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La chronique
de Gérard-Georges Lemaire
Chronique d'un bibliomane mélancolique

Empires, Huang Yong Ping, Monumenta, sous la direction de Jean de Loisy, RMN Grand Palais, 80 p., 13,50 euro.

Après la magnifique cité imaginaire d'Anselm Kiefer, les prestations impressionnantes mais un peu décevantes de Christian Boltanski et d'Anish Kapoor, ces Empires de Huang Yong Ping, m'ont fait dresser les cheveux sur la tête. Bien sûr, il fallait bien passer sous les fourches caudines de la Chine. Mais cette installation est une sorte de plaisanterie d'un goût douteux. En effet, l'artiste (né en 1980) nous présente la conjonction de deux éléments en volume apparemment sans relation : une quantité de containers semblables aux centaines de milliers que la chine populaire nous envoie chaque année, formant un labyrinthe sans surprise particulière, et le squelette géant de ce qui pourrait être un dragon de Nouvel An. Cet artiste se comporte comme un sociologue et comme un théoricien et politologue -, voici les propos qu'il tient quand on lui demande s'il veut présenter un théâtre du monde : « C'est ce que j'appelle la polygouvernance [sic] par opposition à la multigouvernance [sic]. Le polylatéralisme par rapport au multilatéralisme. Le multilatéralisme, ce sont les Etats. Le polylatéralisme, ce sont des systèmes, des réseaux, dont certains sont publics, d'autres privés, d'entreprise, de la société civile, du web, d'institutions académiques. » Nous voilà prévenus ! Bien. Et quand on lui pose une question sur son esthétique, il répond que « tout est susceptible d'entrer dans un univers de formes qui représente une certaine vision. » là, on n'est pas beaucoup plus avancé et, après quoi, il part sur d'autres considérations. Puisque c'est comme ça, lisons ce qu'a pu écrire Jean de Loisy et je met en exergue ces paroles que je pourrait attribuer à Bouvard ou à Pécuchet : « L'histoire de l'art a connu quelques chefs-d'oeuvre qui méditent sur l'histoire humaine. » cela est fait pour nous rassurer. Merci Jean, nous regarderons avec un autre oeil La Liberté guidant le peuple d'Eugène Delacroix ou L'Exécution de Maximilien d'Edouard Manet, Sans parler du  Tres de Mayo de Goya... Au moins, si mon regard n'a rien pu saisir de frappant dans cet énorme « machin » pour reprendre le mot de Charles de Gaulle), le catalogue me fait le présent de concepts novateurs et utiles pour l'art du futur. A la chinoise !




Casciello, I luoghi dell'arte, Massimo Bignardi, Gutenberg Edizioni, Fisciano, 128 p., 24 euro.

Si je ne m'abuse, j'ai fait la connaissance d'Angelo Casciello pendant l'installation des différentes sections de l'Aperto de la Biennale de Venise de 1985 dans l'immense salle de l'Arsenal. Il s'agissait d'une sélection de jeunes artistes. Pendant que les commissaires des pays européens tr américains intéressés se battaient comme des chiffonniers, je m'étais mis d'accord avec les trois commissaires italiens et nous étions prêts pour le vernissage (les autres non). Sculpteur d'une grande vivacité et d'une gentillesse extrême, Angelo Casciello m'a tout de suite plu. Il avait beaucoup d'humour et savait y faire : son oeuvre été la première a été érigée en ce lieu ! Depuis, il a développé un travail d'une grande originalité, mais sans jamais renoncer à l'esthétique qu'il avait faite sienne depuis ses débuts. De quoi est-elle faite ? ni d'une synthèse, ni de citations de-ci et de-là, ni d'une tentative de dépassement de ce qui est connu. Commençons par le commencement : c'est un art abstrait, mais avec des références à la nature (les arbres, les feuilles, les branches, etc.), parfois à des symboles (la couronne d'épines). Son langage est à la fois très typé et très libre, poussant aller dans des directions multiples. On y peut y lire la lointaine résonnance formelle de Henry Moore, de Calder, de Giacometti, et de quelques autres grands noms du XXe siècle. Mais on ne peut jamais dire qu'il s'inspire de manière franche et directe de l'un ou de l'autre. IL a inventé son langage, qui est d'abord spatiale, mais peut aussi, en certaines occasions, être envisagé comme un dessin en couleurs. Il a d'ailleurs réalisé des sculptures quasiment planes, qui sont posées contre un mur blanc ou a dessiné de superbes arabesques de grandes dimensions, qui passent d'uns salle à l'autre. Ce qui fait la richesse de son aventure artistique c'est cette rigueur sans faille (il ne déplace pas la ligne de sa pensée) et sa faculté de moduler ses idées plastiques de toutes sortes de façons différentes. Que ce soit dans une chapelle, dans la Reggia de Caserte ou sur les murs du Cine Teatro Minerva di Boscoreale, il décline ses thèmes et ses formes avec un rare bonheur - je dirais même avec jubilation. Ce beau catalogue permet d éprendre la mesure de son parcours qui, je dois le reconnaître, est fort beau.




Relazioni possibili, Luigi Manciocco, sous la direction d'Angela Mandesani, Scalpendi editore, 136 p., 35 euro.

Il faut d'abord s'imaginer le Cubo di Botta du palazzo Crepadona de la petite ville de Belluno : un grand espace qui a bien la forme d'un carré. Luigi Manciocco a désiré que les murs soient tendus de noir et que l'espace sot plongé dans une obscurité complète. Il y a installé deux toiles de grandes dimensions, deux tondo, l'un blanc, l'autre noir. Le blanc est traversé par ce qui semble au premier abord, vu de loin, une larme. En réalité, c'est une goutte de sang qui s'est arrêté avant de toucher le bord du tableau. Le noir, lui, est couvert de petites abeilles en cuivre doré qui forment comme une constellation. Sur un autre mur, trois larges écrans : on y voit trois fois, de manière différente, le visage de sainte Rita di Cascia, une sainte toujours très populaire, dont la première apparition aurait eu lieu au XVe siècle. Comme le souligne à tort Lucette Scaraffia, s'il n'existe aucune trace écrite sur cette sainte, c'est une Augustine, dont on connaît bien la vie, qui a vécu dans la région de Pérouse (1381-1457). Elle a été béatifiée par le pape Urbain VIII en 1628, et canonisé seulement en 1900 par Léon XIII. Son existence est assez bien connue, bien qu'entourée de toutes sortes de légendes. Ce qui a retenu l'attention de Manciocco, c'est que l'artiste est allé en pèlerinage au monastère de la sainte et qu'il a écrit une prière où il s'adresse à elle en lui demandant de lui permettre défaire des oeuvres belles : « que tout ce qui sort de moi soit beau ! » s'exclame-t-il dans ce petit texte de 1961. (dans son petit essai, Nicolas Charlet raconte que Pierre Restany est allé au monastère en 1980 et qu'on lui a montré une boîte en plexiglas que Klein a offert à la sainte) Manciocco est parti de cette curieuse passion de l'artiste français pour cette sainte qu'on retrouve sur tant d'ex-voto. Les abeilles sont liées à un récit selon lequel ces insectes se seraient rassemblés autour du berceau de la petite Margherita à Roccaporena où elle venait de naître. Le sang fait allusion à l'étrange stigmate qu'elle portait au front à la fin de sa vie. C'est cette goutte qui serait la manifestation tangible de la couronne d'épines du Christ) On voit défiler sur les écrans trois visages différents et pourtant semblables, qui sont la manifestation de cette duplicité de l'image, qui est et qui n'est pas. L'artiste a aussi fait aussi référence à Dino Buzzati, puisqu'il est né à Belluno. L'expérience de ce tout est d'une éloquence frappante et, en lisant le catalogue, on comprendra quelles sont les clefs symboliques ou oniriques de l'univers qu'il a voulu créer dans ce cube devenu magique. Avec les moyens du langage ultramoderne de l'art, Luigi Manciocco est parvenu à représenter une relation particulière à une série d'éléments (l'oeuvre de Klein, celle de Buzzati, la mystique de Santa Rita et son culte, pour ne citer que les principaux) qui désormais forment une totalité esthétique possédant une indéniable force expressive.




Lettres à une amie vénitienne, Rainer Maria Rilke, préface de Michel Itty, « Correspondance », L'Herne, 208 p., 17 euro.

On le sait, Rilke a entretenu une vaste correspondance, surtout avec des femmes, les femmes qu'il a aimé et celle qui l'ont parrainé, si je puis dire. Depuis qu'il a quitté Prague, il n'a cessé de vivre d'un palais à un château, dans les milieux les plus cultivés de l'Europe, mais aussi les plus aisés. Son existence pourrait se résumer à un horaire des chemins de fer. Il a rarement travaillé et son expérience à Paris auprès d'Auguste Rodin n'a guère été concluante puisque le célèbre sculpteur a du se séparer de lui. La brouille ne dura pas indéfiniment et il a écrit ce livre merveilleux sur l'auteur des Portes de l'enfer. Cela ne l'empêcha pas d'avoir de grandes passions, comme avec Lou Andréa Salomé. Mais le plus souvent il a mis de côté ses sentiments (ou sa libido) pour poursuivre sa vie nomade. Cet échange nourri de lettres est absolument passionnant car ce qui s'est passé entre cette Mimi Romanelli à partir de 1907 est le fond de cynisme qu'on décèle au fond de son caractère. D'une part, il doit séduire et il le fait comme si c'était désormais une seconde nature chez lui ; mais une fois que ses amies se sont éprises de lui, il leur indique le chemin de la religion ! Cette pauvre Mimi est peut-être l'exemple le plus pathétique et même le plus triste de son rapport aux femmes, car il en vient à rompre avec elle non sans une certaine cruauté. Grâce aux commentaires précis de l'auteur de cette édition, Michel Itty, on apprend beaucoup de choses et sur la personnalité du poète, moins angélique qu'on pourrait le croire : il sert parfois d'intermédiaire dans des transactions pour l'achat d'un tableau ancien et offre ses services pour toute affaire de ce genre. Il le fait même pour Rodin. Rien de mal à cela d'ailleurs, sauf que ce genre de mission l'apparente plus à Casanova - un Casanova un peu moins mystagogue et escroc ! Voilà en tout cas des lettres qui nous font découvrir beaucoup de choses en plus de cette triste aventure sentimentale qui a brisé le coeur de cette malheureuse Mimi, qui devient trop attachée à cet homme marié, qui présente ses conquête à sa femme, qui en est absolument ravie ! Cela aussi surprend car on se demande bien pourquoi Rilke a tenu à se marier avec cette artiste allemande, car il savait bien qu'il était désormais liée à un milieu qui exigerait de lui de tenir ce double jeu, celui du grand poète inspiré et celui du tombeur de femmes. En somme, voilà une relation épistolaire que personne ne doit laisser passer si l'oeuvre de Rilke a un sens pour les uns et pour les autres !




La Sorcière, Jules Michelet, édition de Katrina Kalda, préface de Richard Millet, Folio « Classique », 480 p., 5,90 euro.

Difficile de considérer Jules Michelet (1798-1874) comme un historien dans le sens le plus strict. Il l'interprète, il l'interroge, il la reformule. Pour écrire ce livre en 1862, qui est devenu célèbre, il a utilisé des ouvrages sur l'inquisition qui sont bien dépassés de nos jours. Et puis il a une vision. Lui qui, auparavant, considérait la sorcellerie comme une réminiscence malsaine des temps reculés et du paganisme antique, a changé d'opinion en le rédigeant. La sorcière est devenue une figure aimable et toutes celles qui ont été persécutée set parfois brûlées en place publique, sont devenues pour lui des victimes de l'Eglise et du pouvoir établi. Son histoire les change non pas en expressions angéliques, mais en innocentes qui tentaient d'apporter leur savoir faire et leur expérience au service des pauvres et des malades. Elles étaient aussi à ses yeux les instruments de la transgression d'une société très hiérarchisées et injuste, les ecclésiastiques servant à consolider ces structures qui broyaient les plus faibles. Le serf, au Moyen Age, était presque un esclave. Les choses se sont améliorées un peu avec la croissance des communes, mais le principe de cet ordre est demeuré à peu près identique, seule une catégorie de marchands aisés et de banquiers échappaient relativement au rude système féodal. En somme, Michel fait de la sorcière l'esprit de la révolte contre les princes du pouvoir séculier et du pouvoir divin (il faut se souvenir qu'il est issu d'une famille huguenote). Il avait alors déjà écrit beaucoup, en particulier le Procès des Templiers (841), le Peuple (1845) et avait commencé les Femmes de la révolution en marge de son Histoire de la révolution. Il y a chez l'historien un double qui est le romancier romantique, une sorte d'Hugo plongé dans les archives et qui dessine les grandes lignes d'une période, d'un événement, de l'humanité toute entière ! Dans ce beau livre, il arrache la sorcellerie a son imagerie caricaturale et la replace dans la perspective d'une culture marginale mais très présente jusqu'au XVIIIe siècle. Ce n'est pas le livre idéal pour passer le concours de l'agrégation mais assurément le plus beau encore pour découvrir ce monde onirique féminin.




Fraises suivies de deux fragments, Joseph Roth, traduit de l'allemand (Autriche) et préfacé par Alexis Tautou, « Carnets », L'Herne, 112 p., 7,50 euro.

Les trois textes inachevés réunis dans ce volume datent de la fin des années vingt. Le principal, Fraises, est un petit bijou de cocasserie. C'est une fausse autobiographie, mais certainement avec des éléments arrachés à la ville natale de Roth, Brody, en Galicie, qui est devenue polonaise après la Grande Guerre. Nous voyons grandir le petit garçon, Naphtali Kroj, avec ses sept frères dans la demeure du cocher, leur père. Quand il a du travailler, il fut d'abord l'apprenti du coiffeur. Mais ne sachant pas bien manier le rasoir, son patron se débarrassa de lui. C'est alors qu'il alla travailler chez le tailleur, un illettré qui mesurait la taille de ses clients en faisant des noeuds à une ficelle. Plus tard, il est associé à la construction d'un grand hôtel et put ouvrir avec quelques camarades au rez-de-chaussée un café avec, luxe extrême, de la musique. Mais personne ne vint ! C'est un aspect de Roth que nous ne connaissons pas - pas à ce point en tout cas. Il se montre à la fois cocasse, onirique (mais toujours ironique !) et plein de nostalgie, avec un humour qui a plusieurs facettes. Sans doute Joseph Roth a souvent de l'humour dans ses écrits de fiction, mais rarement à ce point. Les deux petits textes où son personnage se retrouve en exil à Buenos Aires (sous un autre nom) montre que cet ouvrage était loin d'être prêt et qu'il l'avait tout bonnement abandonné. Quel dommage : le spectacle qu'il nous offre de sa ville natale est absolument merveilleux, avec sa galerie de personnages pour le moins curieux et pittoresques. On sent qu'il a voulu en donner aussi une vision noire puisqu'on comprend qu'elle a disparu complètement, bombardé et n'étant plus que ruines : tout le monde est parti ailleurs aux quatre coins du monde. On pense en même temps aux réminiscences de Marc Chagall et aux scènes étranges, rempli de la logique du rêve, de Bruno Schulz. C'est un tout autre écrivain qui apparaît dans cette très précieuse édition. Vraiment, j'aurais tellement aimé qu'il terme ce livre-là !




Mémoires d'un jeune garçon, Henry James, préfacé par Diane de Margerie, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Christine Bouvart, rivages Poche, 384 p., 9 euro.

Le Siège de Londres et autres nouvelles, préface de David Lodge, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Jean Pavan, Rivages poche, 478 p., 9,20 € Dans son excellente préface, Diane de Margerie rappelle que Henry James écrit à sa grande et fidèle amie Edith Warton en la priant de lui adresser Du côté de chez Swann de Marcel Proust. Cette curiosité de l'auteur de Portrait de femme au crépuscule de son existence pour son cadet français, lui-même déjà très malade, est une question d'importance car ces deux écrivains présentent des similarités notables malgré bien des différences. Ce qui est certain, c'est qu'ils ont fait le choix d'un phrasé complexe, englobant plusieurs réalités ou plusieurs manières d'envisager un sujet. Ils ont donc renoncé à la pure linéarité du récit pour construite de savantes circonvolutions menant à des arabesques complexes. Et les analogies ne se limitent à ce strict point de vue esthétique. Pendant cette même période (nous sommes en 1913) James décide d'écrire ses souvenirs d'enfance, qu'il baptise A Small Boy & Others. Ayant écrit trois volumes, il les fond ensuite en un seul, sous le titre générique d'Autobiography. Le premier livre paraît en 1913. Sans aucun doute, la mort de son frère aîné William a-t-elle été le déclencheur de cette quête de la mémoire. D'un certain point de vue, le récit de son enfance jusqu'à son adolescence peut être considéré comme étant des plus classiques. Mais d'un autre, il est franchement singulier, car il se perd en digressions, longues et très nombreuses, en commentaires de toutes sortes quand il abord une question ou une autre. Bref, il est impossible de suivre le cours des événements d'une manière rationnelle ; Au début du chapitre XIII, il fait d'ailleurs remarquer au lecteur : « Il faut que je me dépêche, cependant, de rattraper le fil que j'ai laissé pendre après avoir jeté un regard sur nos vagues petits spasmes scolaires... » Il est tout à fait conscient que ces pages sont échafaudées de manière on ne peut plus anarchiste, s'étendant parfois sur la lecture de romans de Charles Dickens ou sur une parente ou une personne du cercle intime. En somme, l'écrivain se raconte comme il parle souvent de ses héros, et surtout de ses héroïnes dans ses propres livres. Cela fait cette oeuvre quelque chose de très singulier et de touchant, car il ne tient pas à donner de lui-même une image figée, mais plus celle beaucoup plus vivante, de toutes ces émotions dont il s'est rappelées et qui se sont rappelées à lui. Sa première visite de Paris est absolument charmante car, ayant bien connu cette ville par la suite et ayant caressé l'idée de s'y installer définitivement avant de choisir Londres, il cherche à restituer ce qu'il a ressenti quand il l'a parcourue les premiers jours de ce séjour. James est l'un des plus grands écrivains de la fin du XIXe siècle (justement, avec Proust !). Qui prétend connaître l'oeuvre de ce magnifique homme de lettres ne peut se passer de lire ces pages toutes inattendues et merveilleuses.
Le plus curieux chez Henry James, c'est qu'il concevait souvent ses nouvelles comme de petits romans. Ces trois nouvelles, comme beaucoup d'autres de sa main sont très longues. Mais - cela pourra sembler étrange - elles sont très simples, autant dans leur construction que dans leur écriture. En général, elles n'ont qu'un seul sujet véritable -, une femme. Et puis il y a les personnages périphériques, important pour le développement de l'intrigue, mais jamais perdre de vue cette cible emblématique. Prenons la première de ces nouvelles, Madame de Mauves, achevée en 1874. L'intrigue est réduite à l'essentiel et se rapproche d'un canevas de vaudeville avec le mari (volage, indifférent) et l'amant (qui n'est en rien l'amant de l'épouse, mais qui s'est pris de passion pour cette jolie et encore jeune femme, et qui reste à Saint-Germain-en-Laye rien que pour la voir. Cet Américain nommé Longmore, n'a en somme d'autre objectif en cette période que de mieux connaître et de fréquenter assidument cette femme mariée trahie par son époux, qui accepte ses trahisons, jusqu'au jour où elle décide ne plus passer sur ses fredaines. Tout ce qui entoure cette histoire somme toute très simple, réduite à l'essentiel sont des portrait d'elle et du mari volage, de leur univers. « Le Siège de Londres », comme « Lady Barberina », est une affaire de mariage. Avec ceci de particulier il s'agit d'épousailles entre des personnes qui sont originaires de pays différents, parfois sur deux continents différents. A l'inverse de ce que j'ai pu dire plus haut à propos d'une vague similitude entre Proust et James, ici rien de comparable : l'écrivain américain observe avec une redoutable objectivité ces approches, ces traités plus ou moins implicites, et la réalité que cela recouvre, sans beaucoup de fioriture. Le monde qu'il dépeint sans pitié est celui qui va disparaître avec la Grande Guerre. Il a pour décor les grands hôtels ou les hôtels particuliers, les lieux les plus réputés, ses membres font parties des familles les plus en vue, les plus riches, ou encore les plus tirées, mais leur manières demeurent crument médiévales - toutes ces unions reposent sur l'intérêt et l'image de la famille dans la bonne société. Les sentiments comptent peu et la beauté (des êtres et de ce qui les entoure) n'est pas prise en compte. C'est souvent drôle (même si l'arrière-plan est pathétique), cruel et cynique.




Le Songe et autres poèmes, Sor Juana Inès de la Cruz, traduit de l'espagnol (Mexique) par Jean-Luc Lacarrière et présenté par Margo Glantz, « Orphée », La Différence, 128 p., 8 euro.

Bien qu'elle fût issue d'un milieu très modeste, sor Juana Inès de la Cruz (1651-1695) a su allier une grande intelligence à une beauté rare. Elle eut une éducation soignée au couvent de San Jeronimo grâce à l'épouse du vice-roi d'Espagne, Doña Leonor Caretto. Elle a développé une oeuvre importante qui a connu un succès énorme dans tout le monde hispanique. Son confesseur lui apprit le latin et la grammaire. Et l'un des nobles de la cour de mexico lui a fait passé une sorte d'examen qui a étonné tous ceux qui ont été présents. Elle n'a pas usurpé sa réputation de femme savante. Le Songe est son oeuvre la plus célèbre et aussi la plus baroque. Car elle sera sans doute celle qui saura le mieux exploiter les possibilités offertes par ces arts où les règles les plus strictes sont associées aux plus extravagantes fantaisies. Les images qu'elle y développe sont fulgurantes. Elle fait de multiples références à l'antique même si son dessein était de dépeindre la foi la plusrdente et la plus pure. Elle avait le sens d'un espace vertigineux comme l'aura Tiepolo, et elle a su aussi donner chair et vie à ses personnages, mondains ou célestes, avec une pâte et des couleurs dignes de Rubens et de Van Dyck. En revanche, dans les poèmes plus courts, surtout ceux de circonstance, elle montre sa capacité à faire de savantes mais limpides compositions. Elle incarne la culture d'une époque, mais aussi la domine et lui ouvre de nouveaux horizons. A l'époque de rameau, elle invente une poésie puissante et pleine de mouvements, d'harmonies et d'une rhétorique inédite. Parfois on penserait lire Hugo dans ses textes les plus visionnaires. Elle n'imite pas John Milton, et elle est déjà loin de l'Arioste, ou du Tasse. Peut-être a-t-elle un vague lien avec Calderòn de la Barca. Elle n'a pas d'équivalent en sont temps et n'aura guère de successeurs directs. Mais elle est restée inscrite dans l'histoire de la littérature comme une grande créatrice.




M. Train, Patti Smith, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Nicolas Richard, Gallimard, 272 p., 19,50 euro.

Glaneurs de rêves, Patti Smith, traduit de l'anglais (Etats-Unis) Héloïse Esquié, Folio, 112 p., 4,80 euro.


Aussi curieux que cela puisse paraître, Patti Smith n'a jamais écrit une autobiographie en bonne et due forme, mais a écrit plusieurs livres qui racontent telle ou telle partie de son existence. La partie imaginaire de sa vie, à l'époque où elle vivait à Detroit (c'est-à-dire au début des années 90), qui est consignée dans Glaneurs de rêves, sont des méditations, qui partent de choses qu'elle a pu voir au cours d'un voyage, d'une promenade, d'une rencontre. Ce sont des récits qui naissent parfois d'un objet de prédilection comme le cabochon en rubis que l'auteur a perdu. Ces textes sont très beaux et parfois très touchants. Comme les réminiscences éparses de son enfance, de son grand-père qui ne l'aimait pas ou la naissance de sa soeur cadette en 1957. Tout paraît si simple et dépouillé, et pourtant Patti Smith réussit à insinuer pas mal de poésie dans ses récits minuscules qui réalise comme une broderie. M. Train débute quand l'auteur quitte son New Jersey natal pour se rendre à New York. Elle trouve un petit café dans le Greenwich Village, l'Ino's ,et décrète qu'une table est désormais sa table. Et là, elle écrit, elle rêve de périples. Elle se rend en Guyane pour voir le bagne où aurait dû aller Jean Genet avant qu'on abolisse les travaux forcés, ou dans le bureau de ce père si absent et pourtant si présent ; elle va en Allemagne et trouve le café Pasternak et se rendit sur la tombe de Bertolt Brecht. De retour à New York, elle se met à penser à William S. Burroughs, à leur dernière rencontre chez lui à Lawrence, dans le Texas, puis, de fil en aiguille un livre de W. G. Sebald lui revient en tête, D'après nature. Tous les voyages qu'elle entreprend et qu'elle relate dans ce beau livre sont en fait des rêves qui lui viennent et qui l'incitent parfois à partir pour de bon. Les photographies qui accompagnent le texte ne révèlent souvent pas grand chose, parfois un détail, mais elles renforcent cette impression de vivre une vie de manière complètement onirique, c'est-à-dire comme un poème qui se tisse au gré des lieux et des rencontres ; elle part en quête de beauté, mais pas de la pure beauté idéale, mais de la beauté qui peut recéler un personne imparfaite, un simple objet sans intérêt, un paysage disgracieux. Il faut oublier la chanteuse rock, il faut oublier la vedette, et penser à une poétesse qui fait tout pour que sa vie devienne poétique. Toutes sortes de cafés exotiques apparaissent au fil de son récit et puis, à la fin, elle pense qu'un jour, elle deviendra propriétaire de la canne de Virginia Woolf.




Berlin est trop grand pour Berlin, Hans Zischler, Editions Macula, 200 p., 25 euro.

Ecrivain, cinéaste, acteur, Hanns Zischler est un personnage peu banal et qui possède un talent peu banal. Ce nouveau livre le prouve amplement. Il ne s'agit ni d'un nouveau Bædecker, ni d'une promenade nostalgique dans une ville qui n'existe pour ainsi dire plus. Non, c'est un livre de voyage d'un genre inconnu, qui nous entraine dans les lieux les plus étranges de la capitale allemande, sans doute inconnus de la plupart de ses habitants. Avec les documents photographiques, ils nous livre ses découvertes et nous explique pourquoi ces ruines ont un sens, pourquoi ces architectures peuvent parler bien qu'elles semblent tout à fait muettes et inintéressantes au premier abord. C'est une promenade merveilleuse, tout à fait à l'inverse cependant du Nadja d'André Breton et du Paysan de Paris de Louis Aragon. Non, vraiment, personne n'avait écrit ainsi de sa propre ville, une ville qui laisse de côté ses grands hommes, ses palais, son Reichstadt, son palais du peuple (d'ailleurs démoli), ses musées et jusqu'à ses magasins, ses cafés et ses restaurants. Il reste à ses yeux étranges des traces d'un passé étrange et souvent menaçant, des bribes de mémoire dont nul ne prétend se souvenir. C'est construit à la fois comme un récit et un synopsis de cinéma. Et ce n'est ni l'un ni l'autre. C'est une enquête qui ne se donne pas un objectif précis, mais une multitude, souvent produite par la révélation d'un site ou d'un espace abandonné des dieux et des hommes. Le Berlin de Zischler, vous ne le verrez sans doute que dans son livre. Mais vous ne l'oublierez jamais car il ouvre une nouvelle catégorie du merveilleux -, un merveilleux qui n'est pas celui des rêves heureux, mais celui d'un inconscient collectif qui s'est refermé comme une huître sur un passé qui surgit comme une épée de Damoclès au-dessus des toits de bâtiments modernes. Sa lecture est prenante car on le suit dans sa recherche de ces restes infimes d'une histoire immense et épouvantable.
Gérard-Georges Lemaire
02-06-2016
 

Verso n°136

L'artiste du mois : Marko Velk

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