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[verso-hebdo]
08-06-2017
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La lettre hebdomadaire de Jean-Luc Chalumeau |
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Cremonini, ou le retour d'un grand voyeur. |
Deux jeunes galeristes, Tancrède Hertzog et Léopold Legros, annoncent une importante exposition (cinquante pièces) de Léonardo Cremonini dans un espace situé 24 rue Beaubourg, en face du Centre Pompidou, du 6 au 24 septembre. Excellente nouvelle pour les amateurs d'une grande peinture qui fit notamment les beaux jours de la galerie Claude Bernard et qui avait été un peu oubliée depuis la mort de l'artiste en 2010. On pourra voir ou revoir certaines de ses oeuvres majeures des années 60-70 comme Les plafonds de la plage (1968), Alle spalle del desiderio (1966) ou Les indiscrétions d'une chambre (1971). Dès ce moment, Cremonini avait attiré l'attention d'écrivains majeurs comme Alberto Moravia ou Italo Calvino. Sa relation privilégiée avec des plumes de premier ordre durerait toute sa vie, marquée en premier lieu par l'attention de Marc Le Bot qui lui consacrerait un livre et de nombreux cours à la Sorbonne. Grand seigneur, il avait accueilli avec humour et résignation l'irruption sur le devant de la scène de pseudo-artistes qu'il considérait comme des imposteurs, condamnant à une obscurité relative les peintres de sa sorte (qu'il comptait sur les doigts d'une seule main). Il m'arrivait de lui rendre visite dans son atelier du dernier étage d'un vieil immeuble de la rue de Buci, et je l'entends encore déclarer avec son accent italien : « nous les peintres, nous ne sommes plous que des aristocrates inoutiles ! ».
Cremonini avait quarante ans quand Alberto Moravia écrivit la préface du catalogue de son exposition de la Galeria Il Gabbiano à Rome (1965) en insistant sur l'importance des regards d'enfants qui surprennent les jeux des adultes. Il notait que le voyeurisme des enfants - et du peintre - n'était pas candide : « Les enfants de Cremonini ont les visages excités et avides qui semblent déformés par l'habitude d'épier. Le complexe d'OEdipe dont ils sont clairement affectés leur suggère constamment que, au-delà des portes, il se passe quelque chose. » Comme ces enfants aux têtes rondes et au regard un peu inquiétant, Cremonini avait pour champ d'observation les lieux quelconques qui définissent l'univers de la quotidienneté : les chambres, les salles de bains, les rues et les plages. C'est à l'intérieur de ces cadres que le désir se mettait en place et s'affrontait aux contradictions et aux blocages de la société moderne.
L'océan tout proche, dans de nombreuses scènes de plage (dont Les plafonds de la plage est une des plus remarquables), opposait un principe d'immensité et de limpidité au réseau de relations que tissent le réel et le désir dans le monde des hommes. Les corps offerts au soleil qui gisaient sur le sable, inanimés comme des choses, mais cependant rongés de convoitises sexuelles, étaient des corps adultes. De même, dans les chambres et les salles de bains, les fragments perceptibles de corps adultes étaient généralement couchés. Au contraire, les enfants étaient saisis debout, courant ou épiant. Leur instabilité créait un contraste supplémentaire, encore accentué par le fait qu'ils surprenaient les parents à travers un jeu de miroirs. Ah, les jeux de miroirs de Cremonini, dont la virtuosité de la réalisation technique était renforcée par la subtile présence de la buée qui subsiste après le bain ! On comprend l'admiration exprimée par Umberto Eco qui vantait la peinture « éminemment picturale » de Cremonini (« larges étalements, écarts, partitions géométriques et effacements de la matière » précisait-il) et insistait sur le fait qu'elle n'en était pas moins « très littéraire et philosophique ». Voilà pourquoi il ne faudra pas manquer l'exposition de septembre prochain. L'éblouissement semble garanti.
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Verso n°136
L'artiste du mois : Marko Velk
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