Dossier Claude Jeanmart
Marc Sagaert s'entretient avec Claude Jeanmart : questionner l'humain
par Marc Sagaert et Claude Jeanmart
mis en ligne le 18/04/2012

Lors de l’exposition collective d’Octobre 2010, intitulée Le Noir absolu, présentée au Centre d’Art contemporain Eugène Beaudouin d’Antony par Gérard-Georges Lemaire, je me suis demandé ce que pouvais ressentir dans le noir ma voisine aveugle depuis quarante ans. Pour commencer à le comprendre, j’ai utilisé mes outils de plasticien. Je lui ai d’abord demandé de dessiner mon visage, en le touchant d’une main et en le dessinant de l’autre. Puis je lui ai proposé de nous dessiner, Denise et moi, de face, de dos, de profil à partir du toucher. J’ai intitulé ce travail Dans la nuit de Mado.

Voir pour dessiner ? dessiner pour voir ?

Oui, les informations délivrées par le toucher ne sont-elles pas aussi pertinentes que celles dues à la vue ? Le Résultat a été un dessin énergique de quelqu’un qui n’avait jamais dessiné et surtout un dessin sans a priori, débarrassé des stéréotypes de la ressemblance, sans préjugés aurait écrit Diderot dans sa Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient, écrite en 1749.
Sur six toiles noires de deux mètres de haut et de 1 mètre de large, j’ai agrandi par les moyens numériques les six dessins de Mado, en les respectant scrupuleusement ; puis j’ai peint les traits en blanc sur le fond noir, en suivant les contours d’origine. Bien que Mado n’est pas eu accès au résultat, l’action de toucher puis de dessiner lui a fait prendre conscience de l’autre, la renvoyant à elle-même, à son corps. Cela a modifié nos relations dans le sens d’une vérité forte et d’une amitié profonde entre nous.

Vous avez eu alors l’idée de proposer à quelques personnes voyantes, de se livrer au même exercice…

Oui. La consigne consistait à dessiner le plus exactement possible ce que ces personnes percevaient (multiples, reliefs, formes, bosses, creux, texture de peau…) sans chercher à arranger le dessin. Je ne suis ni un thérapeute, ni un scientifique, simplement un artiste. Aussi, en accord avec mes amis, je me suis emparé de leurs dessins, pour les interpréter comme le ferait un musicien d’une partition, cherchant à l’aide des mises en pages et du jeu des couleurs, à traduire les perceptions des dessinateurs et ma propre perception de leur travail. En assumant ces choix plastiques, je reste fidèle au texte de Diderot Lettres sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient. Mais si, en effet, ce travail s’adresse aux voyants, il émane au départ de Mado, de sa cécité qu’elle nous a permis d’aborder non par la médicalisation ou la compassion, mais par une activité d’expression qui nous a conduits à découvrir la convergence des perceptions par le toucher, entre voyants et non voyants.

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