Le peintre-scénographe-poète-essayiste Gilles Aillaud (1928-2005) nous est rendu présent par l'exposition en cours à la Villa Tamaris-Centre d'art (jusqu'au 18 mars) et par le beau livre-catalogue édité par les galeries de France et Loevenbruck, Gilles Aillaud Papiers 1949-2003. C'est une excellente chose, car les jeunes générations risquaient d'oublier ce que fut le talent de cet artiste exceptionnel, et de limiter son apport à sa participation à la célèbre suite de huit tableaux de 1965 qui condamnait de manière polémique Marcel Duchamp (Vivre et laisser mourir ou la fin tragique de Marcel Duchamp, en collaboration avec Eduardo Arroyo et Antonio Recalcati. Musée Reina Sofia, Madrid). Dans les années 60 et 70, Aillaud avait commencé par parler de grilles et de quadrillages. Dès avant la mode hyperréaliste, il peignait avec exactitude des animaux enfermés dans les cages des zoos ou parqués dans des enclos où quelques accessoires « naturels » donnent l'illusion de la vie sauvage dont ils ont été privés. Bien sûr, l'histoire racontée par Aillaud allait alors au-delà de ces pauvres fauves : mais il ne s'agissait sans doute pas d'une homélie de plus sur les malheurs de la condition humaine (tout le monde sachant que tout le monde est coincé dans les alvéoles de la ruche de la société industrielle).
Aillaud, en fait, était un sociologue qui nous décrivait, non pas des animaux porteurs d'un message, mais des lieux où l'homme les enferme. Et la manière dont l'homme construit ces prisons, différentes selon qu'il s'agit de lions, de rhinocéros ou de singes, est riche d'informations sur la pratique de la séquestration silencieuse et impunie par notre société. « L'art est devenu comme une sorte de zoologie, disait Aillaud, et les tableaux sont comme des espèces plastiques. C'est ça qui serait à transformer, car un tableau n'est pas une espèce plastique à ordonner parmi ses congénères et à laquelle seuls peuvent goûter ceux qui y ont accès. C'est le discours que tient une personne à d'autres personnes sur le monde dans lequel elles vivent ensemble. »
Ce discours, il l'a magnifiquement tenu aussi toute sa vie par le moyen du dessin à la mine de plomb ou à l'aquarelle. Il faut voir la manière dont il enlève le portrait de son fils Arthur ou dont il saisit la souple démarche d'un chat. « Un bonheur sensible et intellectuel à goûter dans la plénitude de l'échange des regards » recommande Robert Bonaccorsi dans sa préface. Aillaud a dédié l'une de ses aquarelles à Cézanne, le maître qui comme lui aimait le « Blanc souverain du papier, ciel, mer, silence, terre indifféremment, positivité absolue, oubli de l'oubli sur lequel meurt en caresse, comme une langue subtile, toute énergie dans le paroxysme de sa couleur... » On a compris que ce grand artiste était beaucoup plus qu'un simple illustrateur de l'actualité politique, même s'il avait génialement interprété une photographie célèbre de la guerre du Vietnam, où l'on voit une fragile petite combattante faire prisonnier un pilote yankee carrément géant (Sans titre, 1968, 200 x 200 cm). Une exposition et un livre nécessaires.
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