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[verso-hebdo]
28-02-2019
La chronique
de Gérard-Georges Lemaire
Chronique d'un bibliomane mélancolique

Antonello da Messina, sous la direction de Giovanni Carlo & Federico Villa, Skira, 3o4 p., 4o euros.

Antonello de Messina (vers 143o-1479) est un artiste dont on sait assez peu de choses. Ce qui d'ailleurs n'est pas rare pour les peintres et sculpteurs de la première partie de la Renaissance. De plus, dans la belle exposition présentée au Palais Royal de Milan, les commissaires ont fait le maximum pour rassembler le plus grand nombre possible d'oeuvres de sa main, car sa production n'a pas été énorme (pour ce que nous en savons). Mais ils sont parvenus à montrer un certain nombre de dessins et de carnets (neuf au total) qui sont extrêmement précieux pour comprendre sa manière de travailler. Dans ses Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes, Giorgio Vasari le range parmi ceux qui ont grandement contribué au progrès de la peinture en Italie, en faisant de lui l'un des premiers connaître la technique de la peinture à l'huile, ce qui est tout à fait exact. D'après lui, c'est parce qu'il aurait vu un tableau de Jean de Bruges dans les collections du roi Alphonse à Naples (où il a pu sans aucun doute voir aussi des oeuvres de Van Eyck et de Roger van der Weyden). Selon lui, il se serait même rendu à Bruges pour faire la connaissance de cet artiste et aurait appris cette technique dans son atelier ; pure conjecture ! Vasari raconte qu'à Venise, maître Domenico Veneziani « obtint le secret précieux qu'Antonello avait acquis avec tant de peine... ». Mais il est plus probable qu'il ait appris cette manière de peindre auprès de son maître Antonio Colantonio dans la cité parthénopéenne. Mais si l'on connaît très mal son existence, on sait qu'il est allé travailler dans de nombreuses villes de la péninsule et qu'il avait une très bonne connaissance de la perspective telle qu'on la pratiquait alors à Florence. C'est en tout cas ce que démontre son superbe Studiolo di san Girolamo. Dans le catalogue de l'exposition, on apprend quelques nouveautés sur sa vie car Gaetano La Corte Cailler a retrouvé des documents encore inconnus, comme le testament de sa grand-mère, le retour de Calabre avec sa famille sur un brigantin, la dote de sa famille, son propre testament. C'est qui est considérable étant donné la rareté des textes le concernant ! On reste toujours surpris de la taille infime des portraits qu'il a peints (surtout si l'on songe aux portraits en pieds plus grands que nature exécutés par Rubens puis par Van Dyck à Gênes) ; son célèbre portrait de la Vierge de l'Annonciation (vers 1476), qui se trouve dans les collections du palais Abatellis de Palerme provoque le même étonnement mais est un de ses plus purs chefs-d'oeuvre. On ne possède de sa main que quelques ouvrages religieux d'une relative importance comme le polyptique de la Vierge avec saint Jean Evangéliste et saint Benoît (1471-1472), L'Annonciation (1474) ou la plus petite Crucifixion (1475), une composition superbe et bouleversante, qui ne possède pas moins un immense pouvoir de suggestion. Les essais contenus dans ce catalogue permettent d'avoir une vision un peu plus ample de cet artiste énigmatique et les carnets et dessins de la Biblioteca Marciana qui sont présentés en regard des ouvrages concernés nous offre la possibilité de mieux saisir le sens de sa démarche. C'est une réussite incontestable. Il serait dommage de ne pas voir cette exposition et de consulter ensuite ce catalogue si riche d'enseignement.




Andy Summers, une certaine étrangeté, Gilles Mora, Hazan / Montpellier, 144 p., 24,95 euros.

Andy Summers (né en 1942 à Blackpool) est surtout connu comme musicien et guitariste du célèbre groupe rock The Police. Mais il s'est aussi beaucoup consacré à la photographie et son premier album Throb qui a paru en 1983. La présente exposition du Pavillon Populaire de Montpellier est essentiellement tirée d'un série plus récente intitulée Let's Get Weird ! Il y raconte comment il est devenu passionné de cette pratique (souvenir d'un vieux cinéma de banlieue en Angleterre) Il a commencé ce cycle de clichés, ainsi qu'il le souligne dans un texte reproduit dans ce catalogue, qu'il a commencé à New York en 1979. S'il se perfectionne sur le plan technique, il n'est pas allé en quête d'une reconstruction formelle du réel, ni d'ailleurs d'un type bien précis de sujets. C'est le hasard, la surprise, l'incongru qui surgit tout d'un coup qui mène la danse. C'est ce qu'il perçoit au détour d'un rue, dans un espace public, en fait un peu n'importe où à partir du moment où l'image fait sens pour lui. Dans l'ensemble des photographies réunies à cette occasion, on comprend qu'il aime se laisser surprendre. Ses oeuvres sont parfois proches d'une sorte de surréalisme et en tout cas de l'étrange, même si, au fond des choses, elles n'ont rien de fantastique : c'est un certain contexte, une disposition curieuse, une présence insolite qui le motivent et qu'il s'efforce de capter dans l'instant. D'où d'ailleurs son absence d'application formelle : il n'a qu'une poignée de secondes pour capturer ce qui lui paraît si attirant. On remarquera qu'il n'y a que très peu de portraits posés dans ce groupe de photographies. Il amie le dynamisme de la vision qui est le ressort principal de sa quête. On voit un garçon de salle noir vu en contrebas qui tient un plateau rempli d'assiettes, une jeune fille qui s'est arrêté près d'un arbre pour téléphoner à Shanghai, une rue déserte à Tokyo, ce qu'il ya de plus banal se transformant tout d'un coup en ce qui peut être le plus bizarre. Il ne recherche ni le pittoresque, ni l'onirique : simplement une légère distorsion de ce que nous avons sous les yeux et qui se métamorphose tout d'un coup en une vue captivante. Il n'a même pas l'intention d'étonner ou d'éberluer le spectateur, mais plutôt de lui montrer comment le quotidien a la faculté de se métamorphoser devant lui sa plus grande surprise et de donner au vécu une dimension supplémentaire.




Bébé tu performes ? Collectif, BLAD&NAD (bladenad@laposte.net), 113 pages, 2o euros.

Depuis quelques décennies, ce qu'on a appelé le Happening est désormais dénommé performance, car le champ de ses prestations s'est considérablement élargi et diversifié. Dans ce petit recueil au titre divertissant, l'éditeur a recueilli les propos d'un certain nombre d'artistes certains étant très connus, comme Julien Blaine Charles Dreyfus ou Orlan, et d'autres plus jeunes ou moins connus, accompagnés de quelques photographies montrant ces artistes en pleine action. Ce livre est d'un intérêt incontestable car il permet de comprendre la démarche de chacun d'eux, ce qui n'est pas toujours très évident, d'autant plus que cet art repose sur une temporalité très fugace. Il ne reste que la trace figée de leurs créations. Si d'aucuns ont décrit l'art de la performance et l'ont expliqué et commenté, au fond, rien ne vaut vraiment la pensée de chaque artiste. Il faut donc considéré cet ouvrage comme une véritable introduction et aussi comme un petit vadémécum pour apprendre les codes adoptés par chacun d'eux, car aucune de ces « compositions » ne sont semblables ni assimilables les unes aux autres ! Julien Blaine a même prophétisé (non sans quelques ambiguïtés !) la fin de la performance ! Le tout est présenté avec simplicité et avec goût, sans rien d'inutile. Bien sûr, il n'est pas possible dans ces pages d'estimer la valeur de ces mises en scène publiques, mais, au moins, on peut prendre la mesure de ces recherches et de comprendre quelles ont pu être leurs motivations. Indispensable par conséquent pour tous les amateurs de l'art de notre temps qui n'a de laisse de chercher de nouvelles formes d'expression spectaculaires.




Massimo Arrighi, Claudio Spadoni, Edizioni IBC, Istituto per i Beni Culturali e Naturali della Regione Emila Romagna, 92 p.

Massimo Arrighi fait partie de ces artistes italiens qui ont choisi la monochromie (en partie dans son cas, car il a recours aussi à la bichromie) - je songe à Umberto Mariani, à Domenico Doora et à Giampiero Podestà - qui sont les héritiers d'une histoire bien singulière de l'art moderne. Sans entrer dans tous les détails, rappelons que le débat sur cette question a commencé par un dialogue houleux entre Kazimir Malevitch et Alexandre Rodtchenko juste après la Révolution d'Octobre, qui s'est élargi à leurs groupes respectifs, les suprématistes d'une part, et les constructivistes d'autre part. Cette confrontation théorique ne durera pas longtemps car le régime de Staline y met un terme définitif au bénéfice du réalisme socialiste. Cette volonté d'aller jusqu'aux confins de la peinture est tombé dans l'oubli et ne sera redécouverte par des historiens d'art qu'au cours des années 197o. Le choix de la monochromie a été proposé de nouveau par Robert Rauschenberg au début des années 195o. Par la suite, Ad Reinhardt, Lucio Fontana, Alberto Burri, Pierre Soulages, Emilio Scavanino, pour ne citer que quelques artistes qui ont opté pour cette recherche radicale. Dans le cas précis de Massimo Arrighi, il ne s'agit pas d'aller plus loin que ses prédécesseurs, mais plutôt de chercher comment enrichir cette réduction du champ plastique. Il a voulu donner un relief à ses compositions, avec des plis en relief, d'abord verticalement, et ensuite par un jeu assez subtile à la surface de la toile qui est constitué de lignes discontinues et brisées, qui donne le sentiment de la propagation d'une onde sonore. Pour lui, la confrontation de deux couleurs semble être le moyen d'accentuer la puissance de chaque plage colorée, qui est nécessairement exaspéré par cette mise en relation parfois harmonieuses, d'autres fois plutôt conflictuelle. Si son registre plastique est étroit, les variations qu'il imprime dans chacune de ses oeuvres ouvrent des horizons faisant apparaître de nouvelles possibilités et une autre intelligence de la peinture, plus complexe qu'il ne paraît.




Entretiens Facsimilés, Gilles Barbier, Editions du Regard, 192 p., 44 euros.

Gilles Barbier est né aux Nouvelles Hébrides (Vanuatu) en 1965. Il est venu en France étudier à la faculté des Lettres d'Aix-en-Provence, puis il s'inscrit à Luminy, l'école des beaux-arts de Marseille. Depuis lors, il s'est installé dans cette ville et y poursuit une oeuvre artistique qui s'est sans cesse développée dans plusieurs directions, de la sculpture à la photographie, de la peinture une forme très particulière de performances sous la forme de cérémonies. Il refuse obstinément de s'enfermer dans un genre ou dans une formule formelle ou esthétique. Il a réalisé un nombre impressionnant de clones de sa propre image. Il entend de ne jamais s'arrêter à une formule et entend faire de l'art une sorte de continuum l'entrainant chaque fois dans de nouvelles directions. Il inclus la littérature dans sa création, mais aussi la science fiction et même la bande dessinée. Il est parvenu à se construire une solide réputation dans le microcosme de l'art et a exposé dans de nombreux musées en Europe et aux Etats-Unis. Cet ouvrage est un peu particulier dans ce contexte car il représente son carnet de bord. Ce n'est pas un journal de bord ou un journal intime, ce n'est pas non plus un ensemble de textes théoriques, mais plutôt une suite très appliquée de notes manuscrites sur des auteurs (de Roland Barthes James Joyce et Marcel Proust, ou sur des artistes, tels que Marcel Duchamp Carl Andre) et on y rencontre Britney Spears et Tintin aux côtés de Johannes Vermeer ! Un chapitre complet est rédigé en anglais. Ce qu'on y découvre, c'est des commentaires sérieux mais jamais pédants sur la relation qu'il entretien avec tel ou tel, ou encore ce que l'oeuvre d'un auteur, ancien ou contemporain peut lui inspirer. Ces pages manuscrites, avec leur écriture fine et serrée, « en pattes de mouche », presque celle d'un écolier, sont d'une grande liberté de ton, mais jamais ludiques ou extravagantes. Si l'esprit de sérieux, n'est pas du tout de règle chez lui, ses notes demeurent néanmoins des considérations personnelles mûrement réfléchies, parfois étranges ou inattendues. Et chaque fois, il fait le portrait des intéressés dans un style qui est plus proche de la caricature (mais une caricature sans violence) ou du croquis pris sur le vif. C'est intéressant et curieux, un peu en marge de tout ce qu'on connaît dans le genre, avec un mélange curieux d'encyclopédisme et de portrait concis non de la personne mais de son oeuvre. Mais il ne joue pas à l'écrivain : il tient à l'originalité de son propos qui serait un mélange de fanatique du grand Larousse et de notes de lecture ou d'appréciation d'un travail pictural ou autre. Les amateurs de Gilles Barbier seront heureux de voir paraître cet ouvrage mythique leurs yeux.




Transbordeur photographie, histoire, société,  n°3, Editions Macula, 240 p., 29 euros.

La revue Transbordeur, dirigée par Christian Josche et Olivier Lugon est sans aucun doute la plus intéressante sur cette question qui existe en France ; cette fois la réalisation du dossier a été confiée à Estelle Blancke et à Davide Nerini, et a pour thème « Câble, copie code ; photographie et technologie de l'information ». En des termes plus simples, il s'agit de montrer de quelle manière la technique, la pensée et l'utilisation de la photographie se sont profondément métamorphosés et diversifiés avec les progrès rapides des nouvelles technologies au point de dépasser de loin ses capacités initiales. Dans la première partie, on découvre des essais sur le microfilm, sur la presse illustrée, sur le rapport entre photographie et intelligence artificielle, sur la connivence avec la politique de la documentation. Ensuite, il est question de mémoire, puisqu'on parle de la photothèque du musée de l'Homme ou encore des photographies prises au Maroc par Gaétan Gatien de Clérembaudt au début du siècle dernier, et d'une affaire pour le moins curieuse : le rapport entre le documentaire sociale et le mysticisme. Sous une apparente austérité, cette revue ouvre des champs de connaissance parfois mal connus ou quelques fois ignorés et d'autres fois incongrus, mais toujours pertinents. Les sujets les plus savants se mêlent à des sujets qui ont trait au quotidien. Cela donne une liberté très grande de conception de l'ensemble du numéro, et aussi un plaisir de la lecture, car on peut passer d'une question assez complexe à quelque chose de plus divertissant, mais qui est néanmoins riche de signification et stimulant pour notre curiosité. Je ne prendrai qu'un seul exemple : celui du texte de Monika Dommann intitulé « Une petite histoire de la photographie à l'heure des copyshops  » : c'est une question, au-delà des apparences, toute à fait intéressante, et son iconographie rend cette étude des plus passionnantes et même des plus bizarres. En somme, Transbordeur photographie, histoire, société est une revue qui concerne un public qui excède de loin les seuls amateurs de cette pratique née au XIXe siècle.




De l'inframince, brève histoire de l'imperceptible de Marcel Duchamp nos jours, Thierry Davila, Editions du Regard, 312 p., 29,9o euros.

Le titre de cet essai a de quoi laisser pantois. Dans sa longue préface Thierry Davila prend appui sur une anecdote assez connue qu'a narrée Pline l'Ancien dans son Histoire naturelle : le grand peintre grec Apelle apprend que son rival Protogène a réalisé des oeuvres admirables. Il décide de se rendre à Rhodes pour le rencontrer mais quand il arrive dans son atelier, il ne voit qu'une vieille femme : l'artiste était absent. Alors, voyant un tableau sur un chevalet, il décide d'y inscrire une fine ligne quasiment imperceptible, sans rien lui laisser un mot ni même une signature. Quand Protogène retourne chez lui, il comprend tout de suite le sens de cette trace labile et dessine à son tour une autre ligne de même nature. Il a tout su qui était son visiteur. Ce serait là le fondement historique de tout ce qui va suivre. La ténuité extrême, selon l'auteur a été remarquée par Julius von Schlosser et aussi notée par Henri Focillon. Ce serait en somme une donnée certaine de l'histoire de l'art qui n'a jamais été beaucoup étudiée, mais cependant jamais oubliée. Pour lui, il y a eu de grands exemples dans le passé, et il prend pour exemple les propos d'Alberti, qui en appelle à la circonspection, puis chez Léonard de Vinci, fait confirmé par Roger de Piles quand il parle de ce dernier et aussi de Raphaël. Cette notion d'invisibilité serait donc une constante de la création artistique, et celle-ci s'est présentée à nouveau avec l'art moderne. Mais il faut attendre le premier chapitre pour vraiment comprendre quelle est l'origine de ce terme au XXe siècle. Le terme a été employé par Marcel Duchamp (avec trois manières différentes de l'écrire), le considérant comme un adjectif et quand il a écrit : « Le rabot instrument grossier arrivant à peine à l'inframince.» mais subsiste un problème : dans quelle mesure Duchamp est-il sérieux dans cette formulation : est-elle théorique ou tout simplement ludique ? Il pense que c'est là une interprétation de lectures sur la mathématique faites par l'artiste. Mais quelle que soit son origine, la question demeure toujours la même. Ces considérations (qu'on a déjà pu déceler chez Jean Clair quand il fait l'apologie de l'auteur des ready mades) paraissent faire de Duchamp une sorte de génie universel qui maîtriserait bon nombre de connaissances dans différents domaines, dont ceux de la science, et qui les aurait transposés dans la sphère problématique de l'art. J'ai sur ce point quelques doutes. Les développements que l'auteur fait, en particulier sur le temps, sont loin d'être absurdes, mais sont-ils convaincants ? On se rend vite compte que l'inframince est accompagné d'autres concepts, comme celui de la petite dimension, de l'infime différence, sur l'individuel et l'universelle, etc. l'inframince pourrait être aussi l'indicateur d'une troisième dimension absente ; en somme, comme beaucoup avant lui, s'est efforcé de faire un portait totémique de Duchamp à partir de cette notion assez improbable. Et puis de là à conclure que l'artiste aurait désiré réaliser une oeuvre invisible est bien hypothétique, pour comme l'idée qu'il ait eu une vision présocratique du monde. De tout évidence, ce qui suit dans l'histoire plus récente, ce qui est déclaré à propos de Piero Manzoni et d'Yves Klein est assez difficile à inscrire dans cette problématique. L'inframince devient un prétexte pour justifier des thèses un peu bancales sur les motivations de leurs travaux respectifs. Bien sûr, l'invisible a été une sorte de gageur de la part de ces créateurs audacieux, mais c'est aussi le cas chez bien d'autres, comme Burri ou Fontana. L'art abstrait, pour l'essentiel, est en quête d'un invisible qui se traduirait par des moyens matériels qui font apparaître une dimension nouvelle de la composition d'une élaboration artistique. Mais la capture du « non-perceptible » n'est pour moi qu'une quête secondaire, même chez les créateurs plus récents que l'auteur met en exergue. Je ne dis pas que ce livre soit inintéressant et dépourvu de sens - loin s'en faut, il y a de nombreuses réflexions et intuitions qui méritent d'être examinées et analysées avec soin car elles le méritent - mais plutôt comme une recherche qui a biaisé son sujet et a exagéré une des innombrables facéties de Duchamp. L'art ancien propose de fréquentes incises invisibles ou difficilement discernables. Mais il ne faudrait pas croire que tout découlerait de la non représentabilité de Dieu le Père dans la religion catholique ! L'artiste a souvent tenté de dissimuler un autre sujet au sein du sujet immédiatement abordable de sa peinture ou de son dessin. Un objet peint peut en cacher un autre, plus conséquent. Mais ces leurres sont révélés par des indices, souvent infimes. Ici on aborde un territoire où l'important est ce qui n'est pas franchement visible. Voire.




La Nef immobile, sept contes sans fées, Jean-Luc Giribone, « les cosmopolites », Editions La Bibliothèque, 200 p., 19 euros.

Dans mes chroniques précédentes, je me suis plusieurs plaint de la rareté de la bonne littérature en France. Il est vrai que la sortie massive de plusieurs centaines d'unités romanesques lors de la rentrée littéraire brouille les cartes car personne n'est en mesure d'absorber cette production pléthorique ; mais il est clair que peu d'auteurs nouveaux parviennent à convaincre. Dans le cas de Jean-Luc Giribone, je dois dire que j'ai été subjugué dès le premier récit intitulé « Le Palais du récit ». On se retrouve dans un édifice considérable qui fait immédiatement songé à l'univers de Jorge Luis Borges. Mais cette impression doit être quelque peu amendée, car on retrouve une once de surréalisme (avec une référence explicite au passage des Panoramas) et aussi le goût pour l'onirisme ici omniprésent, mais aussi aux architectures situationnistes et à pas mal de possibles retours sur l'univers baroque ou Art Nouveau. En somme, le monde que l'auteur crée possède bien des sources et que son imaginaire délivre un espace original. Son architecte, Jordi Berni, s'efforce au début d'en expliquer la nature profonde. Des rêves ne cessent de compléter sa construction et il est persuadé que son oeuvre est une « cathédrale narrative  ». en fait on ne sait pas s'il s'agit d'une métaphore de l'art du récit ou s'il s'agit d'un palais idéal qu'un écrivain aurait eu en tête d'édifier pour rendre tangible le mouvement de sa pensée quand il écrit. Ce qui paraît évident, c'est qu'il n'est pas question ici d'autre chose que d'un édifice fictif qui contiendrait la mémoire de tant d'autres fictions. C'est une sorte de fourmillement, mais aussi un lieu où le visiteur a le loisir de voir se développer une histoire quand il s'installe dans l'antichambre. Il suit le guide qui l'amène inéluctablement à une fin, qui est une grande salle circulaire blanche elle aussi. Cette description ne cesse de se compliquer et nous faire songer que ce palais ne serait en fin de compte que la composition d'un roman. La seconde nouvelle est d'une nature différente. Il s'agit d'une vision cosmologique avec trois ciels, l'un naturel, le second surnaturel et le dernier social. Dans le troisième, le héros, Jonathan machin, avoue sa faute, sa très grande faute. Il se trouve devant des juges (mais un peu à la façon de Josef K dans Le Procès de Franz Kafka), sa faute étant bien mince, même s'il est convaincu qu'il est devenu un corps noir. Une femme, Sophia vient à son secours. Mais rien ne peut être en mesure d'arrêter son déclin inéluctable. Chacune de ces nouvelles est conçue dans une optique différente, bien que les principaux paramètres restent un peu les mêmes. « Le Neveu fou » est une merveille. Je ne vais pas vous raconter la totalité les contes, car le dernier et le plus long, qui a donné son titre au livre, apporte une notion indispensable à la compréhension du tout avec l'arrivée de la nef - un neuf surpeuplé, une nef des fous qui serait l'embarcation qui emporte l'écrivain dans son aventure hasardeuse. S'il y avait un seul livre de fiction à lire en cette fin d'hiver, c'est bien celui-ci.




Les morts ne reviennent pas, carnets 2012-2015, Michel Bulteau, Editions du Canoë, 112 p., 15 euros.

Quand on connaît un peu le parcours littéraire de Michel Bulteau, ces pages de carnets peuvent surprendre. En effet, celui qui a été le cosignataire du Manifeste électrique, donne le sentiment de s'être éloigné de son univers, qui devait beaucoup à New York, à ses poètes, à ses artistes et à ses pop stars. Mais ce n'est pas un reproche même je dois avouer avoir été surpris de voir apparaître le nom du curé d'Ars et L'imitation de Jésus-Christ ! Tout commence par la disparition de sa mère, qui le replonge dans un univers rural, en particulier celui du Cantal. Cette mort est la ligne de tension de tout ce qu'il écrit, même si ce qu'il relate en est éloigné. Ce n'est pas une autobiographie dans le sens classique, à proprement parler, mais plutôt des moments de son existence qu'il a jugé utile de consigner. Bien que les événements, les pensées, ou encore les souvenirs qu'il tient à préserver sur le papier de manière assez décousue, il est parvenu, par le jeu soigné de l'écriture à rendre son récit aussi fluide qu'attachant. Des poèmes viennent parfois s'insérer dans ces notes il y a aussi des rencontres qui sont résumées, comme celle avec Martial Raysse au Café Beaubourg, des acteurs qu'il admire, Henri Michaux, qui a joué un rôle notable dans sa vie, mais aussi J. S. Bach et Julien Gracq. Il nous emmène à Venise pour revivre quelques moments qu'il y a vécu t dont il a pu admirer ses grands peintres, de Bellini à Camillo Montevano. A mesure que l'on progresse dans la lecture de ses carnets, force est de constater que son regard sur les choses et les êtres devient toujours plus prégnant. Il est parvenu à nous impliquer dans son récit intérieur où il parle si peu de lui-même, mais de tout ce qu'il a pu apprécier ou aimer. C'est une réussite dans un genre qui ne produit plus de grandes réussites. Il faut lui en être reconnaissant.




La Grande aventure de la langue, Ingrid Seithumer & Lili Scratchy, Actes Sud junior, 6o p., 15, 9o euros.

Il est rare, et vous le savez, que je vous entretienne de livres destinés à la jeunesse à l'exception de quelques grands classiques. Mais ce livre là évoque un enjeu fondamental pour la culture de notre époque : je veux parler de la langue. De notre langue, de notre manière actuelle de la parler et de l'écrire. Sur ce point, nous avons deux inquiétudes de taille : la première est une dénaturation qui a au moins deux origines - la première étant l'idiome des quartiers périphériques ou de certaines villes de banlieue qui a gagné les lycées les plus huppés, la seconde est le fruit de la très grande modernité, en particulier les messages envoyés par le biais des téléphones cellulaires ; la seconde est la réforme stupide qui a été adoptée il y a quelques années, qui simplifie le langage et féminise beaucoup de substantif qui n'ont pas de féminin, arrivant à des aberrations . Dans cet ouvrage destiné aux plus jeunes (mais plutôt aux pré adolescents), l'auteur explique avec beaucoup de sérieux, mais aussi de concision et de simplicité, ce qu'est le langage pour l'homme, comment il se développe pour chaque individu selon des lois communes (mais avec des exceptions : Ingrid Seithumer parle du cas d'Albert Einstein qui n'a commencé à parler qu'à l'âge de quatre ans). Elle explique les divers aspects de son usage et comment elle a contribué à l'évolution de l'humanité. Le petit enfant est comme programmé pour l'apprentissage de la langue et c'est là l'une ces grandes différences avec le monde animal, qui possède aussi son langage, mais dans la limite de certains codes. Elle montre ensuite qu'il existe un nombre considérable de langues dans le monde et que certaines se sont imposées à des époques historiques déterminées. Elle fait aussi présent le fait que deux langues peuvent se contaminer réciproquement (par exemple : le créole). Puis elle en vient au sens des mots et à leur histoire. Sans être un traité de linguistique simplifié, ces pages ont le grand mérite de rendre claires toutes ces questions et d'instruire l'enfant de choses qui nous semblent évidentes, mais qui sont loin de l'être. La grande aventure du langage est un livre aussi sérieux que pédagogique, dans le meilleur sens du terme.
Gérard-Georges Lemaire
28-02-2019
 

Verso n°136

L'artiste du mois : Marko Velk

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