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[verso-hebdo]
28-11-2019
La chronique
de Pierre Corcos
Rien à voir : vraiment ?
On comprend bien le sens de l'exposition Rien à voir - Quand la création échappe au symptôme (jusqu'au 22 décembre au Musée d'Art et d'Histoire de l'Hôpital Sainte-Anne), consistant à enfin apprécier pleinement la démarche proprement artistique de patients, hospitalisés plus ou moins longtemps et/ou souvent à Sainte-Anne, et ayant réalisé des peintures dans le cadre d''ateliers thérapeutiques et occupationnels.
Il nous est ici proposé de ne plus voir l'oeuvre « comme un ensemble de signes significatifs et signifiants par rapport à la pathologie de son auteur », précise Anne-Marie Dubois, commissaire d'exposition et responsable scientifique du MAHHSA. Treize artistes des années 1960-1970 exposés, à l'esthétique proche de l'expressionnisme, du fantastique, de l'abstraction lyrique, dont on pourra aimer le jeu des couleurs, la composition, les effets produits, etc. sans qu'il n'y ait « rien à voir » (titre de l'exposition) du côté des symptômes, de la psychopathologie. Si tant est que la majorité des visiteurs de ce musée ait déjà eu l'envie, ou les moyens, de scruter les oeuvres d'un point de vue psychiatrique ou psychanalytique...

Il est vrai que le décryptage des oeuvres plastiques élaboré par les psychiatres, les psychanalystes reste tentant, il a connu ses fertiles années entre 1950 et 1970. Mais même avant, un ouvrage majeur de 1922, Bilderei der Geisteskranken de Prinzhorn, faisait réfléchir à un « art psychopathologique », et intéressait des peintres comme Max Ernst... Robert Volmat, dans L'Art psychopathologique, nous avait fourni un beau corpus, à partir d'une exposition majeure à Paris en 1950. Dans ces ensembles d'oeuvres, les critères esthétiques et psychiatriques se chevauchent à plusieurs niveaux : le goût du patient d'abord, qui détruit certaines oeuvres au bénéfice d'autres (pourquoi ?), celui du psychiatre, qui constitue sa collection personnelle, selon ses intérêts divers, et enfin cette tendance plus ou moins consciente à plutôt sélectionner, pour une exposition, des oeuvres qui creusent la différence entre les oeuvres psychopathologiques et les « normales »... Si l'on chausse les lunettes du clinicien, la dimension artistique s'estomperait au profit de l'interprétation à la limite du diagnostic. Des chercheurs comme Volmat ou Minkoska tentèrent de rattacher un type de production à une « maladie mentale ». Et il est vrai que la surface d'expression peut symboliser l'espace où évolue le patient, mais être aussi ce sur quoi des équivalents plastiques du symptôme peuvent s'exprimer. Par exemple certains mélancoliques n'utilisent qu'une partie limitée de la surface du papier qu'on leur donne (ils sont terrés dans leur coin...), tandis que les taches, éclaboussures, gribouillages convulsifs, textes écrits dans tous les sens, et imagerie érotico-scatologique peuvent témoigner des états de surexcitation des maniaques. Le bourrage systématique d'éléments, stéréotypiques ou non, semblent exprimer quant à lui l'étouffante occupation de l'intériorité dans la schizophrénie... Les thèmes récurrents donnent évidemment du grain à moudre aux psychiatres : du corps morcelé aux figures menaçantes, en passant par des monstres formés de figures agglutinées, c'est toute l'expression des terreurs et hantises du patient qui se manifeste là, sans avoir à passer par le canal exigeant de l'expression orale. Mais il n'y a pas que les thèmes, le rapport à l'espace et le geste. La symbolique des couleurs peut spontanément être mobilisée par le patient, les mélancoliques ayant une propension à utiliser le noir par exemple, les couleurs sombres...
Alors, si nous revenons à notre exposition au MAHHSA et si nous imaginons un instant qu'un clinicien veuille (et pas seulement par esprit de contradiction) continuer à « voir » malgré tout - au sens de décrypter - les oeuvres exposées, comment ne serait-il pas interpellé par les plantes piquantes, terminées d'aiguilles de Nicole Beuf, qui font penser à un certain nombre d'images classées dans l'art psychopathologique ? Ou frappé par l'écrasante noirceur dans les oeuvres de Danielle Rouchès ? Ou encore intéressé par les figures closes sur elles-mêmes et cosmiques de Guy Leroux ? En outre, ce clinicien recevrait-il les nombreuses coulées dégoulinant dans maintes oeuvres présentées seulement comme un tic, une mode dans une peinture abstraite datée ? En d'autres termes si, pour la grande majorité du public, une oeuvre s'apprécie ou se rejette (question de goût) sans s'interpréter, et si à la rigueur elle raconte une histoire par son thème (démarche iconographique), on ne peut négliger ces regards minoritaires qui ont tendance, du clinicien au critique d'art, à interpréter les oeuvres...

Peut-être le sens caché est-il plus dans le regard que dans la chose regardée ; peut-être la surinterprétation des oeuvres d'art a-t-elle naguère constitué un travers de la psychanalyse ; peut-être a-t-on trop sous-estimé de véritables talents artistiques derrière des expressions pathologiques appelant une réponse thérapeutique adaptée... Et en ce sens, l'exposition Rien à voir participe-t-elle d'une utile déconstruction des grilles dogmatiques de « lecture des oeuvres ». Bien... Mais tellement d'oeuvres créées par des artistes dits « normaux » passèrent au crible de ce voir interprétatif et des multiples sémiologies qu'on ne voit pas pourquoi il faudrait, pour ces treize créateurs, pensionnaires de Sainte-Anne, exclure une démarche euristique aujourd'hui banalisée. Ne peut-elle pas sans dommages alterner avec une contemplation purement esthétique ?
Pierre Corcos
corcos16@gmail.com
28-11-2019
 

Verso n°136

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