Les Beaux-Arts de Paris ne sont pas seulement une Ecole, c'est aussi un musée, doté d'un fonds de dessins d'une exceptionnelle richesse. La responsable est Emmanuelle Brugerolles, qui en tire des expositions remarquables : on se souvient particulièrement, pour la période récente, de Le Dessin à Bologne (janvier 2020), Poussin, Géricault, Carpeaux à l'école de l'antique (octobre 2019), ou Léonard de Vinci et la Renaissance italienne (janvier 2019). Aujourd'hui (jusqu'au 24 avril 2022), elle s'attache au Baroque à Rome au 17° siècle. On y trouve des dessins de premier ordre, notamment un Portrait d'Agostino Mascardi, une pierre noire et sanguine du Bernin, et un spectaculaire Hercule et Antée, une sanguine et pierre noire de Giuseppe Cesari, dit le Cavalier d'Arpin. Mais les préférences de la commissaire vont visiblement à une superbe encre brune et lavis brun de Salvator Rosa qui illustre la couverture du catalogue : Saint Georges terrassant le dragon sur laquelle il convient de s'arrêter.
Né à Naples en 1615, Salvator Rosa, tôt orphelin, eut une jeunesse difficile dont on dit qu'elle trouva des appuis auprès de brigands que l'on n'appelait pas encore la mafia. Toujours est-il qu'il se forma sous la direction d'Aniello Falcone, proche de Ribera, et qu'il se spécialisa avec succès dans les peintures de batailles (l'une d'elles entra dans la collection de Louis XIV et se trouve aujourd'hui au Louvre). Il gagna Rome pour se mettre au service du cardinal Francesco Maria Brancaccio qu'il suivit lorsqu'il fut nommé évêque de Viterbe. Là, sous l'influence du poète Antonio Abati, ce contemporain de Molière devint auteur dramatique et se fit un nom (et des ennemis) avec ses satires. Revenu à Rome, il fréquente Nicolas Poussin, Claude Lorrain et Pietro Testa. Mais il ne retient pas le classicisme des deux premiers : son tempérament fougueux le prédispose pour le style baroque. Après un séjour à Florence, Installé définitivement à Rome à partir de 1649 (il y mourra n 1673), il développe une oeuvre variée de peintre, dessinateur et aquafortiste qui fait de lui, dans les années 1660, un des plus célèbres artistes romains, recherché par les plus grands collectionneurs d'Europe.
Saint Georges terrassant le dragon est sans doute une première pensée pour le tableau du même titre qui se trouve à Florence (collection Luzzetti). Le saint est descendu de cheval. Cuirassé et casqué, il affronte le dragon blessé dans un ultime combat en lui enfonçant dans la gueule sa longue lance. L'artiste a traduit la violence de l'affrontement par un jeu subtil entre le déhanchement de Georges et la spirale de la queue du monstre qui semble s'enrouler autour de lui. Les figures sont cernées par des traits de plume ondulants et sinueux qui participent, souligne Emmanuelle Brugerolles, « avec une maîtrise parfaite au rendu du mouvement. » Ce lavis brun lumineux, qui rappelle la manière des artistes vénitiens que Rosa admirait, est déposé en larges plages derrière la silhouette du saint de manière à assurer son modelé. Les zones de papier laissées en réserve marquent l'intensité de la lumière venue de la gauche, qui éclaire certaines parties des corps du soldat et de l'animal. « La succession des courbes et des contre-courbes entre le contrapposto de l'homme et la volute de la queue du dragon assure à l'ensemble une majesté et une élégance qui contrastent avec la cruauté du sujet (...) Sans aucun doute un des chefs d'oeuvre de l'artiste, conclut madame Brugerolles, cette feuille fit l'admiration des collectionneurs dès le XVIII° siècle. » Ce dessin est un exemple parfait de ce qu'attendait Jacques Derrida de cette technique : « Contre l'intellectualisation à laquelle on a voulu parfois le réduire, le dessin produit une configuration rythmée du réel naissant du rythme même du corps... »
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