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[verso-hebdo]
23-06-2022
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La chronique de Gérard-Georges Lemaire |
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Chronique d'un bibliomane mélancolique |
La Couleur en fugue, sous la direction de Suzanne Pagé, Editions Gallimard / Fondation Louis Vuitton, 224 p., 30 euro.
Avant de narrer en quoi consiste ce catalogue, il faut rappeler que la question de la couleur a l'objet d'une vive discussion au sein de la toute nouvelle Académie royale de peinture et de sculpture, et même de publications. Il s'agissait alors de savoir qui devait l'emporter : le dessin ou la couleur ? Contrairement à tout attente, c'est la couleur qui l'a emporté. Ce débat sera renouvelé près de deux siècles plus tard, avec le grand dessein d'Eugène Delacroix, et plus tard avec les impressionnistes. Cette exposition se limite à un petit groupe d'artistes. Ce n'est donc pas une discussion sur la question de la couleur à notre époque, mais la présentation de cinq manières différentes de proposer une oeuvre qui a pour caractéristique de mettre de côté tout ce qui dépend d'un choix chromatique. Cinq créateurs ont été pressentis pour cette exposition qui est purement exemplaire et non démonstrative. Je commencerai par le plus connu en France, Niele Toroni. Né à Murano en Suisse en 1937, il a été l'un des quatre fondateurs du groupe BMPT en 1966, dont Daniel Buren s'est révélé rapidement le plus célèbre. Comme ce dernier, Toroni s'est tenu à un concept formel identique tout au long de son histoire picturale : de petits carrés colorés agencés selon un ordre géométrique sur un fond blanc. C'est une volonté affirmée de contredire la peinture telle qu'on l'a conçue jusqu'alors, et aussi une sorte de marque de fabrique, un tableau de Toroni est immédiatement identifiable.
Bien sûr, au fil du temps, l'artiste a introduit des variantes : différentes couleurs pour ses carrés et des supports différents, comme le tondo par exemple. Mais le principe de base demeure invariable, inexorable. Les autres artistes que nous découvrons ne sont pas très connus dans notre pays. Commençons par Megan Rooney, née en Afrique du Sud en 1985. Elle a passé son enfance au Brésil, puis au Canada. Elle a fait ses études à Londres. Son aventure artistique a débuté en 2014 et elle s'est imposée assez vite. Elle a participé à de grandes manifestations internationales. Sa recherche est de nature plutôt « expressionniste » même si elle n'est pas à proprement parler une héritière de l'art allemand du début du XXe siècle ni de l'art des Américains de l'après-guerre. Mais elle abolit la forme et s'exprime par une gestualité violente et avec des couleurs très vives. Steven Parrino (1958-2005) est né à New York et a fait ses études artistiques dans sa ville natale. Il s'est orienté vers la monochromie, mais a aussi choisi une sorte de « déconstruction » de ses supports. Il n'a donc pas une ligne formelle définie, mais plutôt une vision de ce que pourrait être l'art entre la surface et le volume, sans jamais opter pour l'un ou pour l'autre. Quant à Katharina Grosse, elle née à Fribourg-en-Brisgau en 1961. Elle vit entre Berlin et la Nouvelle-Zélande. Elle s'est faite un nom à partir des années 1990. Ce qui la caractérise le plus, c'est le désir d'englober de grandes surfaces ou de détourner des situations préétablies. Elle joue sur des déclinaisons chromatiques sur d'immenses toiles, qui la place entre différents modes artistiques.
C'est impressionnant et un étrange mélange entre une expansion picturale démesurée et le Land Art. Sam Gilliam est né en 1933 à Tupalo (Etats-Unis). Il a créé de très grandes toiles polychromes, qui ne sont pas posées sur un mur ni sur une quelconque surface, mais qui sont suspendues par des cordes. Ce faisant il se situe entre la sculpture et la peinture car le jeu des couleurs est une confrontation relativement brutale et apparemment sans ordre. En plus de conserver le souvenir d'une exposition faite pour frapper les esprits en mettant en valeur des parcours esthétiques peu académiques, ce catalogue offre une large documentation et de nombreuses illustrations permettant de découvrir des cheminements différents qui marque le tournant du siècle.
Samuel Fosso, introduction de Christine Barthe, « Photo Poche », Actes Sud, 13 euro.
Né à Bangui, Samuel Fosso s'est passionné très tôt pour la photographie. Il a créé son premier studio de photographie à l'âge de treize ans. Il a beaucoup travaillé dès le début sur des autoportraits. Ceux-ci lui ont donné l'idée d'un transformisme assez radical. Peu à peu, ses clichés prennent l'aspect de pastiches et l'humour compte pour beaucoup dans son aventure. Je songe par exemple au portrait de Mao Tse Toung au visage noir ! Cest amusant, mais aussi assez troublant. Il s'est d'ailleurs beaucoup diverti avec des portraits de Chinois de l'époque de la Révolution culturelle. Mais, en revanche, il a montré des soldats de l'armée coloniale française qui ont participé à la Grande Guerre (c'est la suite « Allonzenfants »). Il a imaginé une série cocasse de « Papes noirs » Tout dans le monde devient noir, souvent par le jeu de truquages et de maquillages souvent divertissant.
Mais au-delà du jeu, qui est efficace, se dissimule une inquiétude insidieuse : cette géopolitique visuelle paraît un artifice qui met un peu mal à l'aise même si l'effet comique est souvent imparable. C'est sans nul doute une recherche encore juvénile dans son esprit, mais elle est plus que prometteuse, car il est évident que Samuel Fosso a encore beaucoup à découvrir et à développer. Je considère très positif le fait que cette collection nous fasse découvrir des talents encore jeunes comme celui-ci.
Klavdij Sluban, introduction de Zkedjka Kosine, « Photo Poche », Actes Sud, 13, 59 euro.
Klavdij Sluban nous introduit dans un univers assez sombre. Son regard est souvent tourné vers le passé. En premier lieu, il continue à utiliser la technique argentique, qui a été largement supplantée par les nouvelles technologies. C'est un signe important : il tient beaucoup aux nuances que l'argentique permet et, finalement, à cette poésie délicate qu'elle peut produire. Ses clichés sont souvent sombres et beaucoup ont recours à la dimension mélancolique et même accablante du noir. Il n'a pas peur non plus d'aller vers une forme d'abstraction, mais cela n'a rien de systématique. C'est là une de ses façons de se confronter à la réalité. Les gris jouent aussi leur rôle. Il dépeint un monde qui est sans joie et même morose. C'est un poète de toute évidence. Mais un poète sombre et désenchanté.
Quoi que : il redonne à ce qui nous entoure, aussi bien les paysages champêtres que les cités, un supplément d'âme qui n'est pas négligeable. Ses compositions sont originales et souvent rudes et un peu tragiques. Il suggère que nous vivons une période des plus sombres et que nous sommes habités par des sentiments déchirants et désespérés. C'est néanmoins un spectacle chargé de force et d'intensité qui ne devrait pas manquer de fasciner le spectateur.
Frank Horvat, introduction de Virginie Chardin, « Photo Poche », Actes Sud, 13, 50 euro.
Frank Horvart est un photographe très éclectique. Cela est sans doute dû au fait qu'il a travaillé pour de nombreuses revues de par le monde et qu'il a aussi beaucoup oeuvré pour la mode. Cela ne l'a pas empêché de développer un travail personnel. Celui-ci n'est pas en rupture comme la plupart de ses grands contemporains. Il n'est pas loin de l'esthétique d'Henri Cartier-Bresson. Il est réaliste et cherche à saisir des visions saisissantes ou poétiques de la réalité la plus commune. Il y a dans ce volume un cliché qui pourrait être la marque de fabrique de ce créateur très talentueux : je veux parler de l'homme qui saute sur le trottoir, qui frôle le surréalisme et qui met en exergue une forme d'humour digne du cinéma muet. Il recherche l'émotion, une poésie du banal qui est transfiguré, des situations frappantes et qui touchent.
Sa posture est quasiment « classique » pour nous qui l'observons plusieurs décennies après ses compositions, même si celles-ci sont le fruit du hasard. On est aussi surpris par la diversité de ses intérêts. Rien ne semble lui être étranger dans sa démarche. Avec lui le spectacle du monde se fait enchanteur et curieux, drolatique et toujours surprenant. C'est un enchantement où priment les contrastes entre des situations sans relation évidente. Il y a toujours chez lui cette pointe de surréalisme infime que j'ai déjà noté, mais qui ne dépasse jamais certaines bornes. C'est à découvrir pour tous ceux qui ne le connaissent pas.
Fernand Léger, la vie à bras -le-corps, Editions Gallimard / Musée Soulages, sous la direction de Benoît Decron & Maurice Fréchuret, 224 p., 32 euro.
Fernand Léger a une place singulière dans la grande aventure artistique du début du XXe siècle. Il ne figure pas au tout premier plan. Célèbre et admiré, il est toujour placé un rang derrière sur la photographie de groupe des grands maîtres de l'art moderne français. Cette exposition et ce catalogue a le mérite de le remettre au tout premier plan. Rappelons que Fernand Léger est né à Argentan en 1881. C'est un fils de maquignon normand qui meurt trois ans après naissance. C'est donc sa mère qui se charge de son éducation. Il se montre un élève indiscipliné. Sa mère décide de le faire entrer comme apprenti chez des architectes de la région.
En 1900, il ne parvient pas à passer le concours d'entrée de l'Ecole nationale des Beaux-arts et suis les cours de Gérôme en qualité d'auditeur libre. Il est reçu à l'Ecole des Arts décoratifs. En 1909, il prend un atelier à la Ruche. C'est alors qu'il prend au pied de la lettre le conseil qu'avait donné Paul Cézanne à Emile Bernard : « traiter la nature par le cylindre, la sphère, le cône. » Il cherche à se distinguer de ses contemporains. Quand il expose au Salon des Indépendants en 1911, son Nu dans la forêt (1910-1911) intrigue Guillaume Apollinaire. Il s'installe alors rue de l'Ancienne-Comédie. Il rejoint le groupe de Puteaux qu'anime Raymond et Marcel Duchamp. Il prend part au Salon de la Section d'or en 1912. Il se lie d'amitié avec Blaise Cendrars.
Il signe un contrat avec Daniel-Henri Kahnweiler en 1913., qui a admiré ses Constructeurs de formes. Il participe à l'exposition de l'« Armory Show » à New York et à celle du « Valet de carreau » à Moscou. Mais il est mobilisé en août 1914. Après avoir été dans le génie, il devient brancardier. Quand il le peut, il réalise des collages, il dessine. La guerre terminée, la ville devient l'un de ses sujets de prédilection. Il a désormais son style, son « écriture » - il se distingue de la plus grande partie des artistes à Paris. On découvre dans ce catalogue l'évolution de son travail -, un cheminement qui est marqué par une constante affirmation de sa manière de peindre. On peut découvrir, outre des tableaux peu connus, dans ce superbe catalogue certains de ses livres, qui sont des merveilles, comme Le Cirque, paru en 1950 et La Ville tous les deux publiés par Tériade en 1959. Ce qui est montré à Rodez jusqu'au 6 novembre de cette année mérite le détour car on peut y apprendre qui a été vraiment Fernand Léger ou voir des oeuvres qui ne sont pas ses plus grands chefs d'oeuvre, et admirer ces livres qui sont de toute beauté.
Delprat, Laurence Bertrand Dorléac, musée Marmottan Monet, « Dialogues inattendus », s. p., 19 euro.
Cette manie de proposer des expositions d'art contemporain dans les musées d'art ancien s'est répandu et ne fait que croître et c'est réellement un problème. Va-t-on voir Monet au Centre Pompidou ? Mais que peut-on faire contre la mode ? Dans le cas présent, il ne s'agit pas d'une « confrontation », mais simplement d'une grande salle où l'on peut découvrir les dernières oeuvres d'Hélène Delprat. Après avoir été à la Villa Médicis à Rome et y avoir présenter une exposition mémorable baptisée, « Jungle et loups », elle a rapidement conquis le microcosme des amateurs d'arts avec des tableaux qu'on a qualifié d « africains » à cause des figures d'apparence primitive.
Son dessein était de proposer un univers fantasmagorique qui donne l'idée d'une civilisation purement imaginaire, mais ayant des liens avec le monde avant la Grèce classique C'était très suggestif et donnait à la peinture une orientation séduisante. Puis il y eut une rupture. Elle a fait ensuite des toiles qui était d'abord une complète déconstruction de l'espace plastique -, une sorte de prolongement de projets négateurs comme celui de Kirkeby. Aujourd'hui, elle n'a pas amorcé un retour à l'ordre, mais un univers fantasmatique et fantomatiques avec des figures monstrueuses et grotesques ou encore des constellations abstraites qui n'a aucun rapport avec la voûte étoilée. Elle a aussi produit un décor mural qui est un pastiche improbable à partir de compositions géométriques monochromes. Enfin, elle a inventé une collection de petites statuettes dorées présentant des divinités propres à sa façon de penser, toutes dorées et souvent placées sur des socles. C'est drolatique et déroutant, engendrant un petit monde à la fois sacré et désacralisé, grotesque et pourtant fascinant. Elle reviens de l'Hadès de l'art avec un talent inaltéré.
Un Noël avec Winston, Corinne Desarzen, Editions de la Baconnière, 168 p., 19 euro.
Il n'existe pas une seule et unique manière d'écrire une biographie. Il y a celle, classique et sérieuse, avec de longues et patientes recherches, comme ce que nous voyons paraître aux éditions Fayard, Et puis il y a celles qui sont des récits approximatifs et destinés à un public peu avisé, parfois avec de graves préjugés. On serait plus proche d'Alexandre Dumas, qui s'est beaucoup diverti avec la vérité historique (ce qui était son droit) que d'une étude crédible. Mais il y a aussi d'autres, qui peuvent être à la fois savantes et manifester un point de vue sur le personnage élu. Je prendrai comme exemple Stefan Zweig. Il a été un maître en la matière et a aussi été capable de toucher un large public par sa belle plume et la pénétration de son sujet. Bref, ce que nous conte l'auteur de Winston Churchill peut être un de ces cheminements hors des sentiers battus. Je dois reconnaître qu'elle s'y est assez bien pris. Elle s'est attaché à des événements, des situations, même à de pures anecdotes pour nous brosser un portrait convaincant et révélateur de cet homme qui est entré dans l'histoire à l'instar de Charles De Gaulle pour son action pendant la dernière guerre.
Il faut dire que sa carrière avait été mise mal en point à cause de l'hasardeuse entreprise du débarquement dans les Dardanelles, qui s'est soldée par une défaite mémorable. Elle ne nous révèle pas un autre Churchill, mais ce qui permet de se faire une idée de cette figure complexe, qui n'a pas été seulement un homme d'Etat et un chef de parti dans la tradition britannique, mais aussi un écrivain (il a même obtenu le prix Nobel pour son Histoire de la Seconde guerre mondiale) et un artiste peintre assez conformiste. Le style de Corinne Desarzens est assez plaisant et elle n'a pas manqué d'imagination pour camper son modèle dans toutes sortes de situations qui sont emblématiques de son parcours pour le moins singulier. Il est évident que cette dernière a réussi un pari qui n'était pas des plus évident. Elle parvenu à rédiger un ouvrage plaisant et même divertissant, tout en parvenant à brosser un portrait extrêmement vivace de Winston Churchill en utilisant mille point de vue qui créent sans cesse la surprise et l'étonnement.
Des souris et des hommes, John Steinbeck, préfacé et traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Agnès Désarthe, « Du monde entier », Gallimard, 142 p., 16 euro.
C'est une maladie toute française de retraduire les grandes oeuvres de la littérature mondiale. Franz Kafka, Fédor Dostoïevski, Miguel de Cervantes sont déjà passés par là parmi tant d'autres, avec des résultats divers et souvent décevants. Je n'éprouve pas l'envie de discuter de cette question qui a le don de m'agacer. J'aurais aussi préféré quelques pages sur ce livre qui est l'un des plus connus de Steinbeck, conçu d'abord comme une pièce et publié en 1957 (un film en a été bientôt tiré à Hollywood), qui a reçu, rappelons-le, le prix Nobel de littérature en 1962. En le relisant, je me rends compte de la construction un peu cinématographique de l'entrée en matière : un paysage dont on se rapproche, des figures qui apparaissent - deux hommes, Lennie Small et George Milton. Me surprend aussi la vivacité des dialogues qui nous permet de saisir la situation de ces deux personnages. Ils voyagent pour aller travailler dans un nouveau ranch.
On découvre bientôt les lieux. Le premier contact avec leur nouveau patron est assez rude. Ces deux ouvriers agricoles s'intègrent tant bien que mal à ce groupe de travailleurs Ils sont confrontés à leurs préjugés et à leur vision étroite et fruste du monde Tout va finir par tourner autour des fantasmes générés par quelques rares présences féminines au coeur de ce groupe essentiellement masculin. Bien que leur éducation soir médiocre, leurs sentiments se révèlent complexes et la rapidité de la narration ne fait qu'accentuer ce contraste entre des esprits simples et leur imaginaire bizarre et non sans perversion et mêlant ingénuité et malignité. Cette représentation des années sombres de la Dépression en Amérique a pour elle ce caractère saisissant du récit qui se déroule de manière inexorable et sans détours. Si la prose de Steinbeck n'a rien d'expérimental (tout le contraire de Dos Passos), il ne s'en avère pas moins efficace. Ce livre a sans doute un peu vieilli, mais il a conservé toute sa suggestivité.
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Gérard-Georges Lemaire 23-06-2022 |
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Verso n°136
L'artiste du mois : Marko Velk
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