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ID : 117
N°Verso : 75
L'artiste du mois : Fadia Haddad
Titre : Les masques et les oiseaux selon Fadia Haddad
Auteur(s) : par Harry Bellet
Date : 15/04/2014



Url : www.fadia-haddad.com/
Pour l’édition 2014 de Art Dubai, la Agial Art Gallery de Beyrouth a choisi de présenter Fadia Haddad, artiste née en 1959 qui vit et travaille à Paris depuis sa jeunesse.
Fadia Haddad est d’une exceptionnelle fécondité, multipliant les variations à partir de thèmes tels que l’oiseau et le masque, dont elle exploite le potentiel à la fois plastique, poétique et philosophique quasiment à l’infini.
Nous publions une courte déclaration de la plasticienne ainsi qu’un texte du critique Harry Bellet, un des meilleurs connaisseurs de son œuvre.

Les masques et les oiseaux selon Fadia Haddad
par Harry Bellet

Je n’ai jamais bien su si la série des « Masques » dérivait simplement de celle des « Oiseaux », dont Fadia Haddad aurait démesurément agrandi les têtes ou de son goût pour les fétiches africains. Des deux sans doute. Mais j’aime l’idée que les « Masques » seraient des oiseaux sans ailes dans lesquels l’artiste doit résoudre quelques belles contradictions. Car a priori, quoi de plus statique, de plus hiératique qu’un masque ? Rares sont ceux parmi les masques traditionnels qui ne sont pas symétriques, par exemple, à l’exception sans doute de quelques figures de carnaval, et encore.
Or, ceux de Fadia Haddad dansent, comme si le corps du porteur du masque, toujours absent mais auquel l’objet est fondamentalement destiné, lui transmettait son mouvement.

Le plus souvent, cette agitation se manifeste par une simple inclinaison du masque par rapport au cadre de la toile. Elle le peint non dans la verticale, mais selon une oblique. Ce premier déséquilibre une fois introduit, il lui reste à remettre d’aplomb l’ensemble de la composition (« j’ordonne toujours »), ce qui n’est pas particulièrement une mince affaire. Parfois d’ailleurs, le processus est inversé et c’est le masque qui surgit d’un fond lentement travaillé, mais avec un acharnement que le résultat final ne permet pas toujours de percevoir. Il suffit de savoir que Fadia peint dans un état proche de la transe, que chaque séance de travail se paie de quelques litres de sueur, voire de quelques consultations de kinésithérapeute, pour imaginer l’intensité de la lutte. C’est aussi ce qui rend ses « Masques » si particuliers : ils sont habités, exactement comme le sont les fétiches africains ou océaniens. Sauf que le mana, l’âme du fétiche, est ici constitué, à la base, de l’énergie que lui a insufflé l’artiste.

Plus récemment, et si elle utilise encore de temps à autre une disposition oblique, la dynamique du masque dépend plus de sa proportion : il ne remplit plus nécessairement tout l’espace, mais peut être réduit à une petite figure dans un grand maelström de peinture, comme s’il naissait de cette agitation de matière et de couleurs et, par sa précision, fixait l’ensemble comme pourrait le faire un tenon, un clou ou un axe. Cela est particulièrement visible dans ceux des tableaux où le fond est quasiment abstrait, généralement doté de la matière assez incroyable que Fadia Haddad a su développer avec les moyens pourtant si simples et pauvres de la peinture à la colle, où le masque contraste d’autant plus volontiers qu’il est dessiné, lui, avec précision.

La fragilité du trait opposé à la violence de la peinture et du geste porte là la tension des tableaux à son paroxysme. Et ceci d’autant plus que la série des « Masques », surtout dans ces dernières années (rappelons-nous qu’elle a été entamée il y a près de dix ans), a été pour Fadia Haddad l’occasion de réintroduire dans sa peinture des couleurs plus franches. Les gris colorés, les terres, les bruns, qui caractérisaient les « Oiseaux » laissent place à des rouges parfois pétants ou des bleus d’une intensité que n’aurait pas reniée Matisse.

(extrait de Traversée, monographie, Area Paris, 2011)

 




 
 
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