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[verso-hebdo]
14-11-2019
La chronique
de Gérard-Georges Lemaire
Chronique d'un bibliomane mélancolique

Picasso, les années obscures, Editions in fine / musée de Grenoble, 320 p., 42 euro.

Il faut reconnaître que c'est une excellente idée que de comprendre comment Pablo Picasso a passé les années de la drôle de guerre, de l'Occupation et de la Libération. Il est resté paisiblement dans son atelier de la rue des Grands-Augustins à Paris et n'a ni collaboré ni pris part à la résistance. Il a conservé son statut neutre d'Espagnol (il est d'ailleurs a souligné qu'il n'a pas pris fait et cause pour les Républicains et que Guernica a été une commande d'Etat pour le pavillon républicain de l'Exposition universelle de Paris en 1937, non une profession de foi - il n'a d'ailleurs fait que de petits dessins caricaturaux concernant le généralissime Franco !). Ne pouvant commenter cette histoire passionnante, mais pleine de détails révélateurs, je vais me contenter de vous entretenir que de l'année 1942. Pourquoi cette année en particulier ? Tout simplement parce que c'est celle où il commence à préméditer la sculpture qui trônera après guerre sur la place du petit village de céramistes de Vallauris et où il a peint une de ses oeuvres majeures de cette période, L'Aubade, où il s'éloigne de sa veine surréalisante pour renouer avec quelque chose de proche du cubisme, mais dans une perspective nouvelle Il y eut d'autre événements importants, d'un autre ordre : l'attaque virulente de Maurice de Vlaminck dans Coemedia et puis dans d'autres périodiques, où il attaque Picasso avec véhémence, allant jusqu'à le traiter de « Juif » (la terrible rafle du Vel'd'Hiv' aura lieu quelques semaines plus tard). Il y eut aussi la visite d'Ernst Jünger dans son atelier accompagné par plusieurs officiers de l'Etat-major allemand (cela n'est pas précisé et le Journal d'Occupation du grand écrivain ne figure pas dans la bibliographie). C'est une année bien chargée et qui met en évidence les singulières menées de l'artiste. Il s'était vu commandé en 1936 les illustration de l'Histoire naturelle de Buffon, mais le livre n'a pas pu paraître car l'éditeur est mort inopinément en 1939. Son successeur, Fabiani, le fait sortir trois ans plus tard. Le fait est que Picasso s'y révèle plutôt classique dans ses portraits d'animaux. C'est sans doute une autre ambiguïté de Picasso, qui ne cherche pas à choquer les Allemands qui fustigent l' « art dégénéré » dont Picasso, en dehors de sa phase néoclassique, devrait faire partie. Il se garde bien de montrer L'Aubade ! Quant à la publication, il n'est certes pas responsable de son calendrier, c'est vrai. Mais disons qu'elle est tombée à point nommé. A la fin de février et au début de mars 1944, Picasso est confronté à une situation dramatique : l'internement de Max Jacob à Drancy. Cette fois, il tente d'agir avec d'autres amis, comme Jean Cocteau et Sacha Guitry. C'est Cocteau qui obtient d'un haut officier de la Kommandantur l'ordre d'élargissement du poète. Quand Cocteau se présente au camp de Drancy, dernière étape avec les camps de la mort, il apprend que Max Jacob était déjà mort. Peu après survient la libération de Paris et, en octobre, L'Humanité annonce fièrement l'adhésion de Picasso au parti communiste (il y publie aussi un article intitulé « Pourquoi j'ai adhéré... »). Il préside aussi le comité directeur du Front national des arts et à plusieurs fonctions honorifiques. Les visiteurs américains affluent dans son atelier. C'est une nouvelle figure qui apparaît pendant cette période où on le voit très souvent en compagnie de Louis Aragon et de Paul Eluard. Il peint La Femme en bleu, qui fait écho à L'Aubade. Dans ce travail de reconstitution, mené avec sérieux et appuyé par une très riche documentation (articles de presse, photographies, lettres, reproduction de tableaux et de dessins, etc.) demeure tout de même des interrogations et des zones d'ombre. Il n'y a sans doute rien à reprocher à l'artiste, mais ses faits et gestes pendant cette parenthèse historique infamante n'a pas été éclairée tout à fait. J'avais demandé à Pierre Daix, son biographe attitré, pourquoi il était entré au parti, il m'avait répondu : « c'était logique ». Si quelqu'un voir la logique de la chose qu'il écrive à la rédaction.




Jaune, histoire d'une couleur, Michel Pastureau, Seuil, 240 p., 29 euro.

Michel Pastureau poursuit inlassablement son histoire des couleurs, avec ses points forts (sa connaissance des techniques de la teinture, de l'héraldique, mais aussi sa relative méconnaissance de l'histoire de la peinture). Dès le début, une fois passé le néolithique, il fait une confusion grave entre le jaune et l'or. L'or a eu une toute autre fonction dans l'histoire de la représentation, sacrée essentiellement, que le jaune. Les enluminures ou encore les retables à fond or, en ont fait beaucoup usage pour accentuer la nature divine de la lumière ou des attributs des personnages saints. Cela a duré précisément jusqu'à Andrea Mantegna, qui est vraiment l'artiste qui a personnifier la transition : sa première oeuvre connue est un petit panneau de retable à fond or. Puis il a fait de la peinture en continuant à utiliser cette matière précieuse pour rendre les auréoles ou des actes miraculeux. Enfin, il l'abandonne tout à fait. Après lui, sauf rares exceptions l'or disparaît de l'art pictural. On pourrait peut-être voir dans les peintures de vases étrusques ou romains une possible confusion des deux couleurs, la première remplaçant la seconde trop onéreuse. Il note par ailleurs que le safran a été utilisé depuis l'époque minoenne. En tout cas, le jaune est commun dans l'art vestimentaire des Anciens et des céramiques le prouvent amplement, tout comme un texte d'Ovide, qui distingue deux types de jaunes. Cicéron, ennemi juré de Clodius, représentant de la plèbe qui avait fait assassiné un concurrent, Milon, avait plaidé pour contre Clodius, montrant sous quel accoutrement il avait tenté de séduire la femme de Jules César : il portait une longue robe (crocota tinctoria) couleur safran et avait apporté avec lui une cithare. Le jaune était une teinte réservée aux femmes. Les auteurs latins ont parfois parlé du crocus, un jaune vif que portaient les dames romaines. Pastureau note que le jaune englobait un vaste spectre de nuance, allant d'un vert tendre à l'orangé. En grec, on le sait, il était difficile de distinguer noir du bleu soutenu. Il fait ensuite une étude tout à fait intéressante du lexique latin pour dé »signer cette couleur. Ce qui est intéressant dans ce chapitre, c'est que ces termes ne désignent pas uniquement les tons, mais leur attribuent aussi des valeurs morales. Passons maintenant au Moyen-Âge qui est la spécialité de l'auteur. Il affirme que le jaune est exclu des codes liturgiques, ce qui est exact. Mais le jaune reste présent dans les enluminures des textes sacrés. C'est cependant une couleur qu'on a associé à la trahison de Judas et qui a par conséquent pris un pli anti judaïque (le jaune était souvent porté par les Juifs, soit sur leur bonnet, soit sur une roue cousue sur leur manteau, la rouelle). Ce sujet fait l'objet d'un développement vraiment intéressant. Pastureau voit une ambivalence dans l'usage médiéval du jaune : il peut, pour un chevalier être signe de sagesse. Il pointe du doigt une représentation de Lancelot vêtu de cette couleur, ce qui serait alors un signe de traîtrise. Dans l'héraldique, le jaune peut remplacer l'or est symboliser la vertu, le courage, etc. Il consacre de longues pages à la chevelure blonde, très prisée et l'évolution de ce goût prononcé, puis un autre sur la médecine. Mais peu à peu le caractère négatif du jaune s'accroît et devient l'un des signes d'un des péchés capitaux - l'envie -, à la fin du XIIIe siècle. C'est aussi celui de la tromperie avec le personnage de Renart. Il aurait une valence néfaste, tout comme le roux, et aussi de la jalousie et du mensonge. Il dénonce aussi les personnages hérétiques. Après le Moyen Âge, si bien traité, la Renaissance l'ait beaucoup moins bien. Il explique que le jaune connaît alors un discrédit, ce qui est faux. Sigismondo de Magistris (XVIe siècle) a comme couleur dominante le jaune ; Raphaël a peint une crucifixion où le Christ est entouré par deux angles, l'un vêtu de rose, l'autre de jaune et cela parmi tant d'exemples le contredisant). Il évite d'ailleurs ce sujet et passe aussitôt à la Réforme ! Il constate la présence importante de cette couleur dans la peinture du XVIIe siècle (de Georges de La tour à Johannes Vermeer, en passant par Guido Reni et Simon Vouet). Je vous laisse découvrir la dernière section réservée à l'âge des impressionnistes et aux modernes, qui n'est pas très éclairante. Il est à remarquer, pour conclure, que cette fois l'auteur a fait des efforts pour mieux étayer ses dires, surtout en ce qui concerne le monde antique et quelques sujets importants. Mais il est toujours incomplet dès qu'on parle de la grande peinture. Dommage. Mais on ne peut que saluer ses efforts.



Julio Le Parc, collectif, Le Canoë & Exils, 432 p., 80 euro.

Julio Le Parc (Mendoza, Argentine, 1928), a été avec Soto l'un des principaux protagonistes de ce qu'on a appelé l'Optical Art. Après l'installation de sa famille à Buenos Aires, il exerce différents métiers et étudie le soir. Il abandonne l'Ecole des Beaux-arts, où il retourne en 1955 dans un climat assez délétère. Ne voyant aucune perspective de réalisation personnelle dans son pays, il décide de partie à Paris. Il obtient une bourse d'étude et peut s'installer dans la capitale française. Il y observe la scène artistique et s'intéresse plus particulièrement çà Victor Vasarely et à François Morellet. En 1960, il fonde le GRAV, un petit groupe de jeunes créateurs qui recherchent une autre manière de concevoir l'activité artistique. Leur première apparition publique a lieu à la Biennale de Paris. Les années suivantes, ils organisent diverses manifestations et multiplient les contacts à l'étranger, surtout en Italie. Il expose pour la première fois à New York en 1966, puis fait plusieurs expositions en Amérique latine à partir de 1967. Son oeuvre est alors un développement et une radicalisation à la fois de ce qu'a fait Vasarely et les néoplasticiens néerlandais. Par la suite, il s'émancipe en grande partie de ces influences et donne une expansion aux contrastes chromatiques sur une échelle plus grande. Ses Surfaces-couleurs des années 1970 n'ont de cesse de rendre plus prégnantes le jeu des formes colorées dans des rapports obéissant à leurs propres lois. Il a aussi le soin de multiplier les solutions plastiques sans cependant changer fondamentalement la perspective de sa recherche. Mais il s'intéresse de plus en plus aux volumes et aux environnements (comme La Longue marche, 1974). Avec ses Reliefs, il explore les ressources du noir et du blanc. Il travaille de plus en plus les trois dimensions et a continué à le faire jusqu'à ses récentes Stimulations (2018). Mais il ne s'est pas arrêté là : il a aussi voulu rendre mobiles des éléments géométriques colorés sur une surface plane : ce sont les Continuels mobiles qu'il a commencé à faire dès 1962. A mesure que l'on découvre la chronologie de ses oeuvres, on doit bien se rendre compte que ses expérimentations sont innombrables et vont dans des directions différents (elles ne se contredisent pas, mais se complètent et n'ont de laisse d'élargir le champ de son exploration de l'espace plastique). Ce qui est évident, c'est qu'il a désiré s'éloigner des modes de présentation du tableau (et aussi de la statuaire) pour parvenir à une nouvelle relation esthétique, qui dérive des grandes théories, de Chevreul jusqu'à Josef Albers. Il semble infatigable, insatiable, curieux des mille possibles qui pourraient s'offrir à lui. La lumière joue bientôt un rôle clef dans sa démarche. Et elle lui permet d'effectuer d'autres métamorphoses de l'aspect et des effets produits par ses créations. Et puis il y a des phases qui paraissent sortir de la pure logique de ses agissements, comme ses Alchimie à la fin des années 1980, où il semble revenir au postimpressionnisme et au premier futurisme, pour exploiter cette multiplication de petites touches collées les unes aux autres. Il en profite alors pour tenter des choses nouvelles dans la construction du « tableau » ou de la « sculpture ». Cette somme considérable permet d'avoir pour la première fois une vision globale de ce qu'a pu réaliser Julio Le Parc, avec iconographie très riche, des essais anciens et d'autres écrits pour l'occasion, une bibliographie complète et une photobiographie. Cet ouvrage est remarquable en tout point et devrait attirer tous les vrais amateurs de l'art moderne d'après la dernière guerre.




Barbara Hepworth, sous la direction de Catherine Chevillot & de Sara Marsin, Editions in fine / Tate, Londres / musée Rodin, 256 p., 35 euro.

Pour un certain nombre de lecteurs français, le nom de Barbara Hepworth (1903-1975) ne parlera pas beaucoup. Elle a pourtant été une des plus grandes figures de l'art du siècle dernier et compte parmi les plus importantes figures de l'abstraction. Née dans le Yorkshire, fille d'un ingénieur qui fait une carrière remarquable, fait des études élémentaires où elle révèle un don réel pour la musique. Puis, en 1920, elle entre à la Leeds School of Art où elle a pour professeur Henry Moore. Par la suite, ils ont développé une rivalité professionnelle, mais qui est demeurée amicale. Elle a été la première des deux à percer le volume sculptural ! Elle est admise au Royal College of Art de Londres en 1921 et en ressort diplômée en 1924. Elle épouse en 1925 le sculpteur John Skeaping qui a obtenu le prix de Rome, ce qui leur a permis de voyager en Italie. Elle y apprend à sculpter le marbre. De retour à Londres l'année suivante, elle expose pour la première fois ses oeuvres avec celles de son mari dans leur appartement. Elle privilégie la pierre et le bois au début de ses recherches, et utilise plus tard l'argile et le bronze. Elle voyage en France avec Ben Nicholson et ils visitent à Paris en 1933 les ateliers de Pablo Picasso, de Jean Arp et de Constantin Brancusi. Elle y est accueillie par les membres du groupe Abstraction Création. Elle l'une des fondatrice du groupe Unit One à Londres. Elle contribue à faire connaître les grands artistes constructivistes européens en Grande-Bretagne. Elle épouse Ben Nicholson en 1938. Pendant la guerre, le couple installe leur atelier à St. Ives. Son travail artistique est reconnu en 1950 par sa présentation à la XXVe Biennale de Venise. Elle a eu plusieurs grandes commandes publiques dont Two Forms, qui a été volé à Dulwich Park, dans le sud de Londres. Elle a toujours privilégié les formes courbes, mais pas nécessairement régulières et qui sont souvent évidées. Dans ce riche catalogue, on peut découvrir la correspondance entre l'artiste et Jean Hélion, un essai passionnant sur sa relation avec la poésie de Rainer Maria Rilke écrit par Rachel Rose Smith, un autre essai sur son amour de la littérature par Clara Nadal, les revues d'art avec lesquelles elle a collaboré, ses relations étroites et constantes avec la France (elle s'est passionnée dans sa jeunesse pour Rodin) et où elle expose assez souvent. Cette exposition présentée au musée Rodin et ce superbe catalogue permettent de lui rendre la place qui lui est due dans notre pays après un oubli dont on ne peut guère être fier.




Technologie de dévotion dans les arts de l'Islam - Pèlerinages, reliques et copies, Finbarr Barry Flood, « La chartre du Louvre », Editions Hazan, 256 p., 25 euro.

Le titre de ce recueil de conférence n'est pas très sémillant, c'est vrai ! Cela étant dit, le sujet est des plus pertinents, cela ne fait pas l'ombre d'un doute. Mais je dois avouer que l'exposition des grandes orientations de la réflexion de ce professeur américain n'est pas non plus gracieuse. Mais peu importe. Ce qui compte c'est le contenu qui mérite d'être pris en ligne de compte. Et il est néanmoins d'un intérêt indéniable. Il a souhaité mieux articuler qu'on le fait d'ordinaire les relations entre l'architecture et l'art d'une part et les pratiques rituelles musulmanes. Le point de vue n'est pas novateur, mais il permet de mieux comprendre cette interaction constante entre l'esthétique et le religieux. Je prends un exemple parmi tant d'autres, celui des chapelets : ils étaient souvent enduits de terre de Kerbala. Ce qui signifie que les pèlerins rapportait de leurs voyages pieux des petites quantités de terre comme les chrétiens rapportaient en Europe un peu de la terre sainte. Il y a d'ailleurs de nombreuses analogies de ce genre que l'auteur met en évidence. C'est le cas des reliques, mais en sachant que les pratiques qui entourent ce genre de culte présente aussi de nombreuses différences, parfois curieuses. Ce qui est vraiment intéressant dans ces explications, c'est le détail très précis des techniques adoptées pour obtenir des formes, mais aussi des possibilités de reproduction qui préfigurent l'imprimerie. Il va sans dire que cet ouvrage ne peut concerner que des personnes qui sont déjà bien informées dans le domaine des arts islamiques. La culture qui s'attache aux expressions matérielles de la croyance entraine des pratiques artisanales et artistiques qui doivent s'adapter à ces pratiques religieuses populaires, et aussi fournir des modèles pouvant être reproduits en grand nombre. Le spécialiste y trouvera donc de quoi compléter ses connaissances et avoir une idée beaucoup plus précise de ce qui constitue les aspects tangibles de la foi islamique, mais aussi des techniques et des choix artistiques pour les produire.




Le Siècle oublié, Fribourg les années 1300, Editions in fine / Musée d'Art et d'Histoire, Fribourg, 236 p., 34 euro.

Le titre est un peu malheureux, car ce XIVe siècle n'a pas été oublié par tous, car c'est celui de la grande peste noire : les Juifs sont accusés en Provence, en Catalogne, dans d'autres régions d'Espagne, et dans la mosaïque d'Etats allemands du Saint Empire d'avoir empoisonné les puits et d'avoir provoqué cette maladie qui pendant cinq années a causé la mort de plus de vingt millions de personnes en Europe (soit la moitié de sa population). Il y a eu des massacres en France, en Espagne et ailleurs de l'autre côté du Rhin. En 1348, les Juifs sont chassés des terres germaniques et ont dû se réfugier en Pologne ou dans les pays baltes. C'est une diaspora tragique. En ce qui concerne Fribourg, ce catalogue est passionnant. Cette ville n'a pas d'origine romaine, ni même de réelle existence jusqu'au XIIe siècle. Elle s'est retrouvée sous la dominations des Habsbourg puis s'est alliée avec Berne. Son essor est dû surtout à l'activité prospère des tanneurs et des drapiers. Des documents administratifs et juridiques témoignent de la croissance de cette cité. Mais elle a échoué ensuite à réussir son expansion territoriale. On assiste aussi alors à un développement de la culture. La littérature religieuse connaît un élan remarquable. L'installation à proximité de l'ordre des hospitaliers de saint Jean de Jérusalem y est pour beaucoup. Les augustiniens ont aussi choisi cette région. Les romans de chevalerie commencent à y circuler. En somme, Fribourg se dote d'une culture à l'égal du reste de l'Occident. Avec son extension, la ville se dote de portes nouvelles bâtisses, dont certains subsistent encore, d'églises. L'abbaye cistercienne d'Hauterive est sans doute le plus bel exemple de l'architecture gothique tardive. L'église Saint-Nicolas et l'église des Cordeliers figurent parmi les merveilles de la première partie de ce siècle. Les progrès techniques vont de pair avec un raffinement flamboyant typique. L'art du vitrail va de paire avec ces constructions religieuses (on notera d'intéressants vitraux abstraits). La peinture murale se développe elle aussi, mais hélas le temps a fait son oeuvre et ce qui en subsiste est en un état déplorable. Mais le peu qu'on puisse ne voir permet de juger de la qualité de ses artistes. La sculpture a mieux résisté à cet outrage des ans. Fribourg n'a pas grand chose à envier aux villes de l'Europe centrale, même si ses statues ont encore un rien de naïf. Et l'on ne peut qu'admirer le travail de ses enlumineurs. En définitive ce catalogue nous fait découvrir une cité qui a su en quelques décennies se rapprocher de l'excellence d'une époque.




La Famille Belonore, Philippe Carrèse, L'Aube, 736 p., 25 euro.

Ce livre qui a des dimensions énormes comprend en réalité trois tomes, qui relatent l'existence d'une famille italienne depuis les années 1910. Plus qu'ailleurs en Europe occidentale, l'Italie, pays essentiellement agraire, commence à s'industrialiser à grande vitesse. Les Belonore habitent dans une petite bourgade nommée San Castello dans les environs de Bergame. Petit à petit, le lecteur est initié au cercle de famille et connaît les trois frères qui grandissent sous la férule de fer du pater familias. Il existe une grande espérance au sein de ce petit monde car le père a fondé tous ses espoirs dans la probable exploitation d'une mine, dont se charge un ingénieur, qui pourrait les enrichir. Le père, Volturno, décide qu'il est indispensable de se mettre en relation avec un ministère à Milan, où il n'était jamais allé. Il y apprend qu'il n'y a pas de ministères dans cette grande ville, mais qu'ils se trouvent à Rome, la capitale du royaume depuis peu. Cette anecdote un peu risible montre à quel point les hommes de cette époque étaient assez ignorants et des institutions et du système politique qui les régentait - une monarchie constitutionnelle. Bien des événements ont lieu dans ce petit univers lombard (ce qui est amusant, c'est que l'auteur a choisi de faire souvent parler ses protagonistes en italien, alors qu'à cette époque-là ; il devait parler le dialecte ! Mais peu importe !). Des drames sanglants y ont lieu et on découvre aussi bien l'aubergiste que les autres habitants du cru. Ce qui est curieux dans cette « saga », c'est qu'on ne parvient pas à y trouver une trame dramatique car c'est le destin de cette famille qui est le fil d'Ariane du tout. C'est assez déconcertant, car le roman fait penser à ces grandes évocations du XIXe siècle qui, dans une manière très réaliste, et même naturaliste, décrivent le destin d'une famille (il faut savoir que la plus grande part de l'histoire italienne est constituée par l'histoire de ses grandes familles régnantes, comme les Sforza, les Este, les Borgia, les Borghese,...). Ici il s'agit de figures appartenant à une classe bien plus humble. La seconde partie tourne autour de la question de la guerre contre l'Autriche-Hongrie. Nous nous retrouvons en 1917, l'année tragique de la retraite de Caporetto et de l'intervention de troupes allemands venues seconder les Autrichiens et qui prennent les positions de l'armée italienne à revers. Marzio, l'un des fils, violoniste de talent, est parti à Marseille. Il était parti à la recherche de la belle et très jeune orpheline Ofelia, dont il était amoureux, qui, enceinte, avait disparu. Il y a aussi les femmes, qui connaissent souvent un sort néfaste, comme c'est le cas de Vittoria, fille illégitime de Volturno. Après quoi, le lecteur est emporté quelques années plus tard, au début de l'ère fasciste... Impossible de résumer ce roman foisonnant et qui ne cesse de faire pousser ses ramifications narratives. Philippe Carrese a écrit une oeuvre très singulière, autant dans sa composition que dans son style. Il parcourt une grande partie du XXe siècle car la trilogie s'achève après la Seconde guerre mondiale en mettant en scène le destin des enfants du patriarche de San Castello. C'est un cas littéraire, qui pourra fasciner certains. C'est une histoire touffue, intriquée, dont il n'est pas toujours aisé de démêler les noeuds. Mais elle a un certain souffle et fait apparaître l'esprit des Italiens de cette longue période sous un éclairage assez original et même inattendu.




Papiers, la revue de France Culture, n° 30, automne 2019, 176 p., 15, 90 euro.

Ce dernier numéro en date de Papiers a pour thème « Soigner l'âme humaine ». Vaste sujet, mais passionnant car on est bien forcé de faire le point des décennies après l'anti psychiatrie et la psychanalyse lacanienne. Les questionnements se font désormais dans une optique bien différente. On découvre d'abord un passionnant entretien avec Boris Cyrulnik, qui a développé le principe de résilience, puis des considération sur le devenir de la folie par Patrick Lemoine qui s'interroge sur le statut futur du soin des aliénés et enfin une réflexion sur les perspectives actuelles de la psychiatrie dans un dialogue avec Pierre-Michel Llorca et Pierre Sidon, suivi par un débat sur la nécessité de la relation psychanalytique telle qu'on l'entend. Ce grand dossier retient l'intérêt car on ne parle plus de grandes révolutions thérapeutique sou de nouvelles théories. Les questions soulevées par la folie sont posées sous une forme plus posées et surtout avec beaucoup d'interrogation sur les disciplines qui ont traité à la santé mentale. Olivier Burkeman rappelle quels ont été les effets de l'usage des substances psychédéliques et en rappelle l'histoire. Dans un tout autre registre, on peut parcourir un important portfolio du photographe Mathieu Pernod, un hommage à Michel Serres, qui, comme on le sait, est disparu il y a quelques mois. Pour ce qui est de l'art, il y a un entretien avec Wadji Mouawad, un artiste libanais qui s'exprime essentiellement par le truchement de la vidéo (dans une optique « sociétale » qui est la seule issue possible pour des créateurs qui ne parviennent plus à imaginer un univers esthétique autonome et novatrice) - ils ressentent le besoin d'une justification concrète, presque d'actualité. On nous apprend bien des choses sur l'expansion démographique et sur les dessus de la brigade criminelle. Comme toujours, cette revue est très riche et reste la manifestation la plus intelligente d'un changement complet de la perspective spéculative de nos contemporains, qui s'ancre toujours plus dans l'angoisse du réel.
Gérard-Georges Lemaire
14-11-2019
 
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Verso n°136

L'artiste du mois : Marko Velk

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Christophe Cartier au Musée Paul Delouvrier
du 6 au 28 Octobre 2012
Peintures 2007 - 2012
Auteurs: Estelle Pagès et Jean-Luc Chalumeau


Christophe Cartier / Gisèle Didi
D'une main peindre...
Préface de Jean-Pierre Maurel


Christophe Cartier

"Rêves, ou c'est la mort qui vient"
édité aux éditions du manuscrit.com