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ID : 138
N°Verso : 93
L'artiste du mois : chantalpetit
Titre : La sculpture de peintures selon chantalpetit
Auteur(s) : par Jean-Luc Chalumeau
Date : 04/05/2016



Url : www.chantalpetit.com
Le film de chantalpetit La fabrique des météores est visible jusqu’au 5 juin à la Maison Rouge, fondation Antoine de Galbert, dans l’exposition Ceramix, de Rodin à Schütte.

La sculpture de peintures selon chantalpetit
par Jean-Luc Chalumeau

Ce faisant, elle défie le commentateur qui aborde son œuvre remarquablement prolifique, au sein de laquelle se multiplient ces temps-ci des séries telles que Des astres. La fabrique des météores (vidéos, peintures, sculptures, 2015), Animas. Petits palmyres (2015-2016, sel de l’Himalaya, verre, encre-sang) ou encore les Sculptures de peintures, peintures volantes (projet 2014-2016). Elle le défierait d’autant plus qu’il serait un disciple d’Etienne Souriau, le respecté professeur d’esthétique qui avait mis au point une méthode pour mesurer, non pas la qualité esthétique d’une œuvre donnée, mais la quantité de « travail d’art » qui intervient dans sa production : l’art étant défini comme «activité visant à créer des choses » ( in L’avenir de l’esthétique), il aurait été possible de discerner, à l’intérieur d’un processus de fabrication donné, le travail proprement créateur et le travail simplement producteur, et d’établir quantitativement le « travail d’art » par rapport au travail total. Chez chantalpetit, ce serait évidemment peine perdue : sa créativité en ébullition transforme en travail d’art le moindre de ses gestes. « Je passe d’une pratique à l’autre avant tout pour changer d’air, dit-elle, ouvrir de nouvelles perspectives. Je me donne des règles du jeu, comme par exemple peindre, dessiner ou sculpter à l’aveugle, qui me permettent de rebondir, de ne jamais m’installer, mais surtout ce sont des passages vers autre chose, des échappées… »

Des « règles du jeu » sans doute, mais jamais des procédés. chantalpetit est toujours d’une totale sincérité en même temps qu’elle manifeste une totale maîtrise, comme pour répondre à une phrase fameuse d’André Malraux qui croyait l’art dû avant tout « aussi secrètement que ce soit, à la maîtrise de l’homme ». Cette maîtrise est en effet attestée chez chantalpetit par l’authenticité de l’artiste qui s’identifie à l’objet esthétique dont elle est l’auteur. Parmi ses œuvres récentes, on trouve en particulier une somptueuse série de vanités de grands formats : des crânes, comme on en trouve tant aux pieds des crucifixions de la tradition. Mais il ne s’agit pas de crânes comparables, par exemple, à celui que Giovanni Guerrieri a placé aux pieds du crucifix devant lequel saint Charles Borromée éprouve sa vision (1630, Pinacoteca Civica de Fano). Non : les crânes de chantalpetit sont immenses, ils structurent toute la surface de toiles de grand format sur lesquelles s’assemblent avec autorité de larges plages chromatiques.

Ici, nous ne sommes pas loin de ce que Michael Fried voyait dans les meilleures réalisations de De Kooning : une syntaxe spatiale complexe, « fondée sur la localisation ambiguë de plans pour la plupart parallèles à l’écran du tableau. » La force de ces œuvres vient de ce qu’elles exigent de nous une perception qui leur fasse pleinement crédit. Et c’est ce qui se passe. Il faut entrer dans le monde de chantalpetit, ne pas laisser notre perception en sommeil, et un petit miracle se produira, parfaitement indépendant du jugement de goût (ces œuvres ne sont pas du genre à susciter des appréciations du genre « j’aime/je n’aime pas »), nous découvrirons le beau en tant que ce mot désigne une valeur qui est contenue dans l’œuvre et qui atteste son être. Pas de meilleur moyen pour nous offrir un « passage vers autre chose ». chantalpetit doit être suivie dans ses échappées : la beauté ne manquera pas de se trouver au bout de la route.

 

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