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[verso-hebdo]
01-09-2016
La lettre hebdomadaire
de Jean-Luc Chalumeau
Spadari, peintre politique
En juin 1968, juste après les « événements », comme on disait alors, Gérald Gassiot-Talabot publiait dans Opus International un texte rédigé de manière prémonitoire en mars sous le titre : « Sur la violence dans l'art ». « La violence sans doute n'a jamais été étrangère à la création intellectuelle, écrivait-il, c'est même l'une des sources d'inspiration et de découvertes les plus constantes. Aujourd'hui, c'en est l'une des plus instantes. » Le critique remarquait que cinquante salons de « peintres témoins de leur temps » ont pu se tenir au Palais Galliéra (« le temple du pompiérisme ») sur des thèmes aussi actuels que la faim dans le monde ou la guerre d'Indochine sans que leur influence ait été autre que nulle. Ce n'est pas le pop américain, poursuivait-il, « dont le non engagement et le byzantinisme théorique ne font plus de doute » qui dépassera le niveau des P.T.T. », mais plutôt des artistes comme Giangiacomo Spadari, Bertini, Monory, Rancillac ou Erro... Citant Spadari, Gassiot-Talabot songeait sans doute à Cronaca americana, une toile de 1966 dans laquelle le peintre se livrait à une féroce désintégration de la bannière étoilée, ou Una rabbia, de 1968 précisément. La rabbia, c'est la rage, exprimée par le rictus et le geste d'une manifestante face à un policier casqué vu de dos. Les deux tableaux sont présents aujourd'hui, parmi une cinquantaine d'autres, à la Villa Tamaris Centre d'Art de la Seyne-sur-Mer (jusqu'au 18 septembre) à l'occasion de l'exposition Spadari un franc-tireur de l'image que Robert Bonaccorsi a eu l'heureuse idée d'organiser avec la collaboration d'Ivan Messac, un ami proche de Spadari.

Heureuse initiative, en vérité, car on oubliait un peu trop ce peintre disparu prématurément en 1997 qui participa avec énergie à la scène artistique française au tournant des années 60-70. Qui se souvient de la Salle rouge pour le Vietnam, qui eut lieu en janvier-février 1969 à l'ARC (Animation Recherche Confrontation) à l'initiative de Pierre Gaudibert ? Aillaud et Arroyo étaient là, qui venaient de faire scandale avec leur suite de huit tableaux décrivant l'assassinat métaphorique de Marcel Duchamp, ainsi que Buraglio et Spadari. Les uns et les autres ne concevaient alors leur art que politiquement. Spadari resterait fidèle à cette position de principe en 1971 encore, à l'occasion du 22e Salon de la Jeune Peinture dont c'était la grande époque. L'organisation venait de se doter d'un bureau, présidé par Latil, avec Gérard Fromanger et Fanti à la vice-présidence. Autour d'eux, des peintres militants comme Sergio Birga, qui réalisait de féroces dessins anticapitalistes pour Clarté, un journal d'extrême-gauche belge, et Spadari, qui peignait alors les terribles émeutes de 1967 à Newark (New Jersey) dues à l'effondrement du système de protection sociale local qui obligea la moitié pauvre de la population à quitter la ville. Le tableau Newark de 1968 est présent à la Villa Tamaris.

Lors de la grande exposition de Gérald Gassiot-Talabot, Mythologies quotidiennes 2, en 1977, Spadari était naturellement invité. A ce moment, il s'inspirait du cinéma, autant pour des raisons politiques et sociales que pour l'esthétique des films choisis (M. Le Maudit, Le cuirassé Potemkine...) parce que, disait-il, « je considère le cinéma comme une usine à rêves individuels et collectifs ». En témoignent, à La Seyne-sur-Mer, des tableaux efficaces comme Roma Città aperta (Rome Ville ouverte) ou Tempi moderni (Les temps modernes, où la figure de Chaplin est associée à une citation picturale de Fernand Léger, un des maîtres favoris de Spadari). Dans sa préface, Robert Bonaccorsi cite opportunément Louis Althusser (une des principales références intellectuelles de Spadari avec Roland Barthes) qui écrivit à propos de Fanti : « Une image chargée d'idéologie ne se donne jamais à voir comme de l'idéologie en image. Il faut la travailler pour produire en elle cette minuscule distance intérieure qui la déséquilibre, l'identifie et la dénonce ». Le philosophe marxiste aurait évidemment pu écrire exactement les mêmes mots devant les tableaux de Spadari, un grand peintre politique.
J.-L. C.
verso.sarl@wanadoo.fr
01-09-2016
 

Verso n°136

L'artiste du mois : Marko Velk

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