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[verso-hebdo]
13-10-2016
Solitaire comme un photographe
Flux perpétuel des gens à New York, gigantesque armée de passants sur les trottoirs.
Mieux vaut penser en termes de « foule », de « masse », parce qu'assumer toutes ces subjectivités en même temps, c'est impossible. Piétinement continuel, ensevelissement sous le nombre indifférencié... Mais voici un mendiant adossé à un mur, voilà un vieux ne pouvant plus marcher au même rythme que les autres, et il y a ce paralysé ou ce manchot pétrifiés dans la masse en mouvement, ce couple de sourds-muets obligés pour pouvoir se comprendre de s'extraire du flux. C'est eux en particulier que Louis Faurer (1916-2001) photographie, et non les silhouettes qui se déversent, innombrables, dans les rue de la mégalopole comme des billes métalliques dans un pachinko. À la différence de Garry Winogrand (1928-1984) le New-Yorkais, qui de son objectif mitraille tous ces anonymes sans vouloir choisir, ou bien raconter quelque chose, abandonnant au passage les codes esthétiques traditionnels (cf. Verso Hebdo du 6-11-14), Louis Fourer, alias Faurer, ce fils d'immigrés de Pologne depuis 1911 qui eurent du mal à s'intégrer, cet artiste qui s'est tour à tour cherché dans la calligraphie, le dessin et la caricature, les affiches de cinéma puis le portrait photographique, s'identifie à ces individus laissés sur la berge du fleuve urbain. Et, voyant ces photos, le spectateur ne peut empêcher des questions de surgir, avant suppositions et histoires : pourquoi cet homme est-il assis sur un banc, silhouette noire et solitaire dans la neige Sur le toit de Newell Art Galleries ? À quoi songe, pris de dos, ce Chômeur observant le Rockefeller Center ? Qu'est-il donc arrivé à cette femme allongée Sur le banc d'une gare ?

Indirectement, à travers toutes ces photos en noir et blanc d'esseulés dans la multitude, l'exposition sur Louis Faurer (jusqu'au 18 décembre à la Fondation Henri Cartier-Bresson) évoque la solitude du photographe dans la foule... En effet, au milieu de tous ces somnambules bercés par leur rumination mentale et la marche cadencée des autres, le piéton furtif à l'oeil de verre ne reste-t-il pas le seul en éveil ? Quand ces passants vont quelque part faire quelque chose, le photographe ne se promène-t-il pas simplement pour voir, observer ?... Certes Louis Faurer en particulier ne put jamais se fondre dans l' « american way of life », et la mise en garde de Walker Evans (« ne te laisse pas contaminer ») fut superfétatoire pour celui que la photographie de mode au Harper's Bazaar et d'autres travaux « alimentaires » (Life, Cowles Publications, Hearst et Condé Nast) ne détournèrent jamais de son regard propre, et de sa passion pour la photographie de rue. Comme Eamonn Doyle à Dublin, Ethan Levitas, Sid Grossman à New York (photographes exposés en Arles cette année, dans la section consacrée justement à la rue et ses passants), Louis Faurer ne se lassa jamais du sens et du spectacle humains de la grande ville. Il se dota même d'une caméra 16 mm, emportée en même temps que son Leica, et un film montré dans l'exposition témoigne de cette fascination pour les foules. Mais notre photographe se focalise sur ceux qui s'en détachent... Dans Vendeuse des rues ou bien Violoniste ambulant, ce qui intéresse Louis Faurer, c'est moins le « regard social » (encore qu'il soit toujours perceptible en filigrane) que cette solitude d'autant plus intensément ressentie qu'elle contraste avec le monde tout autour. « Il pouvait observer les gens pendant des heures et une fois rentré, me raconter des histoires à leur propos », racontait son grand ami photographe, Robert Frank...
Mais cette solitude nous dit-elle que tout ce monde est rassemblé, uni comme dans une manifestation tandis que certains en sont exclus ? Non, car ces silhouettes noires devant des immeubles sombres (Chantier sur Madison avenue) sont seulement des gens qu'une proximité spatiale, contingente, semble unir, et tous ces New-Yorkais qui marchent évoquent le titre du célèbre ouvrage de sociologie, La Foule Solitaire (David Riesman).
Alors qui sont donc ces solitaires extraits par l'artiste de l'américaine foule solitaire ? Sans doute des êtres que leur exclusion même a sauvé de l'enrégimentement et de la dépersonnalisation. Et l'intègre solitude du photographe peut se retrouver, se reconnaître en eux. On comprend mieux alors les subtiles recherches de Louis Faurer à partir du reflet des vitres, qui rendent certaines photos aussi indéchiffrables que celles d'un Saul Leiter, ou bien ces effets de flou obtenus par une étroite profondeur de champ : une irréalité poétique transfigurerait la condition de ces êtres esseulés « dont l'esprit tenace est baigné d'une lumière blanche tellement perçante qu'elle donne de l'espoir à leur présent et à leur avenir » (Louis Faurer, dans un texte de 1979). Dans Accident, un gamin isolé se tient les côtes et semble grelotter. Mais un étrange reflet à droite montre un couple replet émergeant d'une noce fleurie. Staten Island Ferry montre deux hommes seuls : juste une tête et une silhouette coupée. Pourtant, c'est un extraordinaire jeu de reflets où les surfaces et les profondeurs se brouillent... Dans la lumière crépusculaire qu'il privilégie, Louis Faurer ne se contente pas de sauver quelques êtres du laminoir des foules en les saisissant dans son appareil. Par ses flous, ses subtils reflets, des superpositions et des jeux d'optique merveilleux, il leur offre en plus le lyrique refuge de ses photographies.
Pierre Corcos
13-10-2016
 

Verso n°136

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