes et d'avoir en main les atouts indispensables pour entrer dans cet univers et dans sa très étrange pensée, dont on ne parvient pas à comprendre s'il est archaïsante ou, au contraire, prophétique de la fin d'un monde. En somme on ne doit pas se priver de sa découverte.




Histoire de la sexualité, IV, Les aveux de la chair, Michel Foucault, édition établie par Frédéric Groz, « Bibliothèque des histoires », Gallimard, 436 p., 24 euro.

L'histoire de ce livre remonte à la fin des années 1970. Ce qui est devenu aujourd'hui le 4e tome était à l'origine le premier. Michel Foucault s'était persuadé que les fondements des grands principes moraux, philosophiques, politiques, de notre culture occidentale résidaient dans le premier christianisme. Et je crois qu'il avait raison. Mais il n'a pu mener à bien la rédaction de ce gros ouvrage et il est hélas mort au moment de le reprendre et de l'achever. Mais ce n'est pas un brouillon que Frédéric Groz nous propose : c'est un livre qui devait être relu, corrigé et légèrement complété. Comme je n'ai ni la hardiesse ni même la place de résumer sa totalité, je vais me concentrer sur la partie qui me semble la plus intéressante, qui est [Etre vierge]. Il commence par nous rappeler que les premiers théologiens du christianisme, du IIe au IVe siècle, ont valorisé la virginité d'une manière obsessionnelle. Ce fut une sorte de déluge de textes sur la question, dont on a du mal avec le recul à vraiment comprendre l'impact véritable. C'est un courant d'idée presque aussi fort que celui du monachisme dans le désert, avec ses anachorètes et ses stylites. Il analyse avec beaucoup d'attention les motivations qui ont sous-tendu cet élan vers l'abstinence absolue, et qui a laissé des traces dans l'église avec les voeux de chasteté des moines et des soeurs dans les couvents. Il n'est pas facile d'en tirer une doctrine cohérente de cette aventure spirituelle, de saint Ambroise à saint Augustin, de Grégoire de Nysse à Jean Chrysotome, de Tertullien à saint Jérôme, en passant par saint Cyprien, chacun a avancé sa doctrine, certains pensant que la fin du monde et dont la résurrection étaient proches, d'autres parce qu'il était nécessaire de maintenir une pureté charnelle et cognitive sans faille. En somme, il y aurait mille bonnes raisons de ne pas tomber dans le malheur de la chair. Ce qui d'ailleurs peut sembler entrer en contradiction avec le sacrement du mariage (que Foucault traite dans la partie successive). Toute son analyse est précise et permet au lecteur de comprendre comment s'est élaboré cette pensée en fonction de différents mobiles théologiques. Elle est intelligente, documentée et s'efforce de pénétrer l'esprit de ces penseurs religieux dans ce contexte spécifique. Mais il y a un grand absent dans son essai, ce qui surprend d'ailleurs beaucoup : celle d'Origène (circa 185-circa 253), qui passe pour avoir été le premier exégète de la Bible. En tant que tel, il aurait dû être le premier Père de l'Eglise. Il n'en a rien été car, étant d'une rigueur dogmatique, prônant des moeurs irréprochables, il a décidé de se castrer, s'appuyant sur un dit de Matthieu : « il y a des eunuques qui se sont faits eux-mêmes eunuques pour le royaume des cieux » et un autre de Marc : « si ta main est pour toi une occasion de chute, coupe-la ». Cette interprétation littérale des Ecritures est discutable et d'aucuns doutent qu'il ait vraiment commis ce geste. Mais la tradition a maintenu cette version et c'est pourquoi il n'a pas été canonisé, même si ses successeurs ont toujours consulté ses Hexaples. Cette occultation est curieuse car l'histoire d'Origène éclaire d'une manière particulière la démarche des auteurs chrétiens : ils souhaitait que la virginité soir un choix, une volonté, une ascèse et, implicitement, un tourment (d'où, par la suite les tentations de saint Antoine). Mais il n'en reste pas moins que ces pages méritent d'être lues et méditées pour comprendre ce que nous sommes de nos jours, avec ces verrouillages moraux qu'aucune pensée libertine n'est parvenue à entamer tout à fait.




Les rendez-vous de la clairière, Robert Penn Warren, traduit et préfacé par Robert André, Klincksieck, 480 p., 15 euro.

On ne lit plus guère Robert Penn Warren (19o5-1989). Et pourtant, il a été considéré comme un des plus grands écrivains du XXe siècle aux Etats-Unis, et a reçu deux prix Pulitzer. Ce jeune homme du Sud a fait de brillantes études Berkeley et à Yale. En 1929, il est allé parachever ses études Oxford et y obtient un diplôme de lettres. Il obtient ensuite une bouse Guggenheim pur aller en Italie entre 1939 et 1940. A son retour aux Etats-Unis, il a commencé à enseigner Memphis. Très tôt il s'est passionné pour la poésie et a fait partie d'un petit groupe dit des « Fugitifs » lorsqu'il se trouvait l'université Vanderbitt en 1925, qui avaient créé une revue, The Fugitive. Plus tard, il fait partie d'un groupe d'écrivains appelés The Southern Agrarians. Il adhère la ligne de ces auteurs favorables la ségrégation raciale. En 1956, il renie ses anciennes positions et se montre favorable au mouvement des Droits civils. Il a publié son premier livre en 1939, Night Rider. Et il connaît un très grand succès avec son roman All the King's Men, publié en 1946 (il sera même adapté au cinéma trois ans plus tard). Il y fait le portrait d'un homme politique qui fait une carrière avantageuse en pleine dépression. Ce roman paru en 1971 repose sur des réflexions d'ordre moral ou religieux. Il s'interroge sur la responsabilité de tout un chacun en politique, dans le sens le plus large. Il a choisi pour héros un jeune émigré sicilien, Angelo Passetto, qui arrive dans le Tennessee des années 195o et faire partie de la vie de Cassie Spottwood, une femme bizarre, qui s'occupe d'un mari impotent, transformant leur vie en profondeur. Le destin peu enviable et même tragique de ce jeune homme se mêle des réflexions sur le destin des hommes dans une situation donnée. C'est d'ailleurs ce qui caractérise cet auteur : il y a bel et bien une intrigue, mais qui lui donne l'opportunité de soulever des questions souvent épineuse et parfois d'une dimension métaphysique. C'est ce qui rend son oeuvre attachante et singulière : il y a en lui un réalisme qui peut rappeler John Steinbeck et d'autres de ses immédiats prédécesseurs. Mais il y a aussi autre chose. Et c'est cet autre chose qui le rend vraiment fascinant. Il examine comme le rêve des uns vient briser le rêve des autres, et que toutes sortes de ressorts sociaux, moraux, politiques, théologiques jouent dans ce jeu infernal qui forge l'existence de chacun de ses personnages. C'est un grand roman qui n'est comparable à rien : conformiste dans sa forme, première vue, c'est une manière de traité de philosophie avec différentes entrées enchevêtrées.
Gérard-Georges Lemaire
22-03-2018
 
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Verso n°136

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Christophe Cartier au Musée Paul Delouvrier
du 6 au 28 Octobre 2012
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Préface de Jean-Pierre Maurel


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