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[verso-hebdo]
26-04-2018
La chronique
de Gérard-Georges Lemaire
Chronique d'un bibliomane mélancolique

Kupka, Pierre Brulé, « Carnet d'expo - Découvertes », Gallimard, 64 p., 49,2o euro.

Pour ceux qui ignorent tout de l'oeuvre de Frantisek Kupka (1871-1957), je pense surtout aux jeunes gens qui vont le découvrir avec cette importante exposition au Grand Palais, je ne saurais trop conseillé d'acquérir le livre de Pierre Brulé, dans la nouvelle collection « Carnet d'expo » chez Gallimard : sous une forme plaisante, ils pourront savoir qui est ce peintre, ce qu'il a pu réalisé au long de sa carrière, quel a été le sens de son évolution, avec des commentaires clairs mais loin d'être simplistes et réducteurs de l'auteur. C'est un excellent outil de travail et d'apprentissage, de surcroît très plaisant consulter par sa mise en page originale. Kupka est un peu connu du public français parce qu'il a passé une grande partie de sa vie en France. Originaire d'un petit village de Bohême, il a appris le métier de sellier et n'a acquis les bases de la peinture qu'en autodidacte. Il est parvenu à entrer l'Académie des beaux-arts de Prague en 1889 et, une fois reçu son diplôme, il s'est inscrit à celle de Vienne trois ans plus tard. Il s'installe ensuite à Paris en 1896 et loue un atelier Montmartre. Pour vivre, il exerce ses talents de dessinateurs dans différents périodiques satiriques, dont L'Assiette au beurre, réalisant trois numéros complets, et illustre différents ouvrages, en particulier les contes d'Edgar Allan Poe. Il utilise dans ce cas l'aquatinte. Il s'installe à Puteaux en 19o4, non loin de son ami Jacques Villon. L'année suivante, il s'inscrit à la Sorbonne et y étudie différentes matières : la physiologie, l'histoire de l'art et l'archéologie. Il illustre alors les 6 volumes de L'Homme et la Terre d'Elisée Reclus (19o5-19o8). En 191o, il abandonne l'art symboliste qui le caractérise jusqu'alors et passe à l'art abstrait, qu'il préfère appeler « art concret » avec Cathédrale (1913) ou Bleu (1914). Il prend part avec Villon, Gleizes et Picabia, au groupe de Puteaux. Le cubisme est la ligne directrice de ce petit cercle. En 1913, il publie un livre important : La Création dans les arts plastiques. Après la guerre, il revient une forme de création figurative, mais l'abandonne assez vite, pour poursuivre des recherches abstraites, qui ne cessent d'évoluer, avec parfois des titres surprenants comme Ligne blanche insistante (1913-1924) et en utilisant parfois des thèmes liés à l'industrie comme La Machinerie (1928) ou Musique (1936).




A table aux Abattoirs, Les Abattoirs / Mudima, 452 p., 3o euro.

Ce copieux et riche catalogue, qui a plutôt pris l'aspect d'un livre, est la trace d'une grande et belle exposition qui a eu lieu il y a plusieurs mois déjà aux Abattoirs de Toulouse. Ce fort volume reflète bien l'esprit qui a été celui qui a présidé à cette manifestation : Daniel Spoerri, qui reste l'un des derniers participants au groupe du Nouveau Réalisme (créé en 196o avec le manifeste MAT) encore parmi nous, a été le pivot de tout ce qui a été présenté en ce lieu. Bien sûr, on y découvre des oeuvres de Jacques Villeglé, de Jean Tinguely, de Raymond Hains, d'Arman, de César, de Niki de Saint-Phalle, et même d'autres artistes, qui n'ont pas été de ce petit cercle, comme Man Ray ou François Morellet, de Soto ou de Karl Gestner, leurs oeuvres procurant le contexte artistique de l'époque. On découvre également des tableaux et des installations qui sont conservées dans ce musée. Même si le Nouveau Réalisme est bien représenté dans cet ouvrage, il est évident que Spoerri se taille la part du lion : les Abattoirs ont tenu lui rendre un hommage marqué. On peut voir un grand nombre de ses fameuses Tables, posées sur le sol ou accrochées aux murs, recouvertes de la vaisselle et des restes d'innombrables repas, avec, par exemple, sa grande installation, Hommage aux jardins d'hiver de la baronne Salomon de Rothschild de 1972. Daniel Spoerri a continué a réalisé ce genre d'ouvrages qui le rendent immédiatement reconnaissables entre tous, comme le prouve l'ensemble intitulé Tables bistro de sainte Marthe (1972). Mais il n'a cessé de multiplier les assemblages avec une imagination débridée. Certains d'entre eux sont manifestement dérivés de l'art africain (il était lui-même collectionneur de ce genre d'objets et cela explique aussi la présence en contrepoint de belles pièces appartenant à la fameuse collection de Daniel Cordier, grand connaisseur de l'art du continent noir. On est étourdi par l'ampleur de son imaginaire, qui n'a cessé de se renouveler et de se diversifier jusqu'à nos jours, comme on peut en juger avec Les Chaussures d'enfants (2oo8-2o1o). A noter enfin la présence de deux installations importantes, Le Musée sentimental et la Boutique Aberrante, qui avaient été présentées au sein du Cocodrome de Zig et Puce (une sculpture géante de Tinguely que Spoerri avait pu installer dans le Forum du Centre Pompidou en 1977. La plupart des textes sont signés par Deborah Laks, qui a aussi réalisé un bien intéressant entretien avec l'artiste en 2o12. En somme, les adeptes de Daniel Spoerri pourront se délecter avec les nombreuses reproductions et tous les essais qui lui sont consacrés. Ceux qui ont eu la chance de visiter l'exposition retrouveront tout ce qu'ils ont pu voir lors de leur visite. Catalogue de la mémoire d'un grand événement A table aux Abattoirs est une remarquable invention qui métamorphose un catalogue en un livre indispensable pour connaître et l'art de Spoerri et les diverses orientations du Nouveau Réalisme.




Dangelomelodies, Sergio Dangelo & Lome, La Maddalena Edizioni / Scoglio di Quarto, 144 p., 44 euro.

Les Rendez-vous, Sergio Dangelo, Mudima, 150 p., 430 euro.


Sergio Dangelo est sans aucun doute l'un des artistes milanais le plus curieux et le plus fascinant. Il a fait ses études à Paris, à Bruxelles et à Genève. Après la guerre, il a entrepris un grand voyage dans toute l'Europe, découvrant le surréalisme et le vorticisme anglais, en passant par Cobra. A son retour, il a subi des influences très diverses, allant de Max Ernst à Gianni Dova. Il a alors participé au troisième colloque surréaliste. Puis il a fondé l'Arte Nucleare en 1950 et a fait sa première exposition personnelle à la Galleria San Fedele (Milan). En 1954, il a organisé à Albisolla les rencontres internationales de la céramique avec l'appui d'Asger Jorn et sous le patronage de Tullio d'Albissola. Son parcours a été dès lors une longue succession d'expositions, de participations aux grands événements artistiques mondiaux (telle la Biennale de Venise et la Triennale de Milan) et de collaborations innombrables des revues. Il a aussi multiplié les collaborations avec des créateurs. Le livre et l'exposition qui a eu lieu à Trento en 2o17. Il a choisi un artiste bien plus jeune que lui, Lomme (né en 1967 à Trente), qui travaille dans une tout autre optique que la sienne, mais partage avec lui l'amour de la poésie et aussi la volonté de ne pas emprunter les chemins les plus battus. La collaboration entre les deux artistes a donné lieu à des tableaux, des assemblages des installations, des sculptures, des oeuvres in-situ. Leur rencontre est des plus étranges car leurs postures esthétiques n'ont pas grand chose à partager. Cette confrontation a donné des fruits singuliers, mais d'un grand dynamisme.
Si l'on veut découvrir la personnalité aux facettes innombrables de Sergio Dangelo, il faut absolument se procurer Les Rendez-vous qui ont paru chez Mudima. Ce volume présente surtout des oeuvres des années 196o, mais aussi quelques compositions allant des années 197o à 199o, avec de nombreux collages et assemblages. Dangelo peut être abstrait, mais aussi figuratif car son caprice le porte de ce côté-là. Inclassable par excellence, il a suivi les traces de Prampolini et aussi de Duchamp ; il pastiche Jean Arp, les nouveaux réalistes et même les cubistes. Il ne peut être rattaché à aucun courant de son temps. Mais sa recherche, au-delà de son caractère ludique, est sans aucun doute l'une des méditations les plus corrosives sur l'état de la peinture moderne de la seconde moitié du XXe siècle. Mais il ne s'agit pas pour lui de détruire la peinture (même s'il y a chez lui un esprit railleur d'inspiration dadaïste), mais de la reformuler dans des termes qui n'appartiennent qu'à lui, même si la parodie est souvent présente dans ses compositions. Il se divertit (cela ne fait aucun doute) et nous propose des pièges spéculaires, mais aussi nous offre des horizons encore explorer dans une nouvelle poetis de l'art.




L'Art d'action à l'ombre de Diogène, essai sur la performance, Jean-Luc Lupieri, préface de Serge Pey, Maelström Revolution, 334 p.

La longue et brillante préface de Serge Pey fournit les outils indispensables pour comprendre la réflexion de Jean-Luc Lupieri. Il fait ici d'une pierre deux coups : il a choisi Diogène, le célèbre philosophe cynique, comme ancêtre de l'art de la performance (l'image est limpide) et lie cette nouvelle donnée de la création artistique et résume son propre parcours qui a consisté à passer de la poésie dans son acception ancienne (même si ses textes déviaient des normes instituées) à un type d'action ayant un caractère théâtral (sans être du théâtre, cela va sans dire). La représentation est dans son cas un prolongement physique dans l'espace de la pensée. Pour l'auteur, cet art iconoclaste est la conjonction de facteurs politiques, philosophiques et poétiques. Mais je ne partage pas son idée que tout est né pendant les années cinquante avec le Happening. Déjà les futuristes italiens, avec le « théâtre d'objets », qu'a théorisé F. T. Marinetti, les dadaïstes, d'abord au Cabaret Voltaire à Zurich en 1916 puis un peu partout en Europe, et plus tard les surréalistes (avec Salvador Dalì comme acteur le plus tapageur) ont « mis en scène » des événements qui étaient des performances. En revanche, je partage sa notion de rupture avec des pratiques révolues aux yeux de ces créateurs qui désiraient une autre fonction de l'activité poétique et artistiques. Ses commentaires sur les attitudes adoptées par les philosophes grecs, comme Diogène et Socrate sont assez pertinentes. Il commence son examen de la performance par des considérations philosophiques, prenant surtout appui sur la conception de la culture d'Hannah Arendt sur la durée des oeuvres d'art contre l'impermanence des objets de consommation, qui ne sont pas d'une grande originalité. Mais elle lui permet de poursuivre en développant la question de l'utilisation des objets d'usage courant par les artistes, qui les détournent de leur fonction, mais n'en estompe pas l'origine et la finalité. Duchamp avait souligné le fait que les dadaïstes n'avaient même pas le souci de la vente éventuelle de leurs oeuvres : ils n'avaient alors aucun marché. La suite de l'ouvrage est constitué d'explications souvent judicieuses des nombreux modes de postuler es oeuvres par différentes combinatoires qui ont pu être utilisées de Marina Abramovic à Joseph Beuys en passant par Joseph Kosuth ou Julien Blaine. Je relève une curiosité : le fait de considérer Michel Giroud, l'ancien directeur de la revue Kanal, comme un « performeur » : sans doute a-t-il toujours été un personnage extravagant, mais de là à en faire un artiste ! Cela n'est qu'un détail. Je regrette par contre beaucoup l'absence de John Giorno, qui est un des plus grands poètes actuels qui fait des performances. Quoi qu'il en soit, ce livre peut être regardé comme une sorte d'encyclopédie personnelle, bien documentée, pleine d'informations utiles, de notre auteur, qui est assez étoffée pour révéler l'ensemble des aspects de cet art « autre » et désormais déjà bien vieux dans notre histoire de l'art emportée par un mouvement sans cesse plus frénétique et vraisemblablement aberrant.




La Peur, Stefan Zweig, traduit de l'allemand par Sacha Zieberfarb, « Pavillons poche », Robert Laffont, 112 p., 45 euro.

Cette nouvelle a été écrite en 1913 et n'a été publiée qu'en 1920. Une version plus courte a vu le jour cinq ans plus tard. Stefan Zweig (1881-1942) a voulu raconter l'histoire tragique d'une femme de la bonne bourgeoise viennoise, Irene Wagner, de son temps. Elle se voulait irréprochable. Mais elle a fini par prendre un amant. Une femme inconnue l'interpelle à la sortie d'un de ses rendez-vous galants et menace de la dénoncer à son mari (un magistrat) si elle ne lui donne pas une forte somme d'argent. Et ce maître chanteur en jupon la poursuit jusqu'à chez elle et lui demande toujours plus d'argent. Elle ne se hasarde plus chez son amant, le jeune pianiste. Mais rien n'y fait. Elle est alors envahie par la peur et ne sait comment expliquer ces dépenses faramineuses à son mari. Elle a peur de tout perdre et d'être répudiée. L'histoire se termine de manière inattendue : le mari sait tout, a réglé l'affaire avec l'horrible femme et a pardonné à son épouse. Elle rentre dans le rang d'un monde aux codes bien établis. Zweig sait conter à merveille ces histoires avec un sens poussé du développement de l'intrigue qui va crescendo et se change en une angoissante expectative de l'héroïne qui aurait pu intéresser Sigmund Freud. C'est écrit avec simplicité, mais le noeud de l'affaire, tel qu'il est vécu par l'héroïne, est complexe. La banalité des faits est contrebalancée par la maestria de son récit.




La prochaine foi, le feu, James Baldwin, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Michel Sciama, préface de Christiane Taubira, Folio, 148 p., 46,80 euro.

Ce célèbre essai engagé de James Baldwin (né en 1924 à Harlem, New York) est précédé dans cette édition d'un court texte, qui est une lettre adressée à son neveu à l'occasion de centième anniversaire de l'émancipation des Noirs par Lincoln en 1863, en pleine guerre de Sécession. Même si à l'époque le président Kennedy faisait des efforts pour alléger le poids de ces ségrégations raciales toujours vivantes (et cela après les efforts accomplis auparavant par le président Dwight Eisenhower). Cette courte missive met bien les choses en place : il veut lui faire comprendre que rien n'a encore complètement changé, ni sur le plus social, ni sur le plan humain. Son combat est celui qui va conduire aux droits civiques et à leur application dans tous les Etats de ce pays, au Sud comme au Nord, avec des réticences et des lenteurs, mais depuis lors un président noir est a été élu ! Le livre résume très simplement ses réflexions sur la question, ses hésitations devant les théories les plus radicales (comme celles des Black Panthers), ses mises en garde devant ces petits pas accomplis, mais qui ne règlent franchement pas grand chose de fondamental. Ce livre appartient maintenant à l'histoire. Aujourd'hui, le racisme subsiste aux U. S. A., mais il a pris des formes extrémistes et les Noirs ont enfin obtenu tous les droits dont peut se targuer un citoyen à part entière. Tout cela paraît si loin ! Mais si l'on veut comprendre comment est faite la société américains avec ses diverses communautés, avec ses préjugés, avec les anciens immigrés qui refusent l'arrivée des nouveaux immigrés, la lecture de cet essai est un bon moyen de comprendre la question. La question noire est désormais remplacée par la question latino-américaine et surtout mexicaine. Les communautés restent en grande partie repliées sur elles-mêmes. Voilà par conséquent un bon moyen de se rendre compte que la page est peut-être tournée, mais seulement pour cette minorité.




Le Tonneau magique, Bernard Malamud, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Josée Kamoun, Rivages, 264 p., 421 euro.

Dans Parlons travail, Philip Roth a repris le récit d'une rencontre avec Bernard Malamud (1914-1986) qu'il a faite en 1961, qui se transforme en un hommage senti à l'écrivain juif qui s'est rendu célèbre avec le Commis et l'Homme de Kiev. A propos du Tonneau magique (1958), il a écrit : « L'auteur me paraissait avoir croqué ses Juifs solitaires et leur forme spécifique d'échec, juif, émigrant - ces malamudiens en « éternel souffrance » - avec la même authenticité que Samuel Beckett, dans des oeuvres plus longues, Molloy et Malone, ses héros accablés de misère. Le Juif et l'Irlandais avaient choisi de situer leurs histoires dans les limites de la vie du clan sans verser dans le communautarisme. Ils avaient délibérément coupé la mémoire de leur race la mémoire de leur race dans son contexte historique et social, et restreint leur champ au plus démunis de leur « compatriotes » dans la morne bataille du quotidien. D'où ces paraboles sur la frustration dont le ton adopte la gravité des philosophes les plus pessimistes. » Cette remarque est assez juste, si l'on exclu le fait que Malamud a aussi écrit quelques nouvelles qui se passent en d'autres lieux, comme, par exemple, la Précieuses clef, qui relate les mésaventure d'un doctorant que cherche désespérément un appartement louer Rome. Mais, il est vrai que l'auteur a choisi de raconter le destin de petits Juifs, des artisans, en tout cas des personnes très modestes, dont les ambitions sont chaque fois déçues. C'est le cas de Feld, le cordonnier, qui tente de marier sa fille, et aussi de Kessler, l'ancien mireur d'oeuf, qui vit désormais dans un minable immeuble de l'East Side. Et encore celui de Willy Schlegel, gardien d'immeuble, qui s'est endetté chez l'épicier. Toutes ces histoires sont écrites avec une grande simplicité, mais une réelle efficacité, sans compter leur humour un peu amer. A mon avis, Bernard Malamud a exprimé tout son râlent plus dans les nouvelles que dans les romans (d'ailleurs peu nombreux). Il a ce don rare du conteur qui sait concentrer une intrigue dans un espace réduit et aussi évoquer ce petit monde hébraïque qui ne s'est acclimaté qu'en partie au mode de vie américain. On a parfois l'impression qu'il parle de l'existence de ces petits Juifs vivant dans un shtetl de la Russie dont il était originaire. Ces nouvelles ne sont pas larmoyantes. Elles sont vivaces et pleines d'humour. D'une lecture délectable.




Incertains regards, « Connexion/déconnexion », n°7, Presse universitaire de Provence, 15 p., 415 euro.

Ces cahiers dramatiques ont axé ce numéro sur l'art de la performance, qui est une forme dévoyée du théâtre. Les responsables de cette publication ont mis au centre la figure emblématique de Julien Blaine, l'homme qui a décrété a brûle-pourpoint depuis quelque temps la fin de la performance (déclaration pleine d'ambiguïtés, je tiens à le souligner !). On trouve dans cette livraison une série de réflexions sur ce thèmes, sous forme de P.S. (c'est en réalité un journal que tient le poète depuis des années) et qui représente une sorte de journal, sur le thème, mais aussi sur sa propre pratique poétique, artistique et scénique, car chez lui tout est lié. C'est un document plein de vivacité, d'humour, d'auto ironie et de pensées théoriques car, sous ses allures de blagueur et de saltimbanque digne de la commedia dell'arte, Blaine est un auteur beaucoup plus sérieux et réfléchi qu'il ne paraît. La revue contient également un enregistrement que ce dernier a fait pour Radio Grenouille Marseille, qui un chef -d'oeuvre d'humour, digne la fois de Jarry et des dadaïstes du Cabaret Voltaire de Zurich. En dehors de cela, le lecteur découvrira des formes alternatives d'événements scéniques, d'autant plus intéressants en un temps où le théâtre français, même sous ses formes les plus expérimentales s'essouffle de manière inquiétante. Il aura donc toute bénéfice à découvrir cette revue qui apporte des informations précieuses sur ces recherches qui métamorphosent toutes les conceptions connues de cette nouvelle théâtralité poétique dans laquelle il est passé maître. .




Claude Gueux, Victor Hugo, dossier présenté par Johanna Lenormand, Folio + collège, 144 p., 42,9o euro.

Pauca Meae, Victor Hugo, dossier présenté par Marjorie Robillard, 154 p., 42,90 euro.


Ces deux petits ouvrages pédagogiques s'adresse aux lycéens en classe de quatrième. Le premier contient une brève nouvelle de Victor Hugo, Claude Gueux, qu'il a écrite en 1834, publiée dans La Revue de Paris, six ans après la publication du Journal d'un condamné mort (et bien avant la rédaction des Misérables, qui a paru en 1862). L'histoire est simple, le pauvre homme qui est le héros de cette histoire vit dans la plus grande pauvreté avec sa compagne et sa fille. La misère le pousse un jour à voler. Il est condamné à l'emprisonnement. Dans la prison de Clairvaux, il se fait un ami, Albin. Celui lui donne une partie de sa ration. Mais le chef de l'atelier décide de déplacer Albin dans une autre partie de l'établissement. Claude Gueux demande alors au directeur la raison de cet éloignement. Celui-ci ne lui répond pas. L'homme est malheureux et frappe un jour l'acariâtre avec une paire de ciseaux. Il est jugé à Troyes et condamné à mort. Cette nouvelle est une des étapes de l'écrivain dans sa lutte contre l'injustice et la peine de mort, qui va culminer avec l'histoire de Jean Valjean dans les Misérables. Dans le second volume, Pauca Meae, on a réuni des oeuvres faisant partie des Contemplations, recueil de poèmes faisant partie de la seconde partie de ce recueil paru en 1882 et rassemblant des textes allant de 183o à 1855. Ce chapitre de l'ouvrage concerne la mort accidentelle de sa fille, Léopoldine, en compagnie de son mari, noyés dans la Seine à Villequier. Cette mort a longtemps hanté l'écrivain, qui a même recours aux tables tournantes pour entrer en communication avec elle. Il a sombré dans un chagrin profond et une mélancolie encore plus profonde. Il est curieux de mettre au programme ces textes qui ne parlent que de mort, de désespoir, de chagrin et surtout de la perte d'un enfant. Quoi qu'il en soit, ces deux volumes permettent de se replonger dans le monde intérieur de Victor Hugo, où les grandes causes morales et politiques n'excluaient pas les élans sentimentaux et lyriques.




Mouvement, Philippe Sollers, Folio, 272 p., 7,25 euro.

Dans cet ouvrage, qui a paru la première fois en 2016, Philippe Sollers s'adresse directement, non pour faire des récriminations, comme l'a fait Job, mais pour lui adresser des louanges. Après cette apologie peu conventionnelle, il s'emploie à faire une lecture très personnelle de la Bible, car il prend au pied de la lettre le nombre extravagant qui y figure quand il s'agit des sacrifices ordonnés par le roi Salomon ou l'âge de Noé quand il construit l'arche du Déluge. Cela donne à sa lecture un caractère ludique et, il faut le reconnaître, plutôt divertissant. Suis un court chapitre sur les avancées de la physique et la course folle des atomes et puis sur le futur Transhomme qu'on nous prépare et dont nous voyons déjà les prémisses. Ensuite, il s'interroge sur le trafic mondial de la drogue, qui semble laisser les écrivains de marbre. Puis il s'intéresse à la vie de Pascal et ce qu'en a relaté sa soeur, Marguerite Périer, entrée dans les ordres : il s'interroge sur le jansénisme et ne parvient pas à prendre la question au sérieux. Il retourne à la Bible, qui semble être devenu son livre de chevet pendant un certain temps. Il s'intéresse alors au destin d'Elie, à celui d'Abraham et de Sara. Il lit ces chapitres comme autant de fictions parfois émouvantes, parfois comiques. Il note comment le Tout-Puissant se fâche contre « ses filles », qu'il voit se prostituer et donne quelques exemples de tentatives de rédemption qui échouent. Il nous raconte ensuite ses insomnies et puis les rêves, souvent cauchemardeux qu'il a pu retenir. Le livre se déroule ainsi, à grande vitesse, avec une vélocité dans l'écriture que Paul Morand lui aurait enviée. Les sujets s'enchaînent avec une rapidité vertigineuse : Lascaux, l'Enfer, les jeunes femmes, autant de manière de faire se croiser sa pensée et les informations qu'il reçoit de toute part et qui lui offrent l'occasion de réflexions croisées et parfois enchevêtrées. Tous les domaines l'intéressent, mais certains reviennent de manière récurrente, comme la vie et l'oeuvre de Hegel. C'est un livre savoureux et trépidant, qui se parcourt avec jubilation, même s'ils ne partagent pas routes ses insinuations et prises de position.
Gérard-Georges Lemaire
26-04-2018
 

Verso n°136

L'artiste du mois : Marko Velk

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