Bibliothèque de l’amateur d’art

par Gérard-Georges Lemaire

mis en ligne le 12/07/2012

Voyages extraordinaires, Jules Verne, sous la direction de Jean-Luc Steinmetz, t. 1 les Enfants du capitaine Grant, Vingt mille lieues sous les mers, 1488 p., 50 € ; t. 2 L’Ile mystérieuses, le Sphinx de glace, 1264 p., 45 €. Album Jules Verne, François Angelier, 320 p.

Publier Jules Verne dans la collection de la Pléiade, où l’on a vu Diderot, Goethe, Rilke, Ronsard, Montesquieu, Diderot Aragon, Malraux, Céline, et tant d’autres écrivains français et étrangers (de Dostoïevski et Tolstoï à Virginia Woolf et Henry James) peut sembler un peu étrange. C’est un écrivain qui a marqué notre histoire littéraire, mais ce n’est pas un grand écrivain. La question s’est déjà posée avec Simenon. Quoi qu’il en soit, Verne nous ramène immanquablement à notre enfance et aux lectures passionnées que j’ai pu en faire alors. Et je crois que bon nombre de Français de toutes conditions et de toutes générations auront la même sensation. Jules Verne est notre petite madeleine à tous ! Dans cette édition, on a eu la bonne idée d’inclure les reproductions des gravures de Férat. Comme la fameuse édition Hetzel, que je n’ai jamais eu entre les mains, mais qui me faisait rêver, je n’ai pas eu entre les mains ces gravures à cette époque. Je devais me contenter de la Bibliothèque verte ou du Livre de poche. Mais je les avais vues au marché aux puces. Ces images comme ces reliures rouges me faisaient rêver ! Jules Verne a une place essentielle dans le roman d’aventure : il n’avait plus de lien avec les fictions utopiques des XVIIIe et XVIIIe siècles, il n’avait plus rien à voir avec Alexandre Dumas ou Eugène Süe.
Il faisait découvrir le futur immédiat, celui que les sciences de son temps mettaient à la portée des hommes. Son vrai génie, en une époque positiviste, il avait su laisser deviner ce que les savants avaient pensé et que les industriels allaient offrir au monde. Vingt mille lieues sous les mers, pour un enfant d’aujourd’hui, est une histoire presque plausible. Ne reste plus au fond que l’intrigue et l’extravagance du capitaine Nemo. Le Sphinx de glace les ferait sourire s’ils connaissaient déjà les exploits des explorateurs qui sont allés jusqu’au pôle et n’ignoraient pas l’existence des stations scientifiques en Antarctique. Le rêve laisse la place à la seule aventure, qui pour certains semblera désuète. C’est l’auteur qui a dressé le nouveau décor du monde à la veille d’incroyables révolutions. L’Australie dépeinte dans les Enfants du capitaine Grant n’a plus rien de mystérieux en dehors peut-être des peintures des Aborigènes. Le monde n’est plus un terrain de découvertes. Et sa part la plus sauvage se réduit de jour en jour. Verne a eu le génie incroyable de conserver le caractère mystérieux et aventureux de ces conquêtes de l’espace, du temps, de l’impossible, de toutes ces techniques. Le Voyage autour de la lune fait sourire aujourd’hui autant que le célèbre film de Georges Méliès. Souvenons-nous que l’Histoire comique des Estats et empires la Lune (1657) de Cyrano de Bergerac ne sont plus lus que par une poignée de spécialistes. Arrivera-t-il la même chose à Jules Verne ? Qui le sait ? Mais j’en donnerai, moi, ma main à couper.

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Le Musée disparu, Hector Felicano, Folio Histoire, 544 p., 9,40 €.

Ce livre, le fruit d’une longue recherche, est remarquable. D’autres ouvrages ont paru sur la question, certains n’ont pas encore été traduits en français. Celui-ci, paru pour la première fois en 2008 chez Gallimard, a le mérite de consacré des chapitres des sujets très précis. Par exemple, j’ai trouvé particulièrement éclairant celui que l’auteur a écrit sur Adolf Hitler, qui était un amateur d’art authentique (je ne sais pas si ce fut un amateur éclairé…) qui vouait un culte à Rembrandt (un très beau film sur l’auteur de La Ronde nuit a été tourné en Allemagne en 1943 et c’était d’ailleurs un film remarquable) et à Vermeer, dont il a possédé L’Astronome (disons-le carrément, volé en même temps que Le Géographe, au musée du Louvre). L’autre chapitre que j’ai trouvé passionnant est celui qui intéresse la vie du célèbre marchand de tableaux Paul Rosenberg, qui a été dépouillé, malgré que les œuvres de sa collection furent cachées chez son ancien collaborateur et dans le coffre d’une banque : un charmant collègue a dénoncé le fait.
Ensuite, on apprend que les Allemands, dès la campagne de France, avaient déjà préparé un programme nourri de saisies de chefs-d’œuvre dans les collections publiques et privées. Il est singulier que le responsable principal de ces exactions, directeur de ERR (Einsatzstab Reichsleiters Rosenberg), se nommait Alfred Rosenberg – c’était l’idéologue de la culture nazie, auteur du Mythe du XXe siècle (1930). Si Hector Feliciano explique les rouages de ce pillage à grande échelle des musées et des biens juifs en France (comme dans une grande partie de l’Europe), mettant en relief les différends entre différentes instances nazies (Otto Abetz, l’ami de Drieu la Rochelle, ambassadeur d’Allemagne à Paris avait ses propres plans – mais l’ERR lui a saisi les deux œuvres d’art qu’il s’était chargé de séquestrer…), il nous raconte cette affaire en parlant aussi de manière détaillée des victimes de ces razzias.
Enfin, je ne saurais trop conseiller la lecture du chapitre intitulé « Le Rapport Kümmel », qui porte le nom de son auteur – Otto Kümmel – qui prévoyait la récupération par n’importe quel moyen des tableaux et des sculptures germaniques se trouvant à l’étranger, prétendument volés depuis le début du XVIe siècle ! En somme, les nazis, pour la collection personnelle du maréchal Goering et pour celles d’autres dignitaires du IIIe Reich ou encore pour le futur musée Hitler à Linz (sa ville natale), les nazis ont mis en place une organisation très bien organisée et financée presque jusqu’à la fin.

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