avec le soutien éclat ou éclat
hotel de beaute
ID : 86
N°Verso : 68
Dossier Tyszblat
Titre : Tyszblat ou l'équilibre instable
Auteur(s) : par Jean-Luc Chalumeau
Date : 24/07/2013



Bibliographie :
Francis de Miomandre, Dancings, Flammarion,
Paris 1932.
Klee et la musique, Centre Georges Pompidou,
Paris, 1985.
Tyszblat, Villa Tamaris centre d'art,
La Seyne-sur-Mer, 2005.
Paul Klee (7879-7940), Polyphonies, Actes Sud,
Cité de la musique, 2011
L'art du jazz, Éditions du Félin, Paris 2011

Tyszblat ou l'équilibre instable
par Jean-Luc Chalumeau

Aux moments les plus cruciaux de l’histoire, arrivent des peintres qui rendent confiance à leurs contemporains désorientés. N’est-ce pas ce que fit Paul Klee, au lendemain de la Grande Guerre et après le déferlement des avant-gardes dites historiques d’avant 1914 ? Une des dernières séries de Michel Tyszblat, non titrée, rappelle la problématique de Klee des années 20. Premier détail troublant : Klee s’était mis en tête de faire avancer l’art de peindre qu’il jugeait en retard par rapport à l’art musical. Rappelons à nouveau que Tyszblat est musicien, et qu’il ne peut pas ne pas l’être aussi quand il peint.
La solution de Klee devait se trouver dans la conciliation entre l’ « enracinement terrestre » et l’ « intimité avec le cosmos » : elle passait par le symbole, ce qui faisait que les objets plastiques de Klee n’étaient jamais totalement abstraits. Dans des tableaux du début des années 2000 comme La Poursuite ou Le Départ, jamais Tyszblat n’a poussé aussi loin sa manière très personnelle d’associer des éléments figuratifs et abstraits, mais ce n’est pas encore l’essentiel.

La volonté de lier totalement le subjectif (le moi) et l’objectif (le monde) aboutissait chez Klee à des figures qui se situaient dans un entre-deux s’éloignant optiquement de l’objet sans cependant le contredire définitivement. Dans Les Vases d’Aphrodite de 1921 par exemple, la superposition de plans de tons différents de bruns et de beiges suggérait les formes de deux vases de part et d’autre de la tête d’Aphrodite. La figure féminine, qui semblait danser, émergeait du processus même de construction de la surface. Regardons maintenant certains tableaux de Tyszblat qui paraissent avoir des fonds noirs. Sommes-nous si certains que ce sont des fonds ? En fait, le peintre a opéré des trouées dans ces peintures, qui engendrent des espaces nouveaux. Non pas : des objets figuratifs et non-figuratifs sur fond noir, mais bien : des formes ambiguës dont certaines apparaissent comme transparentes. A travers elles, le regard va au-delà du « fond » qui, de ce fait, n’est plus un fond mais plutôt un agent de liaison entre les formes. Aussi lucidement qu’un Braque, Tyszblat ne peint pas seulement des formes, mais « ce qu’il y a entre les formes » en même temps que, comme Klee mais de manière différente, il réussit à superposer les plans et à modifier notre perception de l’espace.

Nous voici vraiment devant l’accomplissement d’une odyssée picturale. On veut bien croire Tyszblat quand il dit que l’espace pictural est important pour lui. N’est il pas vrai que chaque peintre de quelque envergure a été en mesure, par le passé, d’inventer un espace qui lui soit spécifique ? Michel Tyszblat vient d’y parvenir, au début des années 2000, pour son compte avec beaucoup de naturel comme suite logique de ses recherches conduites depuis plusieurs décennies. « Déjà avec les écrous, j’avais travaillé cette notion d’objet posé sur un fond qu’il fallait contredire. Aujourd’hui, j’essaie d’aller plus loin. » Essai réussi, et « transformé » comme disent les joueurs de rugby, puisque les découvertes de Tyszblat aboutissent à toute une série. Ainsi, deux sortes de « trouées » viennent maintenant percer ses tableaux : les trouées de sens nées des rencontres improbables entre objets figuratifs et formes indiscernables, et les trouées spatiales qui confèrent les unes et les autres une subtile qualité d’instabilité aux œuvres. J’observe avec intérêt qu’une aquarelle de Klee, en 1922, était intitulée Equilibre instable. Il me semble en effet que Tyszblat est parvenu lui-même, par les moyens qui lui sont propres, et à travers la sorte de jubilation un peu folle caractérisant son travail, à l’équilibre instable qui signale les meilleures réussites de l’art pictural.

 

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