Heureux peintre sans doute que ce Louis Léopold Boilly (1761-1845), auquel le musée Cognacq-Jay consacre une large exposition de 130 oeuvres, Boilly. Chroniques parisiennes, jusqu'au 26 juin... Un Boilly malicieux, s'amusant à saisir, avec l'alacrité jadis d'un Pieter de Hooch, d'un Van Mieris ou d'un Ter Borch, des scènes animées de la vie quotidienne, ou de moquer postures et caractères dans sa série truculente de lithographies Les Grimaces, ou encore de bien se jouer de nous avec ses trompe-l'oeil virtuoses, ou enfin de se cacher sous différents rôles, costumes dans les foules qu'il peignait minutieusement. Cet artiste prolifique (plusieurs milliers de toiles, dessins et lithographies durant quelques soixante-dix ans de carrière) a su plaire en son temps, il continue aujourd'hui, sans prétentions, de nous amuser et ravir. C'est que l'humour n'est pas si fréquent dans l'histoire de l'art, aussi que nous aimons (plus que nous l'avouons) fouiller du regard dans une oeuvre et y découvrir maints détails piquants, enfin que l'historien en chacun de nous apprécie le peintre « témoin de son temps ». En l'occurrence Boilly fut l'inlassable chroniqueur de Paris, d'une révolution (1789) aux prémisses d'une autre (1848), et sa peinture reste le vivant témoignage de toute une époque.
Mais, se récrieront tout de suite ceux pour qui thèmes et anecdotes restent secondaires, qu'en est-il du style de ce peintre ? La technique d'abord : les premières impressions du visiteur seront marquées par la finesse et l'extrême précision du pinceau. Puis il notera ces couleurs majoritairement claires aux accords consonants, une touche lisse et « porcelainée », et parfois un effet « tactile » comme chez Fragonard... S'il n'est pas convaincu, il réduira vite l'ensemble présenté au style uniforme des vignettes. Au contraire, séduit, il pourra même être fasciné par ce réalisme qui, étonnamment, ne contrevient jamais à la catégorie esthétique de l'élégance. Cette élégance ne doit évidemment pas être réduite au fait que Boilly aimait la mode (il collaborait même avec le Journal des dames et des modes et avec Le Bon Genre), et peindre les étonnants costumes de son époque. Elle devra plutôt être ressentie dans la virtuosité d'un talent polymorphe qui s'efface discrètement sous l'attractivité du thème choisi. Regardons le tableau L'Arrivée de la diligence dans la cour des Messageries (1803), où coexistent des détails très réalistes - comme ces deux chiens qui se battent, ces petits porteurs pauvres, ce coq et ces poules, etc. -, d'émouvantes scènes de retrouvailles, et différentes classes sociales : on s'attarde sur la somme d'informations de cette image profuse, en oubliant la rigueur de la composition oblique, le jeu des luminosités, la douce mélancolie qui émane de l'oeuvre. Quand Boilly se passionne pour les effets de foule, comme dans cette peinture drolatique montrant l'hystérie collective suscitée par le théâtre, distraction alors la plus courue de la capitale, il n'oublie jamais, derrière tous ses détails cocasses, d'accorder finement les couleurs complémentaires et de baigner l'ensemble d'un brun chaud à reflets dorés. Vingt-sept études préparatoires furent nécessaires pour Réunion d'artistes dans l'atelier d'Isabey (1798), ce portrait collectif, dans la mouvance du 17ème siècle hollandais et des « conversation pieces » britanniques, qui est à la fois panorama, représentation détaillée et réaliste, allégorie, et enfin peinture poétique... Sans se pencher sur les rapprochements possibles de cette brillante peinture avec celle parfois de David ou de Greuze ou encore de Vigée-Lebrun, les deux commissaires d'exposition, Annick Lemoine et Sixtine de Saint-Léger, insistent sur le Boilly chroniqueur de la vie parisienne dans sa diversité. Et ainsi Scènes du carnaval (1832) résumerait sa vision : « le théâtre se trouve dans les rues de Paris, ses habitants en sont le principal divertissement. Boilly livre ici une « comédie humaine » jubilatoire. Il signe cette oeuvre manifeste, la plus ambitieuse de ses scènes de foule, à l'âge de 71 ans ». Les Parisiens, les us et coutumes de la petite et moyenne bourgeoisie n'épuisent pas son monde pictural. Boilly s'illustre également dans l'art du portrait en buste par de petits formats réalisés en deux heures. Cinq mille visages d'époque immortalisés, on en connaît aujourd'hui un millier...
Mais au final que retiendra-t-on de Louis Léopold Boilly ? Le fin portraitiste ou le caricaturiste des Grimaces ? Le virtuose du trompe-l'oeil ou le peintre des foules ? L'artiste néo-classique ou le réaliste malicieux ? L'affiche de l'exposition - son portrait hilare - semble nous indiquer la bonne direction : Boilly, l'artiste joyeux, plaisant. Car il s'amusait bien, le bonhomme, dans Les Petits Soldats (1809), une peinture qui imite fidèlement... la gravure, ou lorsqu'il allait jusqu'à reproduire du verre cassé dans ses tableaux en trompe-l'oeil, ou quand il peignait trente-trois têtes grimaçantes à l'encre et à l'huile, pour imiter le crayon ! Les facéties de ce peintre ne détonnent pas avec ses clins d'oeil libertins (saphistes par exemple dans Deux jeunes amies qui s'embrassent 1789) ou ses petits jeux complices avec le spectateur : je me cache, déguisé, dans mes tableaux, alors trouvez-moi ! Sa longue vie pour l'époque (84 ans) et sa carrière longue et variée ne témoignent peut-être pas pour son génie mais probablement pour son bonheur de création.
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