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[verso-hebdo]
20-02-2020
La chronique
de Gérard-Georges Lemaire
Chronique d'un bibliomane mélancolique

Pino Pinelli. Breathing of painting, Archivio Pino Pinelli, Silvana Editoriale, 384 p., 45 euro.

Cette monographie d'une dimension impressionnante résume le parcours d'un grand artiste italien, Pino Pinelli, un Sicilien natif de Catane qui s'est installé à Milan en 1963. Toutes les étapes de sa carrière sont ponctuées par des documents et des photographies liées à ses expositions avec les textes des critiques, essentiellement italiens où il y a, hélas, à boire et à manger ! Je ne veux pas faire état ici de la situation de la critique en Italie, ce qui pourrait ennuyer et surtout remplir de tristesse mon lecteur. Non, je veux parler de cet artiste qui a vécu un étrange paradoxe. Ayant eu une intuition très particulière pour le devenir de la peinture dans un esprit d'avant-garde, et je vais vous en parler sur le champ, il est parvenu à imposer son point de vue qui a connu un certain succès, d'ailleurs des plus justifiés. Il lui est venu l'idée de créer un mouvement autour d'une dislocation formelle de la toile. Une oeuvre n'est plus un objet unique, mais une série de volumes colorés qui s'alignent ou se dispersent sur le mur. Son idée centrale a été est celle de la dissémination (je ne sais trop s'il a emprunté ce terme à Jacques Derrida ou non, et cela importe peu). Ayant été frappé par les menées du groupe français Supports/Surfaces, il aurait aimé que des confrères, partageant la même vision que lui, se regroupent derrière sa bannière. Mais tous ont décliné son offre, ou parce qu'ils avaient d'autres conceptions, ou parce qu'ils étaient individualistes. Et il vrai que peu de peintres italiens sont allés dans cette direction. Malgré cet échec (et ce n'est pas faute d'avoir déployé arguments et décliné les avantages d'une telle entreprise pendant de longues années), qui l'a beaucoup affecté (il a fait quelques « duetti », souvent sans suite), Pino Pinelli a fait son petit bonhomme de chemin, et peut-être mieux que s'il avait pu former un groupe. Il faut d'ailleurs à ce sujet songer à l'ambition de Lucio Fontana qui, de retour en Italie, a fondé le spatialisme et s'est retrouvé avec des artistes qui étaient loin de l'esprit de son Manifesto blanco ! Fontana a connu tardivement une reconnaissance internationale pour ses oeuvres et elles seules ! Il en a été de même pour Pinelli. Ce qui est intéressant dans son cas, et on peur le voir dans le plus menu détail dans ce bel album, Il s'est libéré de la forme rectangulaire du tableau pour envisager toutes les formes possibles, du tondo à la croix en passant par tout ce que la géométrie pouvait lui offrir. Et puis il pouvait envisager toutes sortes dispositions sur le mur blanc du lieu d'exposition. Il convient d'ajouter qu'il a aussi choisi très tôt de s'orienter vers la monochromie, ce qui lui a permis de créer des « familles » de peinture, une oeuvre correspondant à une seule et unique couleur. Il est même allé vers des formes plus baroques, comme ce fut le cas dans Pittura BL. G., 1994, avec des formes circulaires irrégulières jaunes et bleues. On retrouve chez loin un relatif écho du minimalisme américain, mais avec des différences majeures : il n'a jamais renoncé à la peinture dans le sens traditionnel, alors que les Américains voulaient que tout soit usiné, et la loi des séries n'a pas été déterminée chez lui par des règles très strictes, sinon immuables. Une installation, comme celle présentée à Milan en 2003, montre des oeuvres jaunes sur un fond uniformément jaune. Ce qui frappe ici c'est que les croix découpées dans des carrés ont laissé un vide alors que les formes apparaissent sur une autre paroi. Ce que donne à méditer cet ensemble, c'est qu'il n'y a qu'un seul modèle carré alors qu'on peut découvrir une foule de croix. Un autre aspect de son travail est sans nul doute les reliefs sur la surfaces des éléments peints : l'exposition des Corporale en 1995, toujours à Milan, en est l'expression d'une volonté de rendre la surface tactile. Les éléments peints possèdent un corps, qui a donc un aspect spécifique, un relief et une « peau » (le jeu visuel est associé à un jeu à l'aveugle). L'ouvrage montre à quel point Pino Pinelli n'a cessé d'approfondir les virtualités qui lui ont offertes par la fragmentation de la forme originelle du tableau. C'est une aventure qui n'est pas encore arrivée à son terme. C'est ce qui rend une recherche admirable. Il est désormais considéré comme un des artistes majeures de la création abstraite en Italie.




Le Rêveur méthodique, Francesco Zorzi, un franciscain kabbaliste à Venise, Verena von der Heyden-Rynsch, traduit de l'allemand par Pierre Rusch, Gallimard, 144p., 17 euro.

Tout commence ici par un divorce célèbre : celui de Henri VIII avec Catherine d'Aragon, qui n'était pas en mesure de lui donner un héritier. Il écrit au pape pour lui demander d'annuler son mariage. Celui-ci refuse pour deux raisons : les troupes impériales qui vient de mettre Rome à sac sont encore dans les Etats pontificaux et l'épouse du roi d'Angleterre est une proche parente de Charles Quint. Henri VIII convoque un an plus tard un tribunal à Londres que le nouveau pape, Clément VII (Giulio de' Medici) ne désapprouve pas. Il envoie même un émissaire pour participer au débat. Mais il insiste pour que le jugement se fasse à Rome (en réalité, c'est le Great Council qui en a appelé à la haute autorité du pape). Henri VIII, pourtant bon catholique, décide alors de rompre avec la papauté dès qu'il apprend que le pape refuse d'annuler son union, et cette rupture sera définitive. La question est plus compliquée qu'il ne paraît : en fait, Catherine avait épousé Arthur, le frère aîné, qui est mort très vite de la tuberculose. Cela pose un problème théologique de taille : le Lévitique condamne avec fermeté ce genre de mariage alors que le Deutéronome le recommandait ! Chacun a cherché à légitimer ses prises de position : le roi a demandé aux universités de se prononcer ; le pape a fait appel à un franciscain qui est un grand érudit, Francesco Zorzi (1464-1540), grand érudit, spécialiste des écrits bibliques et vétérotestamentaires, de démêler la contradiction de l'Ancien Testament. A la surprise générale, il va aller chercher une réponse dans la Kabbale. Mais à l'époque, on ne s'en est pas offusqué : la Kabbale avait connu son heure de gloire en Espagne au XIIe siècle.de la Mirandole qui a écrit à son sujet. A l'époque, la Kabbale juive est diffusée dans toute l'Europe à cause de l'expulsion des Juifs d'Espagne. Un autre élément déterminant nous est révélé par l'auteur : en 1509, l'Osservanza francescana se réunit à Ferrare et conclut que l'Eglise est une oligarchie concentrique, une République et qu'elle doit assimiler sans crainte les autres cultures. A Venise, avant que n'éclate la crise de la Réforme, l'on pense déjà qu'une refondation des bases du catholicisme est indispensable. Ce sont ses immenses connaissances qui ont conduit le pape à en faire son représentant pour régler la « Grande Affaire » anglaise. Henri VIII a envoyé un espion surnommé Jean de Flandres pour savoir de qui il s'agissait. Ce dernier l'assura que ce moine était incorruptible, savant et pieu. Mais les idées nouvelles de la Réforme commençaient à faire leur chemin. Un théologien anglais ; John Collet, ami d'Erasme, a fondé l'école Saint-Paul à Oxford pour instruire les élèves dans l'esprit de tolérance de l'humanisme. Mais les événements ne sont pas allés dans ce sens : quand le roi se fit chef de l'église anglicane, les persécutions ont été nombreuses conduites par le vicaire général du roi, Thomas Cromwell. Thomas More, l'auteur de L'Utopie, démissionna de sa charge. Il avait pu jouer un rôle politique notoire, mais n'a rien pu faire contre Anne Boleyn ! Erasme écrit pour son ami L'Eloge de la folie. Et ce denier a polémiqué violemment avec Luther, sans résultat. Bien que condamné par l'inquisiteur Carafa, Erasme a eu beaucoup de disciples en Italie et en Espagne. Mais l'obscurantisme de l'Eglise a étouffé ces voix prêchant la tolérance et l'esprit de l'humanisme. Quand à Thomas More, l'ami d'enfance du roi, il a été décapité en 1535 pour ne pas avoir accepté ce mariage. Et le pape se retourna contre Zorzi et il a même songé à l'excommunier. Ce dernier se réfugia dans un couvent, y enseigna et y écrivit des livres, comme De Harmonia mundis (1525), chef-d'oeuvre de la spiritualité éclairée, qu'on 'a connu même avant sa disparition. Des figures importantes à Byzance, comme le néoplatonicien Bessarion, ont été d'en finir avec le grand schisme. Mais la chute de Constantinople n'a pas suffi à assurer un rapprochement des deux églises. Bessarion a eu des responsabilités importantes en Italie. Il est devenu l'ami de Zorzi. Si l'humanisme fut le grand perdant de l'ère de la Réforme, il a tout de même influencé de grands érudits, comme Cornelius Agrippa de Nettesheim, de l'astronome John Dee, Agostino Steuco, Edmond Spenser, Guillaume Postel. En définitive, l'auteur a montré que le conflit acharné entre l'Eglise apostolique et romaine et le protestantisme a marqué la fin d'une époque et Frances Yates est allée jusqu'à avancer que ce fut là non seulement la fin de l'idéal humaniste, mais aussi le début du monde de la sorcellerie. Il est clair en tout cas que Zorzi et tous ceux qui ont, comme lui, plaidé en faveur d'une réforme modérée, ont échoué, dépassé par les événements qui secouent toute l'Europe, et ce qu'ils avaient pu tirer de la pensée antique et de la pensée juive n'avait plus aucune chance de trouver grâce aux yeux des théologiens qui ont adopté les conclusions de l'interminable concile de Trente et aux architectes, artistes et poètes qui ont contribué, d'une manière ou d'une autre, à l'essor du baroque. Ce livre est passionnant à tout point de vue car il fait la démonstration, à travers la figure inconnue de Francisco Zorzi, que la pensée de la Renaissance a bien été démantelée avec l'arrivée de la Réforme, mais qu'elle a tissé des ramifications importantes pour la suite des événements, dans une optique très différente.




Le Mythe de l'Etat, Ernst Cassirer, avant-propos de Charles H. Hendel, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Bernard Vergely, « Tel », Gallimard, 408 p., 13, 90 euro.

Ernst Cassirer (1884-1945), issu d'une famille juive aisée de Breslau. Son cousin est le célèbre éditeur de Berlin, Bruno Cassirer. Il a d'ailleurs fait ses études de droit, de littérature allemande et de philosophie dans la capitale allemande. Puis il entre à l'université de Marbourg, où il a pour professeur Georg Simmel. Il admire sa lecture épistémologique de Kant. Il étudie ensuite Descartes et Leibniz. En 1918, il obtient une chaire à Hambourg. Il est même nommé recteur de l'université en 1929. Il quitte l'Allemagne en 1933, enseigne à Oxford, puis à Göteborg de 1935 à 1941, année où il part définitivement aux Etats-Unis, mais conserve la nationalité suédoise. Là, on le convainc de produire un essai sur l'actualité du monde en guerre. De là Le Mythe de l'Etat, qui va paraître un an après sa mort survenue en 1945, de la même façon qu'il avait écrit Un essai sur l'homme à la demande de ses proches, ainsi que l'avait fait Locke quand il a écrit son Essai sur l'entendement humain, pressé par ses admirateurs. Dans cet ouvrage, il commence par se demander ce que peut bien être un mythe. Il voit dans le système idéaliste transcendantal de Lessing l'origine d'un renversement complet de l'esprit des Lumières. Dans cette recherche d'identité, l'univers est strictement spirituel : plus rien ne distingue le réel et l'idéal. Ce qui est curieux, c'est que Cassirer s'est lancé dans une étude de la pensée mythique depuis l'animisme et à chercher à comprendre ce qui a pu exister avant que choses et pensées aient pu se structurer. On sent bien dans ce retour aux origines, qu'il pense être le sanskrit et le grec ancien, ou dans sa lecture de Max Müller à propos du fondement de la religion, dont il regarde les conclusions comme le passage d'une pensée primitive à un langage cultuel plus articulé. Il voit la question comme une évolution logique. Parvenu à ce point, il tente de considérer une théorie des émotions. Il en appelle même à Freud pour comprendre le phénomène. Cassirer considère le mythe comme quelque chose d'incohérent qui commence à prendre forme et consistance avec la culture grecque antique. Sans entrer dans le détail, on est forcé de constater que Cassirer s'est un peu égaré dans ce labyrinthe ! Beaucoup plus intéressante est la seconde partie où il analyse le conflit entre « logos » et « mythos » dans la philosophie grecque. Il discerne alors que les penseurs grecs, même de courants opposés, ont discerné la nécessité d'une théorie rationnelle de la nature humaine. Il est persuadé que Socrate, avec le jeu habile de son ignorance, a été le début d'un réel questionnement censé et raisonnable sur le monde. La République de Platon représente ensuite la recherche logique de normes politiques, et surtout d'un mode d'éducation car l'a vu Jean-Jacques Rousseau. Platon fait dire à Socrate qu'ils sont tous deux « fondateurs d'Etats » et non des poètes. Platon ne cherche pas à réformer l'Etat, mais plutôt à y installer la mesure de la justice. Depuis Platon, il voit se dessiner la voie vers la moralité tout en détruisant ce qui subsistait des modèles conventionnels. Cette partie, qui est passionnante, indique que Platon pensait que la politique « était l'art d'organiser les actions humaines et de les diriger vers un but commun. » Cassirer passe ensuite à la théorie du pouvoir médiéval. Il y voit un changement de cap radical. Mais il s'égare à propose de sa belle unité et aussi sur ses sources juives et grecques. Le socle de celle-ci a été de plus en plus Aristote jusqu'à la Renaissance. Les théologiens de cette longue période sont hostiles à la raison car ils ne reconnaissaient que la « vérité révélée » et donc étaient hostiles à la raison. Il revient sur la question de l'antiquité où le stoïcisme ne pouvait que s'appuyer sur la politique. Cassirer qu'il y a eu un lien fort entre cette forme de pensée et celle du Moyen Âge. Il analyse ensuite ce qu'a été la révolution apportée par Machiavel. Ce dernier n' pas joui d'une bonne réputation. Le premier à discerner sa valeur a été Spinoza dans son Tractatus politicus. Cette réhabilitation se poursuit avec Herder et Hegel. Après avoir discuté longuement la valeur et la modernité de la pensée de Machiavel, il démontre que l'ère de l'Encyclopédie a peu apporté sur les problèmes politiques. Et pourtant, les grands artisans de la Déclaration des droits de l'homme et de la constitution des Etats-Unis sont des penseurs qui ne reflètent pas la pensée populaire. Kant a été un partisan de la Révolution française, comme beaucoup de ses contemporains qui, avec Napoléon, vireront au nationalisme. Puis il analyse longuement le culte du héros développé par Thomas Carlyle. C'est pour lui un tournant fondamental, ce dernier trouvant sa justification dans la métaphysique que lui a apportée Fichte. Là où l'ouvrage de Cassirer se révèle important, c'est lorsqu'il en vient à évoquer le passage du culte du héros à celui de la race. Bien sûr cette orientation malheureuse est le fait d'Arthur de Gobineau, qui a établi une hiérarchie des races (Tocqueville, qui était son ami, lui signifié son hostilité à pareilles spéculations). Cassirer voit cette affaire comme un signe de déclin. Mais, bizarrement, il ne va pas plus loin (il ne condamne pas Gobineau : il ne fait que le désapprouver) et revient sur la question de Hegel et de sa difficulté à produire un système totalisant. Et ses conclusions sont assez décevantes : il revient sur l'unité des société primitive maintenue par le pouvoir du mythe, sur la question du postulat de la liberté éthique chez Kant, critique Le Déclin de l'Occident d'Oswald Spengler (de façon avisée à mon sens), dit deux mots sur Husserl et sur Heidegger et puis parle d'un fatalisme contemporain. En somme, on recherche ce que pourrait être pour lui le mythe de l'Etat en son siècle ! C'est un ouvrage décevant (surtout quand on singe à qui l'a écrit), mais qui contient mille petites et milles interrogations pertinentes et utiles. Il ne faut donc pas le prendre comme un tout, mais plutôt comme une succession de réflexions sur divers moments de la pensée.




Lettres d'Italie, Karel Capek, traduit du tchèque par Laurent Vallance, Editions de la Baconnière, 175 p., 12 euro.

Karel Capek est sans aucun doute l'un des plus grands écrivains du siècle dernière en Tchécoslovaquie. La valeur de son oeuvre, même s'il a été traduit de son vivant dans notre pays, n'a jamais été entièrement reconnue et c'est regrettable. Romancier, nouvelliste, auteur dramatique, essayiste, il a incarné la naissance d'une jeune République après la longue domination de l'empire des Habsbourg. Il a aussi écrit de nombreux récits de voyage, à commencer par Les Lettres d'Angleterre en 1924. En 1930, il fait paraître Il a publié son Voyage en Espagne et, deux ans plus tard, son Voyage en Hollande. Enfin, en 1936, il fait sortir de presse son Voyage vers le Nord. Et bien sûr ces Lettres d'Italie, qu'il avait rédigées pour le journal Lidové Noviny en 1923, puis repris sous forme de livre. Longtemps demeurées inédites en français, elles paraissent enfin en français. Capek a choisi de faire tout le contraire de ce qu'on pu faire ses prédécesseurs. C'est tout le contraire de l'esprit du Grand Tour préconisé par Goethe et Winckelmann ! Et c'est même très différent de l'humour grinçant de Mark Twain qui se moque de ses contemporains qui vont en croisière. Il se moque avec une subtilité rare et une grande finesse de la relation faite d'idées toutes faites qu'un voyageur peut entretenir avec les cités et les oeuvres du passé. Iconoclaste, il l'est assurément, mais il fait aussi preuve de discernement et se montre capable de mettre en valeur des ouvrages de certains artistes, comme Donatello par exemple. Mais il ne le fait que derrière le voile de l'ironie et parfois d'un franc désir de jeter à bas des admirations convenues. Capek choisit un point de vue moderne et ne laisse transparaître aucune nostalgie. C'est une sorte d'équilibrisme audacieux entre un amour profond pour la culture italienne et une moquerie du tourisme de son temps. C'est à la fois divertissant (au plus haut point) et passionnant, car c'est un guide pour voir ce qu'on ne voit pas nécessairement lorsqu'on visite un pays étranger. Cette forme d'humour est le propre de l'esprit tchèque. Mais ce n'est plus celui de Jaroslav Hasek quand il a inventé son burlesque personnage du soldat Chvéik ! C'est un perle de la littérature européenne de l'entre deux guerres.




Correspondance, 1920-1959, Jean Paulhan / Henri Pourrat, édition de Claude Dalet & Michel Lioure, avec la collaboration d'Anne-Marie Lauras, 818 p., 45 euro.

Si l'on me demandait de citer un seul titre d'un livre d'Henri Pourrat, je serais bien en peine de m'exécuter ! Et je ne pense pas quelles plus jeunes générations feraient mieux que moi ! Deux mots sur le parcours de cet écrivain né à Ambert en 1887 et qui y est mort en 1959. Il commence par écrire dans différents journaux de son Auvergne chérie à partir de 1906 et publie à partir de 1909. Il va écrire au cours de son existence une centaine d'ouvrages ! Le succès vient très vite : en 1921, il reçoit le prix du Figaro et le grand prix de l'Académie française. Son oeuvre romanesque ou poétique était essentiellement d'inspiration régionaliste. Depuis 1911, il collecte les contes et légendes auvergnates qu'il va réunir plus tard en plus de dix volumes. Il reçoit le prix Goncourt en 1941 pour Vent de Mars. La même année, il obtient le prix Muteau de l'Académie française. Il faut savoir qu'il a aussi écrit un éloge du maréchal Pétain et est devenu le propagandiste du « retour à la terre » vanté par le régime de Vichy. Ce collaborateur célèbre est récompensé dix ans plus par le prix Louis Barthou de la même Académie pour l'ensemble de son oeuvre. La réussite ne le quittera jamais jusqu'à sa mort ! Il a eu une correspondance pléthorique avec un grand nombre de ses pairs, dont Valery Larbaud, Giono et Ramuz. Et comment donc a pu naître cette longue relation entre Jean Paulhan, résistant, et ce chantre du maréchal de Montoire, où Pétain a serré la main d'Hitler en 1940 pour sceller un pacte d'alliance ? Tout commence en avril 1920, quand Paulhan lui écrit pour écrire un article sur un ouvrage de Francis Jammes, Le Poète rustique (il est alors le secrétaire de Jacques Rivière et le restera jusqu'en 1925, quand il dirige la revue) Celui-ci accepte et commence une longue collaboration avec la NRF, par la production d'articles, mais aussi la publication de récits et de contes. Une relation très chaleureuse va rapidement s'établir entre les deux hommes. C'est assez curieux, car peu de choses semblent devoir les rapprocher, mais comme nous n'avons pas toutes les lettres d'Henri Pourrat dans ce recueil, et surtout celles du début, Leurs échanges sont surréalistes : il y question il est difficile de se faire une idée. Un an plus tard, ils se tutoyaient déjà ! Ces lettres d'ailleurs, si nombreuses, sont presque plus « familiales » que littéraires à mesure que le temps passe. Il n'y est jamais question de politique et même la guerre en 1939 leur semble encore hypothétique ! Leurs échanges sont presque surréalistes : il y a est question d'un cadeau à faire à Paul Claudel et de la future publication de Paysan par Flammarion. En mai 1940, Jean Paulhan semble un peu inquiet de la situation, mais ne s'attarde pas ! La guerre, l'armistice, l'agression italienne dans le Midi ? Rien de tout cela n'émerge par plus que l'armistice et la fin de la République lors de la réunion des assemblées à Vichy dans un climat délétère. On apprend seulement que la NRF ne paraît plus et que son directeur couve l'espoir de la voir renaître en septembre... Mais il lui avoue être inquiet à cause des attaques qui se multiplient (surtout contre Julien Benda) et il est persuadé que Gallimard va reprendre ses publications et zone libre ! Les mois passe et les deux hommes parlent de leurs familles respectives. Quelques mots pour un livre ou pour une revue. En 1941, Gallimard publie Pourrat sans arrière-pensée et Paulhan lui non plus ne tique pas sur la question de la révolution nationale. Etrange ! Il n'est vraiment question de Drieu la Rochelle quand celui-ci compte donner sa démission en 1942. Ce qui est frappant, c'est que Pourrat envoie de l'argent et du charbon aux Paulhan. Et ensuite il n'est plus question que d'argent ! En 1943, Paulhan commence à faire état de ses inquiétudes. Drieu est finalement parti, mais la revue ne paraît plus. Paulhan est dénoncé comme juif par la femme de Jouhandeau, Elise (il avait déjà été arrêté par les Allemands comme communiste et a été sorti de ces mauvais draps par Drieu qui intervient auprès de Otto Abetz -, il a d'ailleurs d'excellents rapports avec l'auteur de Gilles...). Bref la Libération arrive et tout continue comme avant ! Et leurs échanges épistolaires se prolongent jusqu'en 1959, peu avant la mort de l'auteur de Gaspard des montagnes... Que dire cet énorme volume ? Eh bien qu'il sert peut-être autant l'histoire des Français pendant une certaine période que l'histoire de la littérature.
Gérard-Georges Lemaire
20-02-2020
 
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Verso n°136

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