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[verso-hebdo]
03-10-2019
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La chronique de Gérard-Georges Lemaire |
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Chronique d'un bibliomane mélancolique |
Encre sympathique, Patrick Modiano, Gallimard, 144 p., 16 euro.
Comme de coutume, Patrick Modiano a prémédité un roman où nous, lecteurs crédules et disposées à se laisser berner, prêts à s'embarquer pour un Cythère littéraire, nous nous prenons aussitôt au jeu et nous laissons avec gourmandise l'auteur nous égarer dans un labyrinthe narratif des plus étranges. Le narrateur est, au début un jeune homme qui travaille dans une agence dont la qualité n'est pas précisée, l'agence Hutte -, sans doute une agence de recouvrement. Ce travail finit par l'ennuyer passablement et il décide de démissionner. Mais il emporte avec lui un dossier. Il s'agit de celui d'une certaine Noëlle Lefèbvre. Par goût du jeu, ou mû par une curiosité pour un cas qu'il n'avait pu élucider au bureau, il part à la recherche de cette personne. Alors commence une longue tribulation dans tout Paris. Il commence par l'adresse indiquée, rue Vaugelas, sur la fiche, mais ne trouve rien. Il décide d'élargir un peu le champ de ses recherches dans le quartier. Il finit par rencontrer dans un café un certain Gérard Mourade, qui dit être un de ses proches amis et qui lui parle de son mari, Roger Behaviour. Cette information ne fait que renforcer le mystère. Mais cela ne le décourage pas, bien au contraire. L'investigation l'a amené rue de la Convention, puis chez un certain Brainos, un médecin demeurant avenue Victor-Hugo. Au début, Mourade l'accompagne dans ses démarches. Il lui confia que ce Roger Behaviour avait exercé plusieurs métiers et avait du mal à trouver du travail. Quant à elle, elle travaillait chez Lancel près de l'Opéra. A mesure qu'il progresse, les nouvelles données du problème rendent sa quête de plus en plus intriquée. Il finit par retrouve le dancing de la Marine, où ce mari énigmatique connaissait le gérant. Il retrouve aussi le dernier endroit où Noëlle aurait habité avant de disparaître rue Olivier-de-Serres. Il finit aussi par obtenir une lettre qui était arrivée à la poste restante, où une personne prénommé Georges l'invite à partir et à se rendre à Chêne-Moreau, puis à Rome. Tout cela agrandit considérablement l'espace à explorer. Cela le mène jusqu'à Rome bien sûr, et aussi à Genève. Plus il apprend de chose sur cette femme, et moins il est mesure de reconstituer les moments de son existence. Le fil d'Ariane se déroule, mais ne mène jamais à reconstituer le tout de cette histoire, bien au contraire. Il y aurait en plus une familiarité entre le narrateur et l'héroïne fantomatique, car ils auraient passé leur enfance à Annecy. Ainsi Patrick Modiano a-t-il écrit un roman dans le roman, comme il le fait si souvent, mais avec l'idée du blanc, de l'oubli (ce qui explique le titre, Encre sympathique) encore plus accentuée. L'enquête échoue et le roman, dans son expression classique, aussi et cela depuis les premières pages pourtant si prometteuses. Et pourtant elle est prenante du début à la fin, même si elle conduit à cette impossibilité de retrouver la femme disparue, mais encore de reconstituer ce qu'elle a pu faire avant de ne plus donner signe de vie. Dois-je dire encore une fois que c'est du grand art. Modiano reste un mage de l'écriture, un expert en faux-semblants et en décors parisiens trompeurs. Il est passé maître dans cette théâtralité fallacieuse où l'on ne peut que rencontrer que vessies et lanternes où seul l'idée du paysage urbain est authentique.
Les Rendez-vous, Sergio Dangelo, Mudima, 160 p., 30 euro.
Dojo, 11 poesie con i « segni » dell'autore e un incontro con Stefano Soddu, Scoglio di Quarto edizioni, 48 p., 20 euro.
Sergio Dangelo est sans aucun doute l'artiste le plus difficile à cerner entre tous ceux qui vivent et travaillent à Milan. Né en 1932, il commence à dessiner à l'âge de onze. Il trouve dans la bibliothèque de son père de quoi nourrir son immense curiosité. Il découvre ainsi le vorticisme anglais, le groupe Cobra, les informels. En 1948, il fait un grand voyage en Europe et décide de se lancer dans la perspective d'un « surréalisme absolu ». Il est le créateur de l' « Art nucléaire ». Mais il continue à se revendiquer comme surréaliste et fréquente à Paris différents membres du cercle d'André Breton. Cela étant dit, son oeuvre met en évidence un nombre important d'influence qui auraient pu paraître contradictoires, mais qui, dans son cas, ont trouvé leur raison d'être et des connivences profondes. Le jazz a aussi tenu une place considérable dans le développement de son art. Il a fait sa première exposition personnelle à la galleria San Fedele de Milan en 1951. Depuis il en a fait environ 650. Cet ouvrage permet d'avoir une idée assez précise de son cheminement depuis ses débuts. Il a d'abord réalisé des compositions totalement abstraites, mais qui se différentient avec netteté de ses contemporains, autant dans ses toiles que dans ses assemblages. De plus en plus, ses oeuvres se présentent comme un dépassement des formes abstraites par le mouvement, l'accumulation, la sensation que le tout est sur le point de se désagréger. Des toiles telles que La Feuille jaune (1960, en noir et blanc) ou L'Arbre de 1957 présentent un envahissement complet de l'espace par une multiplication exponentielle des touches. Mais il ne s'arrête jamais à une formule et il aime pasticher les diverses formes d'abstraction, par exemple dans Ecritures de 1957, où il trace un idéogramme aux traits difformes et épais sur un fond jaune clair. Sa tendance à singer ses aînés est accompagnée par une forme d'humour de nature surréalisme, comme on peut le voir dans Colline pour Klein, (1961) où une éponge peinte en bleu (mais pas avec le bleu caractéristique de l'artiste français) qui a été placée au centre d'une composition abstraite avec une dominante rouge orangé. Au début des années soixante, l'élément rythmique est sans cesse plus présent. Avec une liberté de jouer avec les éléments qui pullulent à la surface delà toile. Il n'a de laisse d'utiliser des réminiscences de l'art passé er présent et de la métamorphose pour les intégrer dans un univers si particulier. Le collage et l'assemblage ne cessent d'être présents, mais jamais de manière systématique. Au cours des années soixante-dix, il a décidé de prendre un petit cercle, qui pourrait représenter le soleil, la lune ou un astre, parfois peint, parfois collé sur la toile. Mais les tableaux sont conçus dans des optiques diverses comme, par exemple, le monochrome jaune intitulé Souvenir somalien de 1970. Il passe rapidement à de nouvelles explorations avec des signes dérivants dans un espace chromatique sans cesse réinventés. Il est emporté par son imaginaire, qui est une réinterprétation permanente de l'histoire de la peinture moderne -, mais sans que les références ne soient trop explicites. Il est impossible de trouver une ligne stylistique précise et pourtant ses oeuvres sont reconnaissables au premier coup d'oeil. Il y a chez lui un tel sens et une telle maîtrise de l'espace plastique et un tel sens de l'ironie qu'il échappe à toute définition. Cela rend son parcours d'une originalité sans pareil. S'il a nécessairement des modes d'expression récurrents, mais ceux-ci sont toujours prémédités avec l'idée d'une nouvelle mise en scène. Sa Stèle pour Meret Oppenheim (2007) ou Sa chambre (2010) sont de grandes boîtes où il a associés différents objets ayant une fonction symbolique qui renouvellent l'esprit de l'assemblage. Je m'arrêterai là, car il me faudrait bien des pages pour relater cette trajectoire tumultueuse et fascinante. L'ouvrage comprend aussi différents textes de l'artiste, dont certains concernent sa relation étroite au jazz. Dans Dojo, l'artiste se révèle un poète excentrique, mais d'une valeur qui ne saurait être discutée. Son sens de l'humour et de l'ironie se conjugue avec une sensibilité aiguë. Il consacre l'un de ses textes à Marcel Duchamp qui est une merveille et il dédie à celui qui aime peindre avec des couleurs végétales (« L'asfalto végétale ») des vers qui sont d'une extrême malignité. Ces onze poésies ont souvent à voir avec la peinture et son exercice. Il excelle dans ce genre. Mais il a une pensée pour Borges. La conversation qu'il avec Stefano Soddu est riche d'enseignements pour comprendre son attitude des plus curieuses et qui fait de lui l'une des figures mémorables de Milan.
Le avventure di Pinocchio, storia d'un burattino, Carlo Collodi, illustrations de Francesco De Francesco, Mudima, 208 p., 30 euro.
C'est peut-être le seul ouvrage de littérature enfantine publié en Italie qui ait obtenu un succès international. Presque tous les enfants français l'auront lu ou auront vu le film qu'en a tiré Walt Disney en 1940. Mais que sait-on de son auteur. Dans l'hexagone, quasiment rien. De son vrai nom, Carlo Lorenzini, il est né à Florence en 1826. Après des études supérieures interrompues, il devient journaliste et collabore à des périodiques comme L'Italia musicale. En 1848, il se porte volontaire pour combattre dans les rangs des partisans du risorgimento dans in bataillon toscan. Après cet épisode militaire, il multiplie les collaborations dans la presse. Il écrit pour des journaux satiriques. En 1856, il publie ses premiers ouvrages : Gli amici di casa et Un romanzo in vapore. Da Firenze a Livorno. Guida storica. Le ministère de l'instruction publique lui commande en 1868 un manuel : Il Novo vocabolario della lingua italiana secondo l'uso di Firenze. Sept ans plus tard, on lui demande de faire une anthologie des plus belles fables françaises. Il écrit un 1877 un livre pour enfants, Giannettino. Il fait paraître en 1881 Les Aventures de Pinocchio en feuilleton sous le titre de Storia d'un burattino. Le livre est publié en 1883. Il a écrit d'autres ouvrages pour l'enfance, comme Il viaggio per l'Italia di Giannettino (trois volumes, 1880-1886). Il décède en 1890. De toute son oeuvre, il n'y que Pinocchio qui lui a valu un grand succès qui ne s'est jamais démenti jusqu'à nos jours. De nombreux artistes ont illustré ce live, l'édition avec les dessins d'Attilo Mussino parue en 1911 est demeurée la plus célèbre. De grands artistes se sont inspirés de l'oeuvre de Collodi, à commencer par Jim Dine. La Fondazione Mudima a publié une nouvelle édition de ce livre avec des illustrations de Francesco De Francesco qui a désiré faire de nouvelles illustrations en noir et blanc, parfois avec une pointe légère de couleur. C'est une version conçue dans un esprit moderne. Il n'a dans ce travail aucune nostalgie et même une volonté de rattacher cette figure désormais mythique à la vie moderne.
Fables, Esope, précédée de La Vie d'Esope, édition d'Antoine Biscéré, traduit du grec ancien par Julien Bardot, Folio « classique », 446 p., 8, 40 euro.
Esope est considéré comme le père de la fable en Occident. Rien n'est plus faux. Les premières traces de ce genre littéraire remonteraient au moins à 2.500 ans avant notre ère dans la civilisation sumérienne. Des tablettes d'argile assyriennes attestent de fables datant de 716 avant notre ère. Mais il n'en reste pas moins que nombre de fabulistes ont largement puisé dans son oeuvre, comme Phèdre, Avianus et bien sûr Jean de la Fontaine, qui a aussi écrit sa biographie. Même La Vie d'Esope est largement tirée de l'Histoire d'Ahikar l'Assyrien rédigée entre 700 et 600 avant notre ère. Cette période est confirmée par Hérodote. Sa réputation est déjà grande pendant l'Antiquité classique et Socrate aurait mis en vers une de ses fables peu avant sa mort. En réalité on ne sait rien de l'existence véritable de l'écrivain, qui aurait vécu entre 620 et 560 avant notre ère. Cette Vie d'Esope pleine d'esprit et de mordant aurait été imaginée quelques six ans après sa disparition. Son auteur est anonyme. Maxime Planude, un érudit byzantin du XVIIIe siècle, l'aurait écrite à partir d'éléments qui, eux, remonteraient auIer siècle. On en a fait un Phrygien à cause de son nom qui ne semblait pas d'origine grecque. On en a fait un esclave au physique particulièrement disgracieux, et bègue de surcroit. Mais l'homme se révèle intelligent, à l'esprit vif et malin, toujours prêt à frapper son interlocuteur en lui assénant une vérité qui n'et pas toujours bonne à entendre. Il est vendu et finit chez un maître nommé Xanthos que l'apprécie au point de le comparer à Démosthène. Emancipé, Esope voyage : il rencontre le roi Crésus, puis il se rend en Egypte, puis à Delphes où il serait mort. On considère ce texte comme le premier ouvrage romanesque de la Grèce. Quoi qu'il en soit ses fables paraissent souvent familières puisqu'on les a connues sous d'autres formes à une autre époque, mais avec les mêmes protagonistes et des situations similaires ! L'ouvrage a paru à Milan en 1478 par les soins de Bonus Accursus, puis est traduit en français en 1480 et publié à Lyon. La présente édition très soignée qu'a dirigée Antoine Biscéré, permet d'associer une biographie plus ou moins légendaire à ces fables (qui sont dépourvues de morales - explicites tout du moins) dont on ignore si elles ont eu un seul auteur. Plus on étudie le monde ancien et plus il est peu disposé à révéler ses secrets !
Adieux fantômes, Nadia Terranova, traduit de l'italien par Romane Lafore, Quai Voltaire, 240 p., 22, 40 euro.
Ce roman a paru en Italie il y a un an seulement. Il donne bizarrement le sentiment d'avoir été écrit il y a bien trente ans, ou peut-être plus. Il est presque intemporel. Ce qui peut sembler paradoxal étant donné le ton très réaliste que l'auteur a donné à sa fiction. De quoi s'agit-il ? La narratrice doit revenir dans sa ville natale pour aider ses parents qui doivent faire des travaux importants dans leur appartement. Elle est mariée déjà depuis plus de dix ans et vit à Rome. Elle entretient des relations agréables avec son mari Pietro, même si leur vie intime à comme c'est presque toujours le cas, est devenue routinière et sans beaucoup de relief. Mais rien ne les oppose de manière brutale. Au contraire. Ce séjour à Messine lui fait revenir en mémoire son enfance, son adolescence, et aussi sa vie de femme mariée et sans enfants. Des rêves ou des cauchemars viennent parfois la tourmenter ou mettre en scène des choses qui peuvent l'interroger ou la surprendre. Dans ce va-et-vient permanent de la mémoire, elle est loin de se perdre. Son passé se reconstruit et n'est là que pour la confronter à tout ce qu'elle a pu vivre. En somme c'est un roman familial dans sa forme la plus classique, qui est construit avec une assurance certaine, mais qui manque vraiment de piment. Tout repose sur les liens entre parents, et l'on ne trouve aucun lien avec l'histoire ou la culture de la Sicile. Et pourtant le contexte sicilien ne saurait être indifférents même dans ces relations. Comment apprécier ce roman ? On peut dire seulement qu'il est bien fait, mais qu'il ne démontre rien de particulier et d'original dans son écriture. Il se lit sans problème, et le lecteur pourrait facilement se prendre au jeu. Toutefois, il ne trouvera pas les joies et les émotions que procurent les grands auteurs. C'est un peu l'archétype du roman écrit par la majorité des jeunes auteurs qui ont oublié Faulkner, Dostoïevski, Virginia Woolf, Céline, Henry James et qui sais-je encore ? C'est un produit éditorial au-delà de la crise provoquée par les cannibali, mais qui n'a hélas pas apporté un élan profondément novateur à la littérature italienne. Ils ont presque tous disparu du devant de la scène. Oui, c'est un bon produit. Cela est indéniable. Mais est-ce là la littérature des jeunes écrivains de la péninsule ?
Il viaggio di Ulisse, Stefano Soddu, Biffi Arte Plaisance, s. p., 20 euro.
Stefano Soddu est surtout connu pour sa sculpture. Elle est abstraite et se caractérise par l'usage du métal et par des fractures qui en perturbent la géométrie impeccable. C'est un travail formaliste, mais qui ne manque pas d'esprit et d'invention. Mais l'arc de sa recherche est beaucoup plus large. Ce catalogue est intéressant cat il montre certains aspects de sa création qui sont d'une autre facture, qui sont complémentaires de sa première manière. Il a imaginé par exemple un pavement (qui pourrait faire penser à Donald Judd de très loin) composé de 68 pièces carrées d'acier dont la régularité précise est contrariée par une zone qu'il appelle « vasque » contenant du pigment jaune. Il l'a baptisé Verso la meta misteriosa. Il a déjà réalisé auparavant plusieurs installations assez voisines, d'aucune avec des vases contenant chacun un pigment d'une couleur différente. Soddu aime beaucoup jouer avec ces éléments qui engendrent non une tension à proprement parler, mais une rupture entre des principes géométriques et des principes chromatiques, comme si l'oeuvre présentait ses présupposés au lieu de les réaliser : mais il ne s'agit pas d'un jeu didactique, mais plutôt d'une autre façon de concevoir autrement la construction d'une forme en deux et en trois dimensions selon les cas. Le thème choisit pour cette exposition est celle de l'Odyssée d'Homère. Il en traduit certains épisodes toujours dans une optique différente. Par exemple, Le Cyclope est une sorte de sculpture murale en plusieurs partie formant une totalité, faites de différents éléments : la poudre minérale, la terre cuite, la laine et le verre. Il ne s'agit pas là d'une représentation plus ou moins réaliste de ce monstre, mais plutôt d'une recomposition presque abstraite où l'oeil se situe au contre de ces plaques en relief et dont la gamme chromatique va du brun au gris. Il a aussi réalisé plusieurs sculptures qui sont proches de l'idée d'installation, comme Ithaque et La Barque brisée. Mais ce qui a pu surprendre le plus ceux qui connaissent bien son travail ce sont le grandes planches en papier blanc où il a inscrit des sortes de pictogrammes en poudre minérale et en acrylique, qui sont d'une grande force suggestive. Il a associé chacune de ces planches à une figure du voyage légendaire d'Ulysse. Stefano Soddu est parvenu ici à constituer un ensemble qui prouve sa capacité à dépasser les limités de son langage formel pour parvenir à créer un monde tout aussi cohérent, mais plus ample, plus poétique encore et capable de subjuguer.
Commuters, Edegildo Zava, Scoglio di Quarto, Milan, 10 euro.
Depuis longtemps, la photographie a pris sa place dans le monde de l'art. Il suffit de songer à Man Ray, à Josef Sudek et à Kertez. Ce qui a changé ces dernières décennies, c'est que les possibilités offertes par le digital ont permis d'élargir le champ des possibles dans ce domaine. Il s'est créé une sorte d'inflation que les progrès de la technologie ne font que multiplier à l'infini. Dans le cas d'Edegildo Zava, il est clair que ce dernier a cherché à tirer profit de diverses ressources offertes par ces moyens, en partant de procédés depuis longtemps divulgués, comme les transparences ou les reflets sur une vitre. Son idée pour cette exposition a été de présenter des travaux qui ont été réalisés à partir d'une ligne d'autobus à Milan et de nous montrer ce qu'il a pu tirer de nombreux voyages, faisant apparaître des paysages urbains métamorphosés. Les lumières et les jeux optiques ont fini par rendre méconnaissables les lieux traversés par ce moyen de transport public. Les effets réalisés sont impressionnants car les clichés se rapprochent souvent d'une sorte d'abstraction, les rues et les bâtiments, n'apparaissant plus que comme des formes vagues, improbables. Mais rien n'est systématique dans son approche du monde réel : des figures peuvent apparaître avec netteté dans ce univers qui ne cesse de changer d'apparence. Il a tenté de rendre fantomatique l'aspect de la ville et par conséquent de la rendre à la fois étrange et presque méconnaissable. C'est une façon de restituer l'expérience du monde urbain moderne. Je dois avouer que je n'ai pas été émerveillé par ce périple sur l'ancienne ligne circulaire. La cohérence du propos est évidente et prouve que l'artiste a poursuivi une fin précise. Mais l'abus des moyens optiques est un peu forcé. C'est là que réside le problème de la photographie comme médium artistique. La recherche à tout prix de l'originalité sur un thème donné n'est pas nécessairement le meilleur moyen de produire des « tableaux » qui aient force et consistance.
No Man's Land, Yona Friedman, Di Paolo Edizioni, Pescara, 90 p.
Yona Friedman est pour moi un nom qui me remémore l'année de licence en histoire de l'art. L'architecture faisait partie alors de l'étude du XXe siècle. Après passé en revue les maîtres du fonctionnalisme et l'enseignement de Gropius, l'école de Chicago les constructivistes russes, et les grandes réalisations de la construction aux Etats-Unis, nous avons passez en revue les créateurs français, de Mallet-Stevens à Perret, pour enfin aborder la question de l'utopie. Yona Friedman figuraient parmi ces figures qui nous apparaissaient alors assez excentriques et, en même temps fascinantes. Ces théories audacieuses ont fini par ne plus être trop prises en considération et, brusquement sont plus ou moins sorties de notre champ d'intérêt. Sans doute cette défection est-elle un peu liée au déclin de la pensée marxiste-léniniste et à la globalisation qui est le triomphe de la théorie libérale. L'utopie, qui avait traversé les siècles, et avait aussi envahi la littérature, n'était plus de saison. L'architecture s'est alors projeté plus volontiers dans l'expression esthétique que dans l'idée d'une transformation générale de la cité humaine et, par voie de conséquence de la société dans son ensemble. Et puis les progrès de la connaissance des arts et des programmes des grands courants de l'avant-garde ont élargi considérablement l'espace des idées les plus progressistes de ce passé récent qui devenait peu à peu histoire et aussi éloignée de nous que le baroque, du futurisme au néoplasticisme. Dans cet ouvrage quasiment testamentaire, Yona Friedman, à l'âge de quatre-vingt-quinze ans, a décidé de résumer les principales hypothèses qu'il a émises depuis les années cinquante. On peut observer qu'il n'est plus allé dans la direction d'une cité idéale, conçues avec des principes sans cesse en mouvement et de faire ne sorte que la polis puisse aussi s'allier avec l'intégration non destructive de la civilisation actuelle dans le milieu naturel. Il a tenté d'intégrer les données de la « révolution électronique » (annoncée par William S. Burroughs depuis plusieurs décennies), qui est caractérisée par la naissance d'un monde toujours plus virtuel et en métamorphoses constantes. On devine qu'il éprouve sans cesse plus de difficultés à imaginer ce que pourrait être la maison à venir. Il n'y a rien dans ces pages qui recèle de l'amertume ou le sentiment d'une faillite, mais une interrogation qui ne s'arrête pas par absence de conceptualisations et surtout de solutions. Mais il est évident que Yona Friedman s'est retrouvé comme nous depuis quelque temps tous devant une situation pleine d'inconnu et enfin semée d'embûches très épineuses. Nous ignorons vraiment où nous allons ! Yona Friedman vient à point nommé nous rappeler que le rêve reste un élément fondateur de la vie en communauté et du développement de l'architecture ne peut s'avérer sans avoir une idée audacieuse de son devenir propre à donner de nouvelles manières de façonner un avenir dont les perspectives ont tendance à devenir des abyssaux trous noirs de l'esprit.
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Gérard-Georges Lemaire 03-10-2019 |
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Verso n°136
L'artiste du mois : Marko Velk
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