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[verso-hebdo]
14-10-2021
La chronique
de Gérard-Georges Lemaire
Chronique d'un bibliomane mélancolique

Les Thellusson, une dynastie de grands amateurs d'art, bilingue, Bertrand du Vignaud, Editions in fine, 208 p., 35 euro.

Bertrand du Vignaud nous fait une grande famille bourgeoise, qui aurait ses origines dans le monde protestant (leur ancêtre, Symphorien, a fui la région de Lyon en 1572) qui a émigré à Genève. Un siècle plus tard, ses descendants figurent parmi le grandes fortunes de la cité calviniste. Cette famille a connu une expansion assez extraordinaire, surtout en France et en Angleterre, beaucoup de succès dans les affaires et par conséquent développe des relations privilégiées avec les architectes et les artistes de leur époque. Issac Thellusson (1690-1795), fils de Théophile, titulaire d'une maison de commerce, qui décède en 1705. Ce fils va alors travailler à Bâle et à Amsterdam. Il veut réussir dans le commerce. Il se rend chez son oncle Louis Guiguer, qui est associé avec Nicolas Tourton. La banque Tourton et Guiguer voit le jour à Paris en 1707. Après de années d'apprentissage, il reprend la banque en 1715, qui se nomme désormais Thellusson et Cie.
Il fonde une nouvelle société en 1726 avec François Tronchin, qui et dissoute en 1740. Isaac entreprend une carrière politique à partir de 1728, année où il est élu au Conseil des Deux Cents à Genève. Deux ans plus tard, il devient ministre de la République de Genève auprès du roi de France. Il est élu au Conseil des Soixante en 1733. Il s'établit de manière définitive à Genève dans l'ancienne demeure Tronchon près de l'hôtel de ville. Il décède en 1755 dans a main de Champel. Il a fait faire son portrait par Hyacinthe Rigault (1722) et celui de son épouse par Nicolas de Largillierre (1725). Son fils Peter (1735-1797) crée la branche britannique de la famille. Sa fortune est le fruit de la fondation de la banque familiale à Londres et à ses activités commerciales, dont de raffineries de sucre et l'importation de tabac des Antilles. Il était aussi propriétaire d'esclaves. Il s'est fait construire une grande propriété à Bromley dans le Kent.
Il semblerait que Thellusson ait inspiré Charles Dickens dans deux romans, Bleak House et A Tale of Two Cities. Ses trois fils ont repris la direction de la banque. Leur famille a eu une grande influence sous le règne de la reine Victoria. A Genève, Isaac-Louis de Thellusson (1727-1790) a choisi Jean-Etienne Liotard, peintre déjà très réputé, pour peindre un portrait de lui en compagnie de sa seconde épouse, Julie Ployart, en 1760. A Paris, Georges-Thobie de Thellusson (1728-1776), le fils d'Issac, débute dan la banque entre les Pays-Bas, Genève et Paris. Son père devient l'associé de Jacques Necker et Isaac Vernet lors de la fondation d'un établissement bancaire en 1756. Georges-Thobie propose à Necker de devenir on partenaire : c'est la naissance de la banque Thellusson, Necker et Cie. En 1769, il achète le domaine de Marnes. Il s'est beaucoup intéressé aux art et à possédé La Vierge, l'Enfant et saint Jean-Baptiste, attribué (à tort) à Léonard de Vinci, Le Repos en Egypte de Poussin, de oeuvres de Le Lorrain, Le Sueur, Bourdon, Fragonard, Watteau, Greuze (Le Gâteau des rois, 1774) et aussi Van Loo, Houdon, Watelet et Gabriel de Saint-Aubin. Jacques-Louis David a fait le portrait de on épouse, Louise Rillet. Houdon a aussi fait son buste en marbre. L'hôtel particulier des Tellusson a été conçu par Nicolas Ledoux. Et l'histoire de cette famille fortunée et loin de s'achever avec la Révolution française. Je laie le soin aux lecteurs de le découvrir dans cet ouvrage d'une grande richesse.




Les Ebénistes de la Couronne sous le règne de Louis XIV, Calin Demetrescu, La Bibliothèque de Arts, 440 p., 59 euro.

Le style Louis XIV est toujours en vogue de nos jours et de nombreuses copies sont encore produites pour le plus grand plaisir de riches amateurs. Le design moderne et contemporain n'a jamais pu détrôner cette conception du mobilier et de la décoration qui remonte au XVIIe siècle.Louis XIII et son ministre, le cardinal de Richelieu, pourtant le plus grand collectionneur de son temps n'ont pas pu s'occuper de quêtions artistiques et esthétique à cause des problèmes intérieurs et extérieur. Le jeune Louis XIV, grand amateur d'art, lui-même danseur de haut rang, a compris l'importance de l'art dan son projet politique. Tout devait manifester sa puissance et on absolutisme - la littérature, la musique, le chant, la danse, l'opéra comme la peinture, la sculpture et les arts dits mineurs.
L'auteur a fait ici une étude qui et vraiment une somme considérable permettant d'avoir une vue complète des principes esthétiques, des modalités de fabrication, des officines qui ont réalisé ce mobilier et les principaux artisans qui se sont illustrés dan la fabrication de ce genre de créations en rupture avec ce qui a précédé. Ce volume est une véritable encyclopédie en ce domaine, faite avec un soin infini. Les techniques sont examinées avec méticulosité autant que le caractéristiques dans le registre du style. La marqueterie prend alors un essor impressionnant et les matériaux pouvant être utilisés sont déplus en plus nombreux, de l'écaille à l'ivoire et au cuivre. Cela dénote un souci extrême de raffinement, mais aussi une volonté de rendre le mobilier fastueux - sa fonction n'a d'égal que sa beauté intrinsèque.
La seconde partie de ce volume monumental nous indique quels sont les grands maîtres de l'artisanat à l'origine de ces ateliers où prime l'excellence autant que l'invention. Ce qui frappe le plus, quand on découvre leurs oeuvres, c'est l'incroyable variété de leurs compositions qui fascine le plus. Avec ce énorme travail de recherche, le spécialiste et l'antiquaire, tout comme le simple amateur que je suis peut être au fait des nombreuses réalisations faite pour le roi, la noblesse et la bourgeoisie enrichie du Grand Siècle. Ceux qui apprécient ce style ne peuvent faire l'économie de ce guide inestimable.




Anselm Kiefer, biographie, José Alvarez, Editions du Regard, 352 p., 23 euro.

Avant de parler de l'artiste, je voudrais parler de l'auteur. José Alvarez est bien connu comme créateur et directeur des Editions du Regard. Il nous y a fait découvrir des choses fabuleuses (je pense en particulier aux protagonistes de l'art d'avant-garde russe et soviétique, qui, quand il a eu l'idée de les publier, n'étaient pas encore très connus en France). Il a aussi publié des monographies remarquables de créateurs contemporains. Mais, comme auteur, il s'est fait plutôt rare et il faut le déplorer. Cette vie de Kiefer est bien écrite et, mieux que cela, elle est passionnante et donne vraiment l'envie d'en savoir toujours plus sur cet artiste allemand. Il sait très bien passer de l'analyse la plus fouillée aux souvenirs personnels. Il ne respecte pas les règles du genre car il va-et-vient dans la temporalité de cette existence passionnée et très bien remplie. Mais les détours qu'il choisit de prendre ne sont pas liés à un caprice ou à une pensée folâtre, mais à un fil rouge qu'il entend suivre pour suivre ensuite un autre cheminement. Il faut aussi dire que les conceptions esthétiques de Kiefer et l'abondance de sa production artistique ne permettent pas véritablement un développement chronologique classique.
C'est avec beaucoup de subtilité qu'Alvarez nous introduit à la culture propre à ce grand créateur qui sous-tend sa réflexion - la philosophie où Martin Heidegger tient une place, mais aussi l'éthique de Spinoza -, la poésie - avec Paul Celan et Ingeborg Bachmann, pour ne citer qu'eux, l'astronomie, et bien d'autres domaines de connaissance. Il a aussi la faculté de mettre en évidence les grands thèmes qu'il a tenu à explorer : la forêt, la mer, les lieux et les produits de l'industrie. Il explique de manière très fine sa relation au monde et explique sans périphrases et sans effets de manche (ou de langage) les principaux ressorts qui animent ses oeuvres. Il souligne d'emblée que Kiefer n'est ni conceptuel ni un ennemi acharné de la tradition : il peut tout aussi bien peindre des tableaux que de réaliser de grandes installation. Je ne dois non plus oublier qu'il a mis l'accent sur une démarche originale et parfois véhémente où il tient à rappeler que l'Allemagne d'aujourd'hui n'est pas issue d'une année zéro, et que Kiefer évoque souvent la mythologie de ses ancêtres (surtout les Nibelungen) tout comme la résonance de la période du national-socialisme. Il montre combien il insiste sur sa passion inépuisable l'Histoire, en en marquant ses conséquences et souterraine, fait valoir que l'empreinte sournoise du passé est à la fois lancinante et douloureuse. D'où son insistance sur la Shoah et aussi sur le sujet du livre brûlé, qu'il a si bien mis en scène en diverses occasions (je pense à ce qu'il a présenté à la chapelle de l'hôpital de la Salpetrière). En sorte que notre auteur nous fait le portrait d'un homme hanté par la conscience blessée de notre univers où l'on cherche souvent à échapper aux démons du passé.
En définitive, nous sommes confrontés à une introduction déjà approfondie sur le cheminement intellectuel et purement artistique d'Anselm Kiefer, qui s'impose désormais comme l'un des plus grand artiste de notre époque. Dans le désastre généralisé de l'art dit contemporain, sa voix dissonante qui rétablit des valeurs, qui peuvent sembler extravagante et qui, en fin de compte, se révèle une incroyable perception de ce que nous sommes. A mon sens, et je ne crois pas me tromper, ce livre va compter et va laisser une trace car il doit nous servir de vadémécum pour apprendre à déchiffrer les menées parfois énigmatiques d'un individu qui observe, médite et traduit par des formes monumentales et souvent cryptiques de notre civilisation qui donne le sentiment de nous trahir. A lire de toute urgence.




Santiago Arranz, el artista en su labinrinto, Pablo J. Rico, McH, Huesca, 160 p.

Je ne cesse de le dire à tous vents : Santiago Arranz n'a pas la place qu'il mériterait dans le monde de l'art contemporain. Mais ce fit le cas de très grands créateurs, dans le passé, nous le savons et rien ne pourra y changer quelque chose à moins qu'un dieu di ciel des arts s'en mêle sérieusement. S'il a choisi d'être figuratif à ses débuts, il l'a fait dans un esprit loin d'être réaliste. Ses personnages sont souvent étranges, baroques, fruit d'une pensé de l'inconscient, et un peu grotesques, entre les dessins attribués à Rabelais et ceux de Goya (mais d'assez loin car ils n'ont rien de diabolique ou de violemment caricatural). Il suffit de voir Figura con volutas de 1988. Ses animaux, surtout le taureaux (je songe par exemple à Toro celta, 1988), ont un caractère mythologique, avec une vague, mas néanmoins prégnante sensation d'antiquité classique, mais qui sont de sa pure imagination. Il établit les grandes règles de son esthétique personnelle avec la longue suite de Ciutades invisibles qu'il a commencée en 1990. Pour se faire, il s'est inspiré du célèbre livre d'Italo Calvino, Les Villes invisibles, qu'il n'illustre pas, mais il le traduit en concevant une forme unique qui serait celle de cette cité fantomatique, dont les contours sont reconduits d'une toile à l'autre.
Il y inscrit des formes ou des symboles. Il y dépeint son microcosme où toit n'est que douce rêverie et poésie. Son oeuvre ne cesse de se modifier au fil des années, mais sans jamais abandonner ses fondements essentiels. Engagés dans des travaux avec des architectes à Saragosse, il en est venu à concevoir des créations s'intégrant parfaitement avec le bâtiment. Il conçoit un alphabet, qu'il décline ensuite en différentes Iconografias au début des années 2000, où il pousse le plus loin possible la stylisation de ses. Dans le même esprit, il dessine les Llaves, qui sont des éléments formels pour entrer dans le jeu visuel de volumes ou de l'architecture proprement dite. Il a pu ainsi développer une langue plastique d'une grande pureté de lignes, mais autorisant aussi d'infinies combinaisons.
C'est un exemple rare d'intégration dans une totalité en trois dimensions. Mais il n'en a pas pour autant renoncé à la peinture. Il a donné naissance à d'autres cycles, comme celui des jouets (1909), des Formas (ou encore celui des paysages, parmi d'autres, car sa fantaisie n'a pas de limites. Chacun d'eux est le moyen de poursuivre ce qu'il avait fait auparavant ou de s'offrir de nouveaux instruments pour ses oeuvres. L'exposition s'achève par une grande installation circulaire qu'il a baptisé M. Jupiter (2020), qui est un labyrinthe fait à partir de volumes géométriques d'un même gris clair. Santiago Arranz reste donc à découvrir. Et j'aimerais que ce soit le plus vite possible.




La Rafle des notables, Anne Sinclair, Folio, Gallimard, 128 p., 6, 60 euro.

En 2012, Anne Sinclair avait écrit un livre admirable sur son grand-père, Paul Rosenberg, qui avait été l'un des plus grands marchands d'art parisiens entre les deux guerres (21 rue de la Boétie, Grasset). Aujourd'hui, elle raconte l'histoire de son grand-père maternel, Léonce Schwartz. Ce livre à point nommé quand un journaliste plein de morgue et qui fait croire qu'il va se présenter aux élections présidentielles, a affirmé, sans vergogne, sans que cela ne de toutes parts soulève des tollés indignés, que le maréchal Pétain, chef de gouvernement de Vichy, aurait tout fait pour sauver les Juifs français (il est à noter que l'idée était du filou de Pierre Laval, qui a voulu faire croire à cette légende). Elle nous rappelle que le 12 décembre 1941, il y avait déjà une rafle d'un nombre restreint de Juifs français (743 au total), qui étaient surtout des personnes de la bonne société bourgeoisie avaient été conduits au camp de Compiègne-Royallieu où il sont rejoint par trois cents autres individus. Elle avait toujours vécu jusqu'alors avec la légende de la grand-mère qui aurait fait sortit son mari de Drancy en entrant dans le camp avec une voiture d'infirmière. Le 27 mars 1942, ces malheureux ont été transférés à Auschwitz. Dans ces pages, Anne Sinclair relate la triste saga de la famille Schwartz, qui commence en 1941, un an avant le port obligatoire de l'étoile jaune.
Léonce Schwartz fait le commerce de la dentelle qu'il fait tisser à Bruges. Anne Sinclair décrit en détail les conditions de vie dans ce camp qui était gardé par les soldats de la Wehrmacht, qui se sont montrés d'une brutalité rare. Elle s'appuie sur de documents officiels, mais aussi des souvenirs des rescapés de cet enfer. C'est ainsi que l'on peut comprendre qui étaient ces prisonniers d'exception, de médecins, des dentistes, de polytechniciens, des gens de théâtre, des hommes décorés pour beaucoup de la Légion d'honneur et qui ont fait la Grande Guerre. Quand à Léonce Schwartz, il figure parmi ceux qui ont été libérés pour des raisons de santé et il s'est retrouvé au Val-de-Grâce à la fin de l'hiver 1942 (les Allemands ne voulaient pas s'encombrer de grands malades). Et elle s'interroge enfin sur quelques mystères qu'elle n'a pas pu résoudre : par exemple, comment ce grand-père a-t-il pi vivre à Paris sans porter l'étoile jaune ? Et pourquoi tant de choses lui ont été cachées à propos de cette affaire ? C'est un livre indispensable pour regarder en face cette phase de l'histoire récente de la France, dont on voit maintenant resurgir les fantômes inquiétants.
Gérard-Georges Lemaire
14-10-2021
 

Verso n°136

L'artiste du mois : Marko Velk

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Christophe Cartier

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édité aux éditions du manuscrit.com