Bibliothèque de l’amateur d’art

par Gérard-Georges Lemaire

mis en ligne le 12/07/2012

La Situation des esprits, Jean-Philippe Domecq/Eric Naulleau, Pocket, 253 p., 9,10 €.

Réédité cinq ans après sa première parution, que reste-t-il de ce long dialogue, où l’art et la littérature s’entrecroisent ? Cela reste une conversation impertinente et riche d’enseignements sur la notion de modernité et encore sur les modes. Les principales victimes de nos deux pamphlétaires sont, dans le domaine de l’écriture, Michel Houellebecq, Marie Darrieussecq (Domecq n’aime pas les écrivains dont le nom se termine comme le sien !), Catherine Millet et, dans celui de l’art, Buren, Jean-Pierre Raynaud. Mais les deux compères remontent plus loin dans le temps et s’en prennent l’un à Beuys, l’autre à Warhol et à Robbe-Grillet. Ce jeu de massacre est parfois un peu trop indiscriminé et la question du goût, essentielle dans ce genre de débat, n’est pas beaucoup évoquée. Mais il est salutaire et même nécessaire que des observateurs avisés s’en prennent aux valeurs excessivement vantées. Baudelaire n’a-t-il pas fait un Salon satirique ?
De plus on ne peut pas reprocher à Naulleau de ne pas aimer la littérature : il a publié des auteurs formidables dans sa maison d’édition (L’Esprit des péninsules) et Domecq est un véritable amateur d’art doublé d’un auteur tout à fait comestible. Je retiendrai plus l’esprit que la lettre de cette affaire. Dommage que nos deux satiristes se soient acharnés sur l’auteur de Plate-forme – il y a tant et tant de fausses valeurs dans notre petit univers livresque et esthétique ! D’ailleurs les références ont un peu vieilli. Ce serait un livre à refaire, en moins copieux, tous les ans, comme un almanach.

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Max Jacob et Mademoiselle Infrarouge, Lina Lachgar, « Littérature «  Editions de la Différence, 96 p., 13,20 €.

En règle générale, je n’aime pas beaucoup les fictions avec des personnages réels et surtout célèbres. Mais dans le cas présent, l’auteur parvient rendre crédible (on sein de son récit) ces conversations improbables entre la visiteuse et admiratrice et le vieux poète reclus à Saint-Benoît dans le Loiret. C’est une ouvre émouvante, car on retrouve ses traits distinctifs : son catholicisme mystique et un peu surréaliste, sa juiverie, son humour et son goût de l’anecdote curieuse, ses lamentations sur l’âge, son penchant pour les remèdes de bonne femme et pour l’astrologie (il a fait un livre sur la question), mais surtout son idée de la poésie, excessive et drolatique. L’auteur joue aussi avec la figure pittoresque de sa logeuse, Mme Persillard et sur le caractère pittoresque de cette petite localité perdue. Le poète est bien là, tel qu’en lui même, dans cette fantaisie. Lina Lachgar a un certain talent et sait aussi où se trouvent les frontières de ce genre de jeu littéraire. Mais espérons maintenant qu’elle se libère de Max Jacob et qu’elle se prenne de passion pour un autre auteur !

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La Traversée du XXe siècle, Joseph Beuys, l’image et le souvenir, Jean-Philippe Antoine, Mamco/Les Presses du réel, 416 p., 36 euros.

Sans doute est-ce là l’édition d’une thèse. En tout cas, c’est indéniable, le livre de J.-P. Antoine est-il bien documenté et a été élaboré avec un grand esprit de sérieux, peut-être même trop de sérieux. L’auteur prend pas mal de vessies (esthétiques) pour des lanternes. Comme la plupart des théoriciens de l’art actuel, il multiplie à l’excès les citations et se lance dans des faramineuses digressions. Quand on lit, au hasard, «  La conception du souvenir selon Beuys repose sur la fabrication de lieux et d’images, à l’aide de prélèvements et de recompositions déjà identifiés chez Joyce et Duchamp » sic] on reste pétrifié d’effroi. On finit par plus savoir de choses sur Walter Benjamin et Gilles Deleuze que sur Beuys ! L’erreur que commet l’auteur est de ne pas avoir voulu comprendre que la recherche de Beuys n’a pas consisté à engendrer des œuvres, mais de se changer en œuvre vivante et de marquer s pensée par des actes artistiques de diverses natures. Sa pensée connaît des moments qui sont traduits dans des éléments concrets, comme ses conférences sur les tableaux noirs, qui sont tout sauf des tableaux comme on l’entend en général – même dans le sens le plus radical. C’est la trace d’un passage. S’il prend ses innombrables installations et objets pour des sculptures ou des agencements artistiques, il rate ce qui fait la force et l’originalité de ce grand créateur. Tout ce qu’il a pu faire doit se lire comme une bibliothèque où l’on voit défiler les éléments abstraits et concrets qui l’ont amené à produire telle et telle réflexion. L’art est la fondation de cette mémoire active. Qu’il se remette les idées en place en relisant Il Capello di feltro de Lucezia De Domizio (Charta) ou le catalogue de sa donation au musée de Zurich Beuys’s Voice, Mondadori).

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