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[verso-hebdo]
30-06-2021
La lettre hebdomadaire
de Jean-Luc Chalumeau
Fromanger vivant
Sur la carrière de Gérard Fromanger, Clémentine Mercier a très bien dit l'essentiel dans Libération samedi dernier. En ces heures de deuil, il me reste peut-être à témoigner de la relation essentielle de Gérard avec la mort. Le peintre n'a pas connu que des succès éclatants : Roxana Azimi évoque dans Le Monde l'accueil « frileux » de son exposition Tout est allumé au Centre Pompidou en 1980. J'étais là et je peux le dire, ce fut pire : glacial, car la presse resta obstinément silencieuse. Que lui reprochait-on au fond ? D'être trop jeune (41 ans) ? D'avoir trop de talent ? Toujours est-il que, durement atteint, Fromanger décida de partir. Il s'installa avec Anna, sa compagne, près de Sienne où je le rejoignis en 1982 pour préparer son retour en France à l'occasion d'une grande exposition au musée des Beaux Arts de Caen. Mon texte eut pour titre Fromanger vivant : on va comprendre aujourd'hui, au moment de son deuxième départ, hélas définitif, pourquoi toute la peinture de Gérard, jusqu'au bout, aura été une bataille contre la mort.

La chapelle-atelier
Les frères Lorenzetti sont tous deux morts de la peste, en 1348 à Sienne. C'est à cette date que s'est brisé pour un temps l'extraordinaire éveil artistique de la cité. La mort noire était de retour, plus impitoyable que jamais, après s'être plusieurs fois montrée aux Siennois qui avaient peut-être cru en être débarrassés. N'avaient-ils pas offert à Dieu la proche chapelle de Montauto, dominant les plus belles crêtes de Toscane, pour le remercier d'avoir chassé la maladie un siècle plus tôt ? Mais le mal et la mort reviennent toujours, eux qui ne sont pas des fins - dans tous les sens du terme - mais des moyens, comme l'enfer même dont Dante disait qu'il a été « créé par le premier amour » : celui de Dieu accordant à sa créature le droit inouï de lui dire non et de se perdre à jamais. C'est dans cette même chapelle-bergerie-offrande devenue la demeure et l'atelier du peintre Gérard Fromanger, que je tente de dormir ce soir, 18 septembre 1982. La nuit chaude a effacé peu à peu le prodigieux paysage de collines claires, meurtries par le feu de l'été, et de crêtes sombres. Le ciel a maintenant retrouvé le bleu intense et presque surnaturel que lui a donné Pietro Lorenzetti dans sa grande Crucifixion d'Assise.

La peinture comme réponse au complot universel de la mort
Tout à l'heure, Fromanger m'a montré douze grands tableaux qu'il a réalisés ici. Des tableaux coups de poing, des tableaux-cris, des tableaux-chants, des tableaux-rires aussi. Ils ne peuvent plus sortir de mes yeux. Au reste, comment dormir ? Depuis hier un massacre d'enfants et de femmes a commencé dans les camps de Sabra et de Chatila, à Beyrouth. Les gens qui tuent se disent chrétiens. Ceux qui auraient pu les arrêter, et qui ont laissé faire, sont juifs. Révolté, douloureux, le peintre guette les informations des radios en attendant le bulletin de la nuit à la télévision italienne. La peste noire est revenue. Pour lui faire face, ce soir comme il y a six siècles, il n'y a que la peinture.
Face à face dérisoire ? Y-a-t-il quelque chose de plus vain, de plus inutile que ces formes colorées devant l'indéracinable puissance de la haine, de la terreur et du froid ? « Eh bien, a répondu une fois pour toutes Van Gogh au nom de tous les peintres, mon travail à moi, j'y risque ma vie... » C'était le 29 juillet 1890. Le soir même, Vincent était mort : mais sa peinture nous réchauffe encore. Gérard Fromanger appartient à cette race de peintres pour qui miser toute son existence sur la peinture va de soi. Son travail participe de la réponse de la vie au complot universel de la mort. C'est l'affirmation que, vivant, le peintre a pour mission essentielle de communiquer à d'autres le goût de vivre malgré tout. Sinon, à quoi bon ?

Fromanger est parti
Le monde est là, fait pour être intensément regardé, et prêt à passer dans la peinture. Mais bien pauvre serait le peintre qui se contenterait de regarder le monde et de faire, d'un fragment de ce monde, sa peinture. « car voici, il est au regard une limite. Et le monde assez regardé. Veut dans l'amour s'accomplir. » Qui ne sent, avec Rilke, que la maladie mortelle du monde, encore et toujours, c'est l'inacomplissement de l'amour ? Après quinze ans de lutte, Fromanger le peintre « politique » (comme on disait en 1968), l'homme du « Rouge » et du « Désir est partout », l'auteur de films-tracts réalisés avec Jean-Luc Godard, Fromanger le peintre en vue - trop en vue pour certains - qui dynamita les cimaises du Centre Pompidou en 1980 avec l'éclatante série « Tout est allumé », Fromanger est parti. La dernière image peinte pour l'exposition de Beaubourg, A mon seul désir, était un hommage à la Dame à la licorne (« mille fleurs ») du musée de Cluny : chef d'oeuvre absolu, qui concentre sur une île les signes de la vie et du bonheur. Fromanger a cherché son île et l'a trouvée au pays de Duccio, là où chaque mètre de sol parle peinture.

Le difficile, c'est de blanchir la toile
C'est là qu'il vit et que, vivant, il cherche passionnément l'adéquation la plus complète possible entre les formes qu'il invente et la vie qui, tumultueuse, terrible ou joyeuse, vient à lui comme elle est déjà en lui. La vie qui vient à lui : c'est Anna, la femme qu'il aime, ce sont les paysans toscans qui l'ont accueilli comme un frère, ce sont les enfants martyrisés de Beyrouth, toutes les victimes de toutes les causes, bonnes ou mauvaises, et les amis qui passent, avides de la chaleur de ce foyer. C'est là que Fromanger peint. Il ne faut pas lui parler d'on ne sait quelle angoisse de l'artiste devant la toile blanche. « Mais ma toile n'est jamais blanche ! s'exclame-t-il. Elle est pleine au contraire de trop de choses dont le monde et ma tête sont remplis. Le difficile, c'est de blanchir la toile, c'est de recouvrir par des images neuves celles que nous portons tous en nous. Il faut oublier tout ce que l'on sait, se rendre neuf pour soi-même, accepter le risque de l'invention, car on n'est jamais sûr d'inventer... Mais la blancheur de la toile, c'est la seule manière de parvenir, peut-être, à donner une image fraîche du monde. C'est le seul moyen de prouver la liberté. »

Les Etrusques, inspiration d'une vie
Les oiseaux, les chevaux et les personnages de Fromanger, venus de l'imagerie étrusque, tout comme ses paysages toscans, ne disent rien. Il n'y a pas de message ici, nul « projet » ne se propose à l'adhésion de l'intellect. Ils contredisent, et c'est tout. Par leur seule présence, par l'ivresse des couleurs (toutes les couleurs, et si possible, plusieurs fois toutes les couleurs). Gilles Deleuze a écrit que « les tableaux de Fromanger ne veulent rien dire, mais ils fonctionnent. » Oui, ils ne veulent rien dire mais ils parlent toujours de la même chose vitale, celle-là même que découvrit Schubert en laissant venir à lui les accords lumineux de La Jeune Fille et la mort. Anna et Gérard viennent de remettre ce disque - leur fétiche - qui habite maintenant la nuit. A la dernière note du quatuor, d'autres enfants auront été tués, à Beyrouth ou ailleurs. Oui, vraiment, ce monde est à contredire. J'entends la porte de l'atelier qui se referme. Fromanger s'est remis à peindre.
J.-L. C.
verso.sarl@wanadoo.fr
30-06-2021
 

Verso n°136

L'artiste du mois : Marko Velk

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