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[verso-hebdo]
16-06-2016
La lettre hebdomadaire
de Jean-Luc Chalumeau
Bertrand Lavier, génie de l'art contemporain ?
L'autre soir, à l'UGC Danton, une publicité cinématographique a attiré mon attention : il s'agissait de deux compères écroulés de rire, qui se racontaient un truc énorme. L'un des deux était placé devant une pile de réfrigérateurs. On ne comprenait pas très bien, et à la fin il nous était recommandé d'aller nous plier en deux à notre tour à la Monnaie de Paris, qui présente en ce moment (et jusqu'au 17 juillet) une exposition de Bertrand Lavier intitulée Merci Raymond by Bertrand Lavier. J'y suis donc allé avec curiosité. Dès l'escalier d'honneur, j'ai été accueilli par Objet Dard, grande dalle de granit olive sur laquelle sont gravés en rose, à l'instar des monuments commémoratifs des guerres mondiales (il y en a deux au bas de l'escalier), non pas des noms de morts pour la France, mais les titres des romans de Frédéric Dard (= d'Art) dits San Antonio dans l'ordre chronologique. Vous savez, Pleins feux sur le tutu, Si queue d'âne m'était conté ou Mon culte sur la commode... Bizarrement je n'ai pas ri, plaçant mes espoirs dans le « chantier 4 » un peu plus loin (Bertrand Lavier ne parle pas d'oeuvres pour ce qui le concerne, mais de chantiers), en l'occurrence un chantier nommé Il y a six troènes entre Matiz et Picasso.

Là, j'ai deviné ce qui faisait se tordre les types du cinéma : entre une C2 Picasso rouge et une Ford Matiz bleue ( = Matisse, le grand ami et rival de Picasso), sont bien rangés six troènes (= citroën, vous avez saisi ?). Je n'ai pas ri davantage, mais j'ai mieux compris qu'il s'agissait de rendre hommage à Raymond Hains, le célèbre lacérateur d'affiches et ami de Lavier, qui n'aimait rien tant que les rimes incongrues, les allitérations et les paronomases. Le chantier suivant est baptisé Stellas. C'est le nom du fondateur du minimalisme international, mais aussi celui d'une marque de bière, qui est naturellement là. Il y a une reproduction en néons d'une toile de Stella à base de ses fameuses bandes (stripe painting). Ces néons ont grosso modo la forme d'un Z. Lavier lui répond, sur le beau miroir de la salle Varin de la Monnaie qui lui fait face, par un Z tracé à l'aide de sa « touche van Gogh ». Ce Z est une référence à Maurizio Cattelan qui avait parodié les lacérations de Lucio Fontana en lacérant à son tour une toile du signe de Zorro. Il paraît que Raymon Hains aurait adoré, en tant qu'adepte de la pansémiotique (théorie selon laquelle tout dans le cosmos est signe appelé à être décodé).

Le génie du décodage par Lavier atteint son sommet avec le chantier 12, La foire aux Skis. La salle Antoine rassemble des oeuvres visuelles ou sonores de Boltanski, Gasiorowski, Kandinsky et Stravinsky avec, en contrepoint, une palissade faite de skis (Raymon Hains en avait réalisé une). Nul doute que ces quatre artistes en ski ont également été des skieurs, n'est-ce pas ? Si vous n'êtes pas adepte de la pansémiotique et si vous vous interrogez sur la qualité d'art des chantiers de Bertrand Lavier, méditez donc ce qu'il déclarait au journal Libération (24 juillet 2004) : « c'est l'art contemporain qui a été mon déclencheur, pas l'art. Le virus a été virulent : je suis devenu artiste contemporain. » Vous avez bien lu et bien compris : pour Bertrand Lavier, ce qu'il fait n'est pas de l'art, mais de l'art contemporain, ce qui n'est pas du tout la même chose. Et il faut bien avouer que cet ancien élève de l'école d'horticulture de Versailles (comme son aîné Jean-Pierre Raynaud) manifeste dans ce domaine un talent humoristique confinant au génie. Au fait, le type devant les réfrigérateurs, au cinéma, devait faire allusion à « l'oeuvre » qui a historiquement rendu Lavier célèbre : Brandt Fichet-Bauche : un frigidaire posé sur un coffre-fort... Le virus était, dès le départ, vraiment virulent.
J.-L. C.
verso.sarl@wanadoo.fr
16-06-2016
 

Verso n°136

L'artiste du mois : Marko Velk

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