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[verso-hebdo]
30-05-2019
La chronique
de Gérard-Georges Lemaire
Chronique d'un bibliomane mélancolique

Les Fleurs par les grands maîtres de l'estampe japonaise, Amélie Balcou, Editions Hazan, sous coffret, 22,95 euro.

L'auteur a choisi de tirer ses exemples des oeuvres des auteurs les plus célèbres - Hiroshige et Hokusai - de cette période du Japon si riche en artistes xylographes capables de faire des prouesses dans le dessin aussi bien que dans le rendu par la technique de la xylographie, qui permettait alors des tirage en dix couleurs. Les fleurs n'ont pas été leurs sujets de prédilection. Mais ils y ont attaché une grande importance. Ils pouvaient fort bien égaler nos plus importants artistes botanistes. La finesse de leurs traits, la délicatesse du rendu des couleurs, la méticulosité avec laquelle il pouvait rendre la plante avec une précision et un réalisme extrêmes, sans parler de la poésie qu'ils savaient lier à leurs compositions en font des merveilles absolues. Je ne regrette qu'une chose : qu'il n'y ait pas eu d'autres artistes représentés ici. Mais ce panorama est amplement suffisant pour comprendre à quel niveau était parvenu leur art et leur capacité de restituer la nature avec un respect infini et une sensibilité peu commune.
Les célèbres frères Redoutée (Henri-Joseph a été le dessinateur attitré de Geoffroy Saint-Hilaire pendant la campagne d'Egypte et Pierre-Joseph demeure connu et très apprécié pour ses aquarelles représentant des roses) ont atteint une même qualité en terme de botanique et même de rendu artistique que leurs homologues japonais. Mais ils ne sont pas parvenus à un aussi subtil rendu des fleurs, car ils travaillaient d'abord dans une optique scientifique. Ici, les détails d'arbres, les animaux, les ciels, les textes inscrits sur la planche, tout contribue à la beauté de ces « portraits » et à développer une poésie sans égal. Comment expliquer le phénomène (nous sommes à peu près à la même époque) ? Je pense que pour les graveurs de l'Empire du Soleil Levant, la science était placée sur le même plan que l'art. Il n'y avait pas de hiérarchie et la beauté restait leur premier idéal, sans que l'étude de chaque espèce soit secondaire. Ils établissaient ainsi un équilibre parfait entre les deux sphères alors que leurs équivalents français s'inscrivaient dans l'idée d'un progrès des connaissances qui faisaient que leur compositions, aussi belles fussent-elles, restaient en général des natures mortes magnifiquement agencées.
Les Japonais, eux, recherchaient la vérité de la nature, ce que nous appellerions son essence (mais ce terme n'est pas d émise dans ce pays) et leurs fleurs étaient toujours peintes dans leur environnement. Ces créateurs d'exception ne faisaient qu'extrapoler un aspect spécifique du spectacle enchanteur que les saisons offraient à la vue de tous. C'est un album sans nul doute délicieux et qui nous apprend beaucoup sur les différences encore sensibles entre l'art occidental et l'art oriental, mais aussi ce qui paradoxalement les rapprochait déjà.




Surréalisme, Amy Dempsey, « L'art en poche », Flammarion, 176 p., 12 euro.

Je vous entend déjà me dire : « encore un ouvrage de divulgation sur le surréalisme ! Basta ! ». Eh bien, vous auriez tort pour cette fois. Bien sûr, ce livre n'a pas beaucoup de choses à partager avec le célèbre livre de Maurice Nadeau. Mais il a tout de même un grand atout : la remarquable originalité de son iconographie. A part quelques oeuvres absolument incontournables, comme La Récompense du devin (1913) de Giorgio De Chirico - qui n'est d'ailleurs pas son tableau le pus célèbre à l'époque des Places d'Italie, ou Le Déjeuner en fourrure (1936) de Meret Oppenheim, on découvre des oeuvres qui sont peu souvent reproduites ou qu'on ne trouve que dans des publications ou des catalogues consacrés à un artiste précis. L'ensemble donne du surréalisme une autre image et, surtout, nous oblige à voir ce mouvement sous un autre angle de vue. La qualité plastique des oeuvres l'emporte sur la valeur « totémique »  de telle peinture, de telle sculpture ou de tel objet.
Quoi qu'il en soit, l'auteur résume très bien les étapes allant de la publication du Manifeste du surréalisme d'André Breton à la création de groupes se réclamant de cette déclaration un peu partout en Europe et même à New York. Il met l'accent sur Prague, où le plus gros de l'avant-garde tchèque s'en recommande : deux figures se distinguent, Jindrich Styrsky et Marie Cerminovà, qui se ferait ensuite appeler Toyen - ils ont été les fondateurs d'un courant qu'ils ont baptisé l'artificialisme, dont on n'a pas encore reconnu en France la valeur. Des expositions itinérantes, à partir de celle de Londres qui a lieu en 1936 ont permis la diffusion de cette conception inédite de l'art et de la littérature.
Puis Amy Dempsey relate ce que les surréalistes ont fait pendant la guerre, en n'oubliant pas des circonstances qui sont généralement passées sous silence ou considérées comme étant très mineures, comme la création du groupe Art et Liberté au Caire ou la création d'un petit groupe à Budapest auquel appartenait le poète Ghérasim Luca. Dans une seconde partie, l'auteur analyse avec soin les thèmes principaux et les manières de procéder des surréalistes. Là encore, il fait montre d'une capacité de synthèse très convaincante. Il en vient ensuite à examiner les différentes formes que prennent les oeuvres des créateurs qui se reconnaissent dans ce mouvement en choisissant des auteurs célèbres et d'autres peu connus. Sous sa plume, on redécouvre ce qu'a vraiment été cette esthétique qui a dominé la culture novatrice pendant les années trente et quia eu tant d'importance aux Etats-Unis. On a tout à gagner à consulter cet ouvrage, qui ne se veut pas exhaustif, mais qui sait très bien exposer ce en quoi le surréalisme a vraiment été au-delà des visions un peu étroites qui ont dominé jusqu'à présent.




Madame de Maintenon, dans les allées du pouvoir, sous la direction d'Alexandre Maral & de Mathieu de Vinha, Editions Hazan / Château de Versailles, 192 p., 35 euro.

L'histoire de Madame de Maintenon a été entourée de toutes sortes de légendes, surtout à propos de sa naissance en prison en 1635. Cela est vrai, mais sa mère n'était pas une prostituée et son père, Constant d'Aubigné, était de la petite noblesse. Françoise d'Aubigné été confiée à sa tante, Madame de la Villette, qui était protestante. Puis elle passe six ans en Martinique, son père ayant été nommé gouverneur des îles de Marie-Galante.
A son retour en France, elle mène une vis misérable près de La Rochelle. Elle retourne chez sa tante, mais doit abjurer sa foi calviniste et est placée dans couvent des Ursulines à Niort puis à Paris. Madame de Neuillant, sa marraine, veille sur elle. Elle lui fait connaître plus tard les salons parisiens. Elle se hâte d'épouser en 1652 le dramaturge et poète Paul Scarron malgré sa laideur et ses graves problèmes de santé. Il tient salon et sa jeune épouse y brille. Madame de La Fayette et Madame de Sévigné le fréquentent volontiers. Scarron meurt en 1660 en lui laissant des dettes pour tout héritage. Elle devient alors la maîtresse de Louis de Mornay, mais leur relation ne dure pas.
Elle commence à se forger une image de femme dévote. Par l'intermédiaire de Madame de Montespan, qui a fréquenté son appartement de la rue de Turenne, elle devient la gouvernante des bâtards du roi, qui sont légitimés. Elle achète le titre de Maintenon en 1674. Le roi l'apprécie de plus en plus et lui confère la charge de seconde dame d'atours de la dauphine Marie-Anne de Bavière en 1680. C'est dans la nuit, en secret, qu'elle épouse Louis XIV. C'est un mariage morganatique. Si elle n'est pas reine de France, elle n'en exerce pas moins une influence considérable à la cour. On lui impute la révocation de l'édit de Nantes en 1685, mais sans preuve. On lui reproche aussi la dispersion des adeptes de Port-Royal en 1709 et la déchéance des jésuites. Elle fait créer en 1680 la Maison royale de Saint-Cyr pour l'éducation des jeunes filles de la noblesse. Elle y installe un théâtre et Jean Racine y donne sa dernière pièce, Esther, en 1689.
Dans la mise en oeuvre de ce projet, elle se dévoile très efficace et novatrice. Elle y est enterrée en 1719. Cette exposition nous présente de nombreux portraits (dont un de Pierre Mignard et un autre de Nicolas de Larguillère) de cette femme peu commune et nous présente toutes les facettes d'une épouse royale, qui a peut-être été plus puissante que toutes les épouses officielles du roi absolu. Cette exposition permet de mieux connaître cette femme cultivée, surprenante, qui a joué un rôle sans doute plus important qu'on ne l'a dit, et pas uniquement en matière religieuse. Et cette plongée dans la dernière phase du règne de Louis XIV nous éclaire sur ce crépuscule qui a été lourd de conséquences.




Double feinte, territoire des fictions secondes, Eric Rondepierre, Tinbad, 192 p., 22 euro.

Eric Rondepierre s'interroge dans cet ouvrage sur la théâtralité de la vie quotidienne et aussi sur sa toujours plus importante présence dans les arts contemporains, de la danse à la littérature. Il ne s'arrête à ce qui pourrait être une sorte de « tableau vivant » occulte car volatile et involontaire.
Il va encore plus loin que cela et s'interroge sur les nombres impossibles que René Descartes a observés et commentés. Ce que l'auteur a tenté de rendre tangible à nos yeux, ce sont ces « réalités seconde ». Pour se faire comprendre, il a choisi plusieurs exemples qui, chacun, constitue un chapitre. Le premier exemple est le premier film, The Bellboy (1960) de Jerry Lewis dont il retient une très courte scène avec une pomme invisible. Rondepierre insiste sur la question de la relation avec le public : l'acteur n'a plus dans le cinéma ce rapport direct et ne peut donc pas savoir de quelle manière il réagit à un effet comique. Cependant, il doit établir ce contact avec le public, qui doit réagir à l'action comique Il analyse une scène très brève avec pour centre une pomme fictive.
L'idée de Jerry Lewis est de faire participer le spectateur à cette réalité absente (la pomme) restituée par le toucher. Dans le second chapitre, l'auteur s'appuie sur des écrits de Jean Genet, Le Captif amoureux, où notre auteur distingue deux genres fictionnels différents, le premier étant celui de la vie vécue, qui est transposée et devient en fin de compte onirique, le réel devenant le jeu parfait, le second étant une fiction parfaite qui pourrait se passer de lecteurs. Dans ce texte, le « donné » n'est jamais complètement donné. Un troisième chapitre nous rappelle une série d'oeuvres photographiques réalisées par Paul Nougé entre 1929 et 1930. L'idée était de porter un toast avec des verres inexistants devant un mur vide. Dans cette même perspective, il fournit d'autres exemples comme J'aime faire de la mobylette de Joachim Mogarra (1981), où n'apparaissent que peu d'éléments de référence, le reste étant dû à l'attitude mimétique des personnages.
Quant à Edouard Levé, il s'amuse à simuler des scènes érotiques très poussées dans la série Pornographie (2002). L'objet est absent, mais le jeu des « acteurs » lui restitue sa place. Dans son cas, les objets sont occultés et évoqués par d'autres moyens (surtout la gestuelle). Chez lui, l'oeil prend son indépendance au détriment de l'esprit. Tous ces exemples mettent en scènes les modalités de « l'image secondaire » : « le geste faux bouleverse discrètement la perception de la relation par rapport à la perception » en introduisant un indiscernable (« inaccessibilité d'un objet qui manque à sa place ».) Puis Rondepierre nous parle des travaux de Jeff Wall, en étudiant de plus près une photographie intitulée L'Homme au fusil (2000). Cette scène correspondrait à ce qu'on appelle la « mimique à vide » Il scrute alors toutes les signification qui peuvent naître de ce simulacre.
Il choisit ensuite, dans une nouvelle partie, de s'attacher aux menées d'un personnage de Philip Roth, Henry dans La Contrevie. Rondepierre prend conscience que le dentiste cherche à adopter une autre personnalité. Ainsi les rôles se diversifient et s'échangent. Il souligne la folie de prendre pour soi dans ce jeu de représentation. Le registre du possible, nous dit l'auteur, envahit le registre du réel. Il choisit un autre roman, Vol au-dessus du nid de coucou de Ken Kesey (1962). Dans ce livre (et dans le film qui en a été tiré) les diverses affaires psychiatriques relevées aux Etats-Unis, il souligne qu'une brèche peut être faite par le fou dans l'institution du quotidien, qui est la prison de la réalité. Il développe sa théorie de la substitution avec Blow Up de Michelangelo Antonioni. Il s'arrête sur la scène de la partie de tennis et note : « Le semblant sort de son registre. » Il commence à rassembler toutes ses observations en disant que l'art moderne « veut se dissoudre dans la réalité... »Il est convaincu qu'il faut redoubler la fiction pour atteindre une réalité...» Et donc : « La double faute devient une double feinte. » Elle vise la représentation tout en en y échappant. Un dernier grand paradigme vient soutenir sa thèse : Le Retable des merveilles de Cervantès.
Il termine son livre en affirmant : « L'homme n'a pas inventé le théâtre, c'est le théâtre qui a fait de l'homme ce qu'il est - garçon de café compris. » (Je note au passage un texte que j'avais publié dans l'exposition du Mucem sur le café qui relatait la journée d'un garçon de café : cela devenait sous la plume de l'auteur une véritable chorégraphie très bien réglée). L'imagination se trouve présente au sein de la réalité. Cela appartient à notre façon d'habiter le monde. Le raisonnement d'Eric Rondepierre est sans doute complexe, mais il nous éclaire sur certains aspects de la création actuelle, mais surtout sur notre existence actuelle, que nous jouons lorsque nous la jouons consciemment. Mais sous la complexité apparente, on se rend compte qu'il s'agit là de ne plus distinguer la fiction du réel, mais de traquer dans le réel cette faille (qui se répète sans cesse) qui fait surgisse cette indisposition de la double feinte, qui remet tout en cause. A méditer.




Journal secret, 1941-1944, Curzio Malaparte, traduit de l'italien et présenté par Stéphanie Laporte, Quai Voltaire, 334 p., 23,70 euro.

Curzio Malaparte (Curt-Erich Suckert, 1898-1957) est connu pour être l'auteur de deux chefs-d'oeuvre du roman du XXe siècle : Kaputt (1944) et La Pelle (La Peau, 1949). Mais il est l'auteurs de nombreux livres, dont les plus connus sont Technique du coup d'Etat (1931 - ce qui lui a valu quelques déboires avec le régime fasciste bien qu'il ait adhéré au PNF, le parti de Mussolini, en 1922), La Volga naît en Europe, 1943 - ce livre devait paraitre un an plus tôt, mais le bombardement de l'imprimerie Bompiani ont détruit la première édition - ce sont les reportages destiné au quotidien Il Corriere della Sera qu'il a faits sur le front russe quand l'Allemagne a attaqué l'URSS), Maledetti toscani (1956), Benedetti italiani (posthume), Io, in Russia e in Cina (posthume).
On l'a parfois comparé à Louis-Ferdinand Céline, ce qui est à la fois juste et erroné. Mais il est évident que dans ses grands ouvrages romanesques, il fait preuve d'une fabuleuse virtuosité dans l'écriture et d'un imaginaire tout à fait hors du commun. Publié en France, il n'a peut-être pas encore la place qui lui revient. La parution des ce Journal secret nous nous apprend que peu de choses sur sa littérature, en dehors de quelques extraits de brouillon, des idées de titre et quelques notes. Mais on découvre surtout l'homme et le grand voyageur. L'essentiel de ces carnets (dont on n'a jamais pu retrouver l'intégralité) relate surtout son grand voyage en Laponie en 1942, qui semble l'avoir profondément bouleversé. Curieusement, ces cahiers ne révèlent que bien peu de notations littérature et révèlent quelques unes de ses lectures de l'époque, comme D. H. Thoreau ou Paul Morand. Deux villes se trouvent être ses principaux points de chute : Stockholm (où il se trouve quand les Alliés débarquent en Sicile) et Helsinki. Il entame son troisième et bref séjour en Finlande en mai 1943. Il rentre ensuite chez lui à Capri dans sa nouvelle demeure construite par Libera. Il assiste au bombardement de Salerne.
Il y apprend la nouvelle de l'armistice signée par le roi Victor-Emmanuel III et le maréchal Badoglio le 8 septembre 1943. Dans les pages qui suivent, il fait un long compte rendu de sa visite chez Benedetto Croce. Le 22 novembre, il est arrêté et incarcéré à la prison de Poggioreale. Pendant plusieurs jours, il se contente d'écrire : « Faim » ! Heureusement, le 1er décembre, il est assigné à résidence. Il se rend parfois à Naples. Il travaille beaucoup à la version définitive de Kaput (il l'orthographiait encore ainsi). En somme, ce Journal secret n'a que peu de secrets ! Mais il permet de comprendre de quelle façon l'écrivain a passé la terrible parenthèse de la guerre et nous oblige à nous replonger dans sa biographie.
C'est une sorte de cicérone en creux de ces années où il a travaillé comme correspondant sur le front, comme directeur de la revue Prospettiva et aussi de comprendre comment il est parvenu à se sortir des mauvais pas causés par son passé fasciste. Le plus souvent, on peut trouver des phrases telles que celle-ci : « jeudi 27 avril - Travaillé. Le temps se rétablit lentement. Mais pas tout à fait. » Au fond c'est son périple dans le grand Nord plus que sa vie sociale qui nous importe dans ces pages. Et ce qu'ont été les jours et les nuits d'un écrivain d'exception.




Le Conte de ma vie, Hans Christian Andersen, traduit du danois et présenté par Cécile Lund, « Le goût de l'histoire », Les Belles Lettres, 312 p., 14, 90 euro.

Publié en 1855, cette autobiographie nous présente la première partie de l'existence du grand écrivain danois H. C. Andersen (1805-1875). Elle est écrite de façon assez concise et avec beaucoup de simplicité. Mais elle n'en a pas moins beaucoup de charme. L'auteur rappelle son enfance très moderne (son père était cordonnier) à Odense. Il insiste sur le charme de son enfance qui, malgré la relative pauvreté de ses parents, a été heureuse. Il semble avoir eu beaucoup de plaisir à aller à l'école, à rejoindre sa mère à l'époque des moissons et finalement a cru vivre dans l'abondance. Il pouvoir aller au théâtre, il distribue des prospectus dans la rue pour annoncer le spectacle et gagner ainsi sa place. Il commence très tôt à écrire de petites comédies.
Ayant une belle voix de soprano, il chante dans la fabrique où il travaille. Son père, qui a été soldat, revient en 1814 et meurt deux ans plus tard. Peu après il se retrouve dans une institution religieuse de Copenhague et quand il y arrive survient un terrible pogrom. Il rentre dans sa ville natale e et un grand ténor italien accepte de lui donner des leçons gratuites. Il est ensuite aidé par des chanteurs ou des musiciens de renom. Il passe un an à étudier la danse. Puis il prend des cours d'art dramatique. Il se produit même comme comédien en 1822. Mais toutes mes pièces qu'il écrit sont refusées. Le directeur du Théâtre Royal le prend néanmoins en affection et il obtient un bourse du roi Frédéric VI.
Il entre alors au collège de Slagelse où il reste jusqu'en 1827. Il y écrit pièces, romans, nouvelles de toutes sortes. Il fait un voyage dans l'île d'Amager et en publie à compte d'auteur le récit en 1828. Une de ses farces est montée m'a n'a aucun succès. Il écrit en 1830 un recueil de poèmes et commence un roman. Il publie ses premiers Contes pour enfants en 1832. Il décide alors de faire un grand voyage en Allemagne. Puis il se rend à Paris en mai 1833 et y fait la connaissance de nombreux auteurs, comme Heine, Balzac et des personnalités du théâtre. Infatigable, il se rend en Suisse et enfin l'Italie. Il connaît son premier grand succès avec son roman L'Improvisateur et il publie en 1835 le second tome de ses contes de fées. S'il écrit beaucoup il voyage beaucoup : il va en Angleterre, où il rencontre Charles Dickens, dans l'Empire ottoman, en Suède, en Espagne.
Il revient deux fois à Paris, en 1843 et en 1867 pour l'Exposition universelle. Dans ces pages, il cultive une sorte de naïveté dont on ne sait si elle est authentique ou feinte et se réjouit de toutes les personnes dont il fait la connaissance. Il est curieux de tout, mais dit peu de choses de ce qu'il a découvert au cours de ses périples innombrables, dont il publie souvent la relation en volume. Difficile de juger de l'homme en lisant ces belles pages. Peut-être a-t-il pris son rôle de conteur pour les petits enfants au sérieux et a-t-il voulu laisser le souvenir d'un homme heureux, chanceux et gai. Qui sait ? Cette édition est agrémentée de nombreux documents.




Le Livre, Julien Blaine, Les Presse du réel, 192 p., 17 euro.

Julien Blaine ne cesse jamais de nous étonner. Chaque ouvrage se révèle une surprise. La seule constante que je relève est son iconoclastie. Cette fois, il ne donne pas à assister au saccage de la poésie ou de l'art, au nom d'un anti art vengeur et d'une drôlerie toute rabelaisienne, mais à celui du Livre, c'est à dire de la Bible. Il a imaginé de réécrire la Genèse à sa manière, dans une optique hostile à l'esprit de tout monothéisme. Il imagine la naissance du monde qui serait purement minérale. Il nous représente un cube immense dans l'espace incommensurable, dont les angles s'arrondissent avant que le tout explose en formant une multitude de particules. Le cube se change en une sphère. Seize rochers de calcaire se forment.
Ne voulant pas gâter le plaisir de la découverte de cet univers, qui ne cesse de se transformer, j'éviterai de décrire les épisodes qui suivent. C'est un enchaînement d'engendrements de peuples et de figures légendaires ou monstrueuses, dans un monde où il y a une végétation envahissante, mais, à ma connaissance, pas d'animaux, ni d'humains comme nous l'entendons. Ce qu'il nous dépeint, ce sont des sagas titanesques et aussi peu déchiffrables que les mythes anciens des sumériens ou des civilisations amérindiennes. Il ne s'agit pas d'un pastiche des Métamorphoses de Virgile, mais tous ces êtres étranges ne cessent de prendre des aspects nouveaux dans une sorte d'accélération de l'évolution de ces peuplades, qui se dotent parfois de héros propre à d'autres univers vivants, car si l'on demeure dans une galaxie minérale, celle-ci est vivante et féconde. Il a ainsi créé des légendes qui ont l'apparence de celles que le passé lointain nous a transmis, mais en prenant soin de tout recréer de fond en comble. Bien malin celui qui trouvera l'origine de ces histoires issus des temps immémoriaux ! Mais ce qui importe ici, c'est la force de ces épisodes improbables, qui se situe entre un jeu cosmique et une épopée où tout ce que nous avons pu connaître est remis en jeu.
L'ambiguïté joue un rôle de premier plan dans cet ouvrage, qui possède néanmoins sa poésie, même si le doute ne cesse jamais de planer à leur sujet. On ne peut qu'être fasciné par ces généalogies pariétales et ces peuplades où l'humanité est changée en pierre. En somme, comme il en a l'habitude, Julien Blaine fait naître un conflit entre ce qui est possible et ce qui ne l'est pas, balayant les poèmes antiques tout en les sacralisant sous une autre forme poétique. C'est déroutant, mais prenant et, somme toute, possède la plus bizarre des beautés, même si le lecteur tombe dans un piège savamment préparé.




Je ne ferai pas une bonne épouse pour personne, Nadia Busato, traduit de l'italien par Karine O'Keeffe, Quai Voltaire, 272 p., 23 euro.

Nadia Busato est née à Brescia en 1979. Jusqu'à présent elle a écrit un roman, Gioca con me (2017) et a publié en collaboration avec Ariana Chieli en 2010, Obiettivo maschio (2010). Elle collabore à différents journaux, dont Il Corriere della Sera, des radios, des médias sur la toile. Son second roman, celui que nous avons entre les mains, semble avoir attiré l'attention de la presse. Je dois admettre que les premières pages m'ont fasciné : elle nous relate la préparation d'une langue de boeuf avec un luxe de détails, entre l'article chirurgical et le Nouveau Roman.
Le miracle ne dure qu'un temps : il cesse dès que l'auteur parle du crab cake que fait la voisine. Mais c'est néanmoins un bel exploit ! Mais ici le sujet de ce livre est l'existence d'Evelyn McHale qui se déroule d'abord pendant la Grande Dépression, se poursuit pendant la guerre et se termine tragiquement en 1947. Cette reconstitution passe à travers la voix de différentes femmes (à commencer par celle de sa mère), comme si elles avaient pour mission de récrire l'histoire des Etats-Unis de cette période. Quelques hommes ont aussi leur part dans cette affaire, comme le fiancé de la jeune femme et le photographe qui s'est rendu célèbre avec le cliché de son cadavre qui est tombé sur ne voiture de luxe appartenant à un diplomate en plein New York.
Ce fait divers a servi à l'auteur pour fournir sa représentation de l'Amérique, de la terrible crise à la naissance d'une prospérité inouïe. Deux points de vue s'emboîtent dans ce roman. Ce qui donne un récit polyphonique assez curieux car l'étude sociale a ici une importance capitale. Certes, le destin de cette femme a quelque chose d'exemplaire puisqu'elle s'enrôle dans le Women's Army Corps et puis, revenue à la vie civile, est engagée comme comptable dans une grande entreprise. Le mélange des deux genres est un vrai tour de force ! Pour parvenir à ses fins, Nadia Busato en est revenu à une forme romanesque beaucoup plus classique, qui permet d'y voir clair à travers les différentes narrations. Ce suicide du haut de l'Empire State Building rappelle celui de Friedrick Eckert, un négociant qui s'est suicidé de la même façon lors de la crise boursière de 1929 (ce fut le premier suicide d'alors).
Je ne ferai jamais une bonne épouse pour personne ne peut laisser indifférent. Et le geste fatal et symbolique d'Evelyn McHale, dont on découvre peu à peu l'enfance difficile, l'adolescence, la jeunesse sous les drapeaux et l'entrée dans le monde du travail peu avant la crise de la chasse aux sorcières au début de la Guerre froide et du rêve américain, Toutefois, il ne marque pas la naissance d'une véritable nouvelle donne dans la littérature italienne malgré ses qualités.




Le Destin personnel, Elsa Triolet, Folio, 130 p., 2 euro.

Ce petit volume nous présente deux nouvelles d'Elsa Triolet, soustraites au recueil Mille regrets. La première, écrite en 1941, « Le Destin personnel », relate l'existence de quelques personnages vivant en France au début de l'Occupation. Il n'y est justement pas question de l'occupation allemande, mais de ses conséquences : des hommes en captivité, d'autres qui sont morts au combat, la pénurie, le manque de bois ou de charbon pour se chauffer, en somme, d'une vie où l'on se replie sur soi et sur ce qui est vraiment indispensable.
Elle y dépeint le quotidien à la ville et puis à la campagne. L'histoire de ses protagonistes sert surtout à rendre tangible ce que les Français ont pu éprouver, sans faire aucune référence aux événements survenus et à l'épouvantable défaite. On a beaucoup reproché à l'auteur son réalisme. Mais Elsa Triolet a très bien su se tirer des pièges de cette perspective : elle raconte son histoire avec concision, sans pathos, en s'éloignant des modèles fournis par le passé, n'ayant peut-être eu pour grande influence Maxime Gorki. Son écriture est vive et moderne et on la lit encore de nos jours avec plaisir. « La Belle épicière » a été achevée un an plus tôt. Il y est question d'une rue de Paris, dont on ne connaît pas le nom, et toute l'action se déroule pour l'essentiel entre le Providence-Hôtel, l'épicerie, l'échoppe du cordonnier et le café. La disparition de l'épicière met ce coin de rue en émoi et nous révèle l'esprit d'un quartier populaire de la capitale avant la dernière guerre.
Gérard-Georges Lemaire
30-05-2019
 
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Verso n°136

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