Bibliothèque de l’amateur d’art

par Gérard-Georges Lemaire

mis en ligne le 12/07/2012

1/16, Nathalie Du Pasquier, Edizioni Corradini, 16 p., 5 €.

Artiste française de talent, Nathalie Du Pasquier vit et travaille à Milan. Sans doute parce qu’elle y a fait ses débuts comme designer au sein du célèbre groupe Memphis. Du design, où elle a excellé, elle est passée à la peinture et au dessin. Mais ceux qui connaissent son œuvre savent à quel point elle aime les livres et aussi à en faire. Elle aime d’ailleurs collaborer avec des écrivains de valeur, comme Simon Lane par exemple.
Ici, il s’agit de peintures réalisées spécialement pour cet ouvrage. Elle nous propose une collection d’objet qu’elle privilégie par-dessus tout et qui sont tous des objets familier d’une banalité écrasante. Mais dès qu’elle les regarde et les « reproduit » (c’est une façon de parler), ils deviennent passionnants, non pour leurs formes, leurs qualités, leur valeur d’usage. Mis en exergue par se soins, ils prennent une autre dimension. Pour moi, c’est l’un des plus intéressants peintres de nature morte de notre temps, même si l’expression « nature morte « peut sembler surannée. Elle ne peint pas des vanités, ni n’exalte la beauté cachée d’un fruit ou un pot comme l’a fait Chardin par le jeu de la peinture, mais nous apprend à voir les choses non dans leur essence, mais dans leur transposition dans la sphère esthétique. Elle procède à l’inverse de Francis Ponge qui cherchait l’essence du savon : elle fait d’un gobelet ou d’une tasse noire des figures dignes d’être méditées au-delà de leur appartenance à notre univers quotidien. Elle métamorphose ce presque rien en une jouissance artistique pure, avec une fine pointe d’humour et une pensée aiguë sur ce que nous sommes par rapport à ce microcosme sans qualités.

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Le devenir Debord, Alain Jugnon, Lignes, 64 p., 9 €.

C’est devenu une mode : les hommes (et femmes) politiques sortent des livres à la va vite avec leur programme ou leur « vision » de la France et du monde, peu avant les élections. Les intellectuels le font aussi dans la même précipitation. Cela a été le cas de Jean-Philippe Domecq (Cette obscure envie de perdre à gauche, Denoël). Alain Jugnon fait de même. Je ne suis pas sûr que le procédé soit bon car les élections ne sont pas – on peut le regretter – un moment d’intense réflexion. Au contraire, le discours a tendance à devenir de plus en plus efflanqué et médiocre à mesure que l’échéance électorale approche. Je ne peux que faire comme lui : rejeter tout ce représente Nicolas Sarkozy (mais faudrait rejeter d’autres personnalités politiques en lice à commencer par le soi-disant représentant de la gauche).
Prendre Guy Debord et sa Société du spectacle, rameuter Rimbaud, Nietzsche, Artaud, Lautréamont pour mener ce combat, est assez « romantique », mais n’a guère de sens car qui l’entendra ? Et est-ce le rôle des hommes de pensée, des écrivains, des artistes, de jouer ce jeu ? Beaucoup, parmi les meilleurs esprits, s’y sont brûler les ailes comme Faust, mais pour des raisons finalement médiocre : un succès éphémère. Doit-on imiter Nabbe et Renaud Camus, qui n’existe pas une seconde pour leurs « œuvres » respectives, mais pour leurs prises de position. Et que dire de Sollers, qui a épousé toutes des causes, de Marx à Jean-Paul II ? Alors, j’ai lu avec passion les pages fougueuses et tonifiantes de Jugnon, j’admire comme lui les écrits de Debord qui m’ont si fortement influencé en 1968. Mais je lui dis ceci : quand cet article, va paraître, son ouvrage n’aura plus lieu d’être. Il aurait été plus efficace de comprendre en quoi la Société du spectacle peut avoir un grand impact aujourd’hui dans un contexte déjà si différent.

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Marin à Terre, Rafael Alberti, présenté et traduit par Claude Gouffon, « Poésie », Gallimard, 384 p., 9,50 €.

Voici un poète espagnol qui est presque avec le siècle dernier (en 1902) sur la côte non loin de Cadix et qui a passé son enfance à Madrid. Il a toujours la nostalgie de la mer et le titre de son premier recueil publié en 1925, Marin à terre, qui a donné le titre de cette anthologie, en est la preuve. Mais la poésie d’Alberti frappe pour bien autre chose : sa simplicité, son goût pour les images simples et les sujets simples, le jeu sur les situations. Ses poèmes sont souvent es sorte d’instantanés en couleurs (la couleur joue un rôle notable dans ses compositions. Le dommage ici est qu’on ne puisse pas voir le texte original en espagnol, car tout ceci doit jouer sur la langue. En français, beaucoup de ces poèmes semblent niais et assez proches de Prévert. Cet attachement à la réalité la plus commune, la plus populaire, l’absence de rhétorique et de grands envols lyriques font de sa poésie un univers assez surprenant, surtout à l’époque où il débute, d’autant plus qu’il ne rejoint pas vraiment le camp des avant-gardes.

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