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[verso-hebdo]
09-06-2022
La lettre hebdomadaire
de Jean-Luc Chalumeau
Erwan de Beauchaine
Le 20 novembre 2019, j'assistais à un colloque dans l'amphithéâtre de la Maison de Breteuil (Conférence des Evêques de France) sur le thème de l'art contemporain : « quels enjeux pour demain ? ». Il y avait là, naturellement, des artistes plasticiens de grande qualité, comme Véronique Ellena, Olivier Sévère, Miguel Chevalier, Pascal Haudressy ou Gaël Charbau qui ne pratiquent pas tous obligatoirement ce qu'il est convenu de nommer « art sacré ». L'assistance avait été très frappée par l'intervention du Père Michel Brière, professeur à l'Ecole Cathédrale et aumônier de l'Ecole des Beaux-Arts. On l'avait prié de parler d'une « Théologie de l'art de demain », mais il avait proposé tout autre chose, qui commençait par la projection d'un film-vidéo d'une quinzaine de minutes, dont l'auteur, diplômé des Beaux-Arts, s'appelle Erwan de Beauchaine. Disons pour l'essentiel que l'on assistait à l'itinéraire d'un artiste muni de pastels gras sur les affiches du métro. Après le commentaire de Michel Brière, le public conquis avait demandé une deuxième projection. Erwan de Beauchaine ne pouvait en effet laisser indifférent.

Né en 1987, titulaire d'un Master in Arts à Paris en 2017, ancien élève de la Central Academy of Fine Arts de Pékin, ayant notamment exposé à New York en 2018, il a participé à de nombreuses expositions collectives dont celle organisée galerie Saint Roch dans le 1er arrondissement de Paris. Là, il proposait encore un film, beau et hermétique. Il lançait lui-même la projection, mais ne donnait aucune clef aux visiteurs. Ces derniers ne pouvaient donc savoir que la démarche de l'artiste chemine dans le rapport à la transcendance pris dans l'imaginaire Judéo-chrétien et dans la philosophie platonicienne. Il y a selon lui une urgence en nous d'analyser les causes et les conséquences de ce rapport à la transcendance. « Mon travail entretient cette urgence, rend visible les traces de cette recherche, en mettant au jour les étapes du cheminement. Ce que je veux dire au fond, c'est que je suis devant une énigme. J'aime comparer cela à un fait divers au sens journalistique. Comme disait Marguerite Duras au sujet de l'affaire Grégory : le crime a eu lieu. Ce crime, cette catastrophe, c'est la dissolution du moi... »

Dans l'oeuvre vaste et protéiforme d'Erwan de Beauchaine, on ne retiendra que le travail sur affiches publicitaires (pastel à l'huile dans le métro parisien). On rejoint ainsi le film présenté par le Père Brière : « Prends ta puissance et suis-moi » réalisé le 11 novembre 2019. « L'oeuvre est bien un film vidéo, avec un montage, des choix de construction, quasiment un scénario, un ou deux effets spéciaux. En ce sens, nous avons une oeuvre, et non l'image ou la reproduction d'une oeuvre. » Plus loin, Michel Brière résume ce qui fait à ses yeux l'intérêt de l'oeuvre (c'est moi qui numérote) : « 1. L'image verticale s'oppose à l'horizontalisme de nos images, particulièrement au cinéma de consommation. 2. Le dispositif de réalisation qu'on peut deviner : la boîte à pastels, éclairage et caméra embarqués, nous embarquent à notre tour dans le processus, work in progress, l'art en train de se faire. 3. La solitude de l'homme-orchestre contre la machine mondaine. 4. La ligne colorée : couleur, écriture et dessin mêlés, lignes juste symboliques de jonction, lignes de dessin de figures, ligne musicale comme le chant de l'oiseau en trois traits jaunes rouge bleu, ligne d'écriture-signature. 5. Des profils de visages, un petit oiseau, une étoile à cinq branches, des éléments peu nombreux. 6. En surcharge des figures affichées : les yeux, et surtout la bouche. 7. Une matière onctueuse : du pastel gras, à l'huile, qui évoque l'onction. 8. Nocturne, souterrain, à la lisière des convenances, à la marge des comportements mondains, décalé. Je suis formé par les comportements inconvenants de Jésus et de Zachée, de Marie-Madeleine, des porteurs du paralysé qui passent par le toit... 9. Un modeste détournement poétique de la publicité agressive, envahissante. 10. Rapidité, rythme, légèreté, éphémère, connivence, sans prétention... » La dissolution du moi est le malheur qui frappe les jeunes générations. Le pouvoir des artistes, c'est de partir de cette prise de conscience pour tenter de reconstruire ce qui, de nos jours, est implacablement déconstruit. Erwan de Beauchaine est de ceux là, et l'un des plus remarquables.

www.erwandebeauchaine.com
J.-L. C.
verso.sarl@wanadoo.fr
09-06-2022
 

Verso n°136

L'artiste du mois : Marko Velk

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