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[verso-hebdo]
17-06-2021
La chronique
de Pierre Corcos
Signifier l'exil
Pour un documentariste, les multiples réalités de l'immigration ne s'exposent évidemment pas comme une étude théorique illustrée (par exemple de la sociologie spécialisée), ni ne donnent lieu à un film de fiction (il y en a eu d'excellents : It's a free world de Ken Loach par exemple), mais pour autant ces réalités ne peuvent se réduire, comme dans un reportage, à une actualité. Qu'il soit un point de vue en prise sur des faits inamendables pose le documentaire (cf. Représentations factuelles, Frédéric Pouillaude, Les éditions du Cerf, 2020) comme une représentation spécifique. Mais il serait injuste de l'évaluer seulement par l'intérêt (polémique, idéologique par exemple) de son seul sujet, en négligeant la dimension créative, ou au contraire purement conventionnelle, de son exercice.
Sur les réalités de l'immigration, que l'idéologie goulûment s'approprie, deux films documentaires, différents dans leur approche, donnent une occasion supplémentaire de mieux comprendre les pratiques et la poétique de ce genre, en faveur croissante.

Paris Stalingrad réalisé par Hind Meddeb et Thim Naccache alterne un regard globalisant sur la détresse des migrants à Paris (essentiellement dans le quartier de Stalingrad, La Villette) et un autre, individualisant, sur Souleymane, 18 ans, un réfugié du Darfour qui possède ce talent précieux, comme les bluesmen de jadis, de sublimer en poésies ce qu'il endure. Le premier regard se traduit par un filmage collant au réel, la caméra sur l'épaule, et il pointe la précarité misérable des campements (matelas, tentes et abris de fortune) dans la rue, où prière, rasage, distribution de nourriture, nettoyage personnel ou de ses vêtements, tout se fait à ciel ouvert... Il montre également les files d'attente longues et désespérantes devant les administrations pour des papiers. Et enfin les descentes de police régulières qui démolissent sans ménagements les amorces d'installation et, d'autre part, le travail solidaire et courageux des associations humanitaires se dévouant pour venir en aide aux migrants. Au fur et à mesure que le documentaire se déroule, le spectateur constate que les interventions de la Mairie de Paris restent ambivalentes : d'un côté l'on grillage par exemple des kilomètres d'allées sous le métro aérien pour les rendre inaccessibles au campement improvisé, et de l'autre on prévoit des refuges éphémères sans résoudre le problème. Ainsi les deux documentaristes parviennent à offrir la vision tragique et globale d'un immense gâchis au spectateur, là où auparavant il en restait à de simples et brèves images d'actualité télévisuelle. Tragédie d'un arrachement à une culture et un pays, d'une fuite devant une misère inéluctable ou un conflit dévastateur. Et tragédie seconde d'une immense déconvenue sur la « France, terre d'asile » (on nous dévoile aussi les restrictions et limites de cette association éponyme de solidarité). Et puis il y a ce regard sur Souleymane, arrivé ici après un accablant périple de cinq années, qui se confie tristement, tente de garder un espoir, et compose des poèmes vibrant d'humanité. Voix off ou gros plans ou travellings lents. L'identification du spectateur est possible : et si j'avais été lui ?... Alors la notion vague d'immigration se transforme peu à peu en celle d'exil. Loin de ceux et ce à qui et à quoi l'on est attaché. Coupé de son passé et sans futur souhaitable, Souleymane vient nous dire un abandon où chacun pourrait à la limite se retrouver.

La pauvreté dans son propre pays est aussi un exil, suggère Il Mio Corpo, le documentaire de l'italo-suisse Michele Pennetta, qui a cette particularité intéressante de faire coexister dans la même oeuvre et sous le dur soleil d'une rocailleuse Sicile la condition d'un sous-prolétariat et celle de l'immigration. Travaillant dur pour son père, qui le houspille sans cesse, le tout jeune Oscar récupère de la ferraille dans des déchetteries sauvages, tandis que Stanley le Nigérian immigré survit grâce à de menus emplois que lui trouve le prêtre de la paroisse. Avec cette crainte permanente d'être un jour expulsable, tout comme un copain africain... Quand l'enfant sicilien dépend encore de sa famille, inhospitalière, le jeune homme nigérian a plus de marges de manoeuvre : il peut danser, se baigner, jouer au basket, et préparer le « banku », un plat africain. Occasion d'images sensuelles, généreuses. Mais il émane de ces deux jeunes une insondable tristesse qui, pour être bien saisie par la caméra, requiert une mise en scène, une esthétisation (inspirée peut-être par le néoréalisme italien) à laquelle le film précédent n'a pas consenti. De la même façon, les conflits de famille d'Oscar, s'ils ne sont pas artificiels, ont dû à l'évidence être théâtralisés. Oscar est non seulement exilé en tant que prolétaire zonard mais aussi comme enfant incompris. Cet enchevêtrement de sens inclinerait Il Mio Corpo vers le « documentaire de création » (catégorisation approximative, convenons-en), et ce d'autant plus que l'image, soignée, installe dans un vigoureux contraste condition obscure et paysages solaires. La rencontre étrange, nocturne des deux protagonistes, jusqu'à présent loin l'un de l'autre, sur la musique du Stabat Mater de Pergolèse chanté par des voix d'enfants, auréole ce documentaire d'une troublante religiosité... Si, dans le film précédent, pour Souleymane le poésie réparait un peu, sublimait la condition d'exil, on dirait qu'Oscar et Stanley n'ont plus ici qu'à espérer une rédemption, sans doute chrétienne, pour mettre fin à cette insomnie permanente de l'exil et de la misère.
Pierre Corcos
corcos16@gmail.com
17-06-2021
 

Verso n°136

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