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[verso-hebdo]
02-06-2016
La chronique
de Pierre Corcos
Cher disparu...
En face d'une perte affective profonde, de la douleur morale et physique suscitée par elle, de la fidélité s'exprimant ainsi à l'égard de l'être cher disparu, l'entrain zélé de la vie qui bien sûr continue avec son prosaïsme, ses besoins et promesses, paraît bien vulgaire. A ce moment-là, noble est le deuil et triviale semble l'obstination de la vie à se poursuivre comme si de rien n'était... Ce thème nous touche d'autant plus aujourd'hui que l'information en continu, toujours gaillarde, ne respecte même plus le temps du deuil, interroge tout de suite, lors de faits divers, les victimes, encore dans la perte, sur leurs recours, leurs projets ou maints détails matériels ! Si le sens de la vie/mort n'a plus de temps, alors le temps n'a plus de sens.

L'admirable film de l'argentin Ariel Rotter, Un homme charmant (titre original : La Luz incidente), traite avec tact et subtilité, en s'inspirant d'éléments autobiographiques, du travail du deuil tel qu'il se voit contrarié par les autres, l'amour, la vie... Réalisé en noir et blanc dans un souci pointilleux des contrastes et de la lumière, de la profondeur de champ et du temps filmique (travail maîtrisé de la directrice artistique Aili Chen, et du chef opérateur Guillermo Nieto), le film recèle, à la seconde vision, des trouvailles dans la mise en scène ou la bande-son qu'on se plaira évidemment à citer, sans croire les épuiser.
Quelque temps après le terrible accident d'auto qui a coûté la vie à son époux et à son frère, l'héroïne, Luisa, émerge à peine, encore ahurie et brisée, de la tragédie qui a fondu sur elle. Lors d'une soirée, elle fait la connaissance d'Ernesto, un homme charmant, d'âge mûr, aisé, encore célibataire. Sincèrement amoureux d'elle, prêt à offrir un cadre de vie sécurisant à cette jeune et jolie veuve et à ses deux petites filles, conscient aussi qu'il est quinquagénaire et qu'il urge pour lui de se caser, Ernesto fait une cour empressée - dans toutes les règles de l'art et avec tous les moyens possibles - à Luisa, en ne reconnaissant pas assez l'affliction qui la tenaille encore... Luisa aimait tendrement son mari. Et le décor dans lequel elle évolue, les nombreux vêtements du défunt, des photographies et, bien entendu, ses deux fillettes ravivent sans cesse une douloureuse mémoire. Cet Ernesto courtois mais trop zélé qui, dans l'hypothèse d'un remariage, pourrait lui convenir, dignement Luisa le tient à distance. Mais voilà que les proches s'en mêlent : dans cette Argentine des années 60, la pression sociale concernant la famille, le bien-être matériel et l'éducation des enfants, est loin d'être négligeable ! Et, aussi bien sa propre mère que sa belle-mère la poussent à ne plus transiger, et accepter rapidement de se remarier avec cet homme charmant, honorable, certes un peu lourdaud, très envahissant, mais après tout n'est-il pas amoureux ? Et puis la situation économique de cette veuve bourgeoise, femme au foyer n'ayant pas de ressources propres, ne va-t-elle point se dégrader rapidement ? Ernesto, qui s'impatiente, augmente la pression...
Erica Rivas (Luisa), à la physionomie sévère sur qui le sourire s'attarde peu, incarne cette douleur de la perte qui, sous peine d'occire le disparu une seconde fois, ne peut consentir à s'effacer. Elle donne à son personnage, à ses attitudes, une justesse et une gravité qui pallient aux manques du cinéma pour révéler les paroles intimes de l'âme. La voici qui sort les chemises de son mari, les hume et, ne pouvant dormir, les repasse en pleine nuit ; ou bien qui vient à l'endroit précis de l'accident fatal ; ou encore qui retourne dans leur maison de campagne. Là, elle s'allonge sur un lit et, toute habillée, se recroqueville pour passer la nuit... L'interprétation magistrale d'Erica Rivas, au visage pâle et aux cheveux tirés derrière elle, à la fois tendue et calme, sorte d'héroïne de la tragédie grecque, confère à cette douleur de la perte de l'être aimé une noblesse qui en impose. Et l'on ne peut que s'identifier à elle, tandis que Marcelo Subiotto joue très bien un Ernesto qui, en dépit (ou à cause) de toute sa gentillesse, de sa bonne humeur et de son empressement, encombre et agace, symbolisant le prosaïsme de la vie qui ne respecte pas les morts. Les longs plans moyens et les travellings lents créent un espace-temps spécifique, qui à la fois nous rappelle sans cesse la durée psychologique figée de la perte, et l'espace culturel de la « bonne société » argentine de l'époque. A cet égard, quelques références, mutatis mutandis, au cinéma d'Antonioni peuvent être mentionnées.
L'idée, lors du montage sonore, de souvent donner à entendre le babil doux des fillettes dans le lourd silence de la maison oppose, mieux que toute musique d'accompagnement, les bruits de la vie au silence de celui qui a disparu à jamais. L'élégance austère de ce noir et blanc évoque les retenues de Luisa, et tout un classicisme de la litote. À cet égard, l'esthétique entière du film plaide en faveur de l'héroïne et de son deuil, garant de la valeur et du sens de l'amour. Ce noir et blanc rappelle aussi les photos d'époque à partir desquelles Ariel Rotter confie avoir commencé à construire La Luz incidente.

Mais le présent et l'avenir triomphent du passé, la bonne société argentine des réticences de Luisa, la vie continue : Ernesto finit par l'emporter et obtient ce mariage tant convoité. Il se fait pompeusement photographier avec sa nouvelle épouse au sourire contraint, puis les deux fillettes sur ses genoux. Il leur donnera son nom bien sûr...
Le dernier plan du film, cependant, un très lent travelling arrière à partir des enfants, inscrit définitivement ce drame dans la profondeur du passé. Ce faisant, il rend toute sa puissance à la mémoire. Et rappelle ainsi la présence secrète de celui qui fut absent tout le long du film : le si cher disparu.
Pierre Corcos
02-06-2016
 

Verso n°136

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