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[verso-hebdo]
07-04-2022
La chronique
de Gérard-Georges Lemaire
Chronique d'un bibliomane mélancolique

Sur les chemins du paradis, sous la direction de Regis Debray, Editions Hazan / les Franciscaines, Deauville, 208 p., 35 euro.

Le Paradis a existé dans bien des cultures avant les trois religions monothéistes. C'est donc une question très complexe, d'autant plus que l'antiquité gréco-latine a marqué une parenthèse notable en instituant les limbes, qui ne sont ni paradis no enfer. En fait, c'est la question de la vie après la mort que ce territoire théologique met en scène selon des codes éthiques. Lynda Frenois déclare d'emblée dans son essai que c'est un sujet « inconfortable ». Et c'est vrai. Elle met en avant le fait que dans la Thora la représentation était bannie (Décalogue, Deutéronome, l'Exode), ce qui est aussi le cas dans l'Islam, mais dans un cas comme dans l'autre avec de nombreuses et importantes transgressions (je songe, pour donner un seul exemple, à la calligraphie figuration dans l'Empire ottoman).
Le christianisme, qui se satisfaisait de signes emblématiques à ses débuts, a bientôt éprouvé le besoin de traduire par l'image les textes sacrés. A partir du XIIIe siècle, en Orient, le Mi'râj-nâmeh s'est imposé comme un modèle pour l'illustration de ces écrits. La poésie et l'histoire, d'abord en Perse, en puis dans tout le monde musulman, sont accompagnées de magnifiques enluminures. La notion de tapis-jardin se développe dans toutes ces cultures. Thierry Gillet explore l'idée du paradis avant le paradis. Les champs-Elysées peuvent être considérés comme un préambule au domaine paradisiaque. Cela peut se constater dans les poésies de Pindare. En règle générale, ce sont les Enfers qui tiennent lieu (paradoxalement) de contrepartie de l'Ile des Bienheureux. Il n'y a pas en réalité de lieu spécifique et c'est parfois au sein des Enfers qu'on a installé des lieux bienfaisants.
Par ailleurs, l'auteur de cet essai nous incite à relire le livre X de La République de Platon. Un valeureux guerrier mort au combat se retrouve dans une plaine, il peut y assister au défilé des âmes. Celles qui ont été mauvaises sont envoyées sur terre, et celle qui ont été vertueuses, au ciel. Selon Hésiode, dans la Théogonie et dans Les Travaux et les jours, il y a eu une période avant les différents âges qui était celle d'un printemps éternel. C'est la prémonition du Jardin des Hespérides où se rend Hercule pour voler une pomme d'or. Delphine Horvilleur s'attache à explorer le Paradis d'Adam et Eve, cet Eden qui est un lieu assez funeste puisque c'est là qu'Adam et Eve sont condamné à la vie des mortels (encore une histoire de pomme dérobée !).
Le judaïsme cultive la nostalgie du Jardin d'Eden qui exprime la fusion initiale. Une cérémonie à la fin du shabbat, l'havdalah, rappelle la « séparation ». Ce lieu de jouissance et d'unité n'est plus accessible car il est gardé par deux chérubins qui tiennent chacun une épée. Pour ce qui concerne l'Islam, sous la plume de Jacqueline Chabbi, Dans le Coran, les auteurs de mauvaises actions finissent dans un univers aride alors que ceux qui se sont bien conduits auront une vie heureuse, il n'est dit rien de plus. Ce n'est que plus tard qu'on développe la notion proprement dite de paradis, qui d'ailleurs a changé plusieurs fois de configuration.
L'hourisme coranique a forgé l'image d'un lieu de béatitude pour les hommes tel qu'il est encore véhiculé de nos jours avec toutes sortes d'esclaves à leur disposition (ce qu'on appelle de manière populaire « le paradis d'Allah »). Au fil du temps ce paradis devient plus sophistiqué, Allah y pénètre guidé par l'archange Gabriel à la suite de tous les prophètes. On a également inventé un paradis des martyrs assez tôt. Avec eux, sont admis, des théologiens, des philosophes, des mystiques. Quant à Jean-François Colisimo, il nous faire revenir dans l'Occident chrétien en évoquant « le Christ », paradis des vivants. Il s'interroge sur ce qu'il est advenu après la Chute. Et il le fait en recherchant les prémisses de cette affaire dans les civilisations qui ont précédé l'avènement du christianisme. Pour lui, la conception du jardin mène à celle du paradis. Il fait aussi une étude très pertinente sur l'évolution sémantique qui a conduit au terme paradisus en latin. Le passage de l'Eden au paradis, qui est un jardin des justes, s'affirme déjà dans les textes apocryphes. Cette recherche, parfois austère et pas aisée à suivre pour un néophyte, est néanmoins fondamentale.
Il propose au lecteur une analyse en profondeur de ce que peut être ce discours eschatologique qui a diverses sources. Loin de moi l'idée de résumer ce long parcours savant qui mériterait de longs développements. Mais c'est un excellent moyen de comprendre de quelle manière a pu évoluer un principe fondamental de la religion issue du Nouveau Testament. Rien n'est simple ici -, il suffit pour cela de lire ce que les Pères de l'Eglise ont pu déclarer à ce sujet. Nous nous enfonçons dans un labyrinthe de théories parfois contradictoires. Jean-François Colosimo nous procure les instruments indispensables pour être à même de comprendre comment les Cieux sont devenus accessibles à l'homme et au Paradis, ce qui complète pas donné naissance à une utopie qui est toujours de mise aujourd'hui.
Thierry Grillet se penche sur la question de la sécularisation du paradis. Le catalogue nous révèle une iconographie abondante et explicitée avec soi. Bien sûr le passage de Dürer à Pierre et Gilles peut surprendre et cette manie de vouloir intégrer des oeuvres contemporaines dans domaines ancien est un peu agaçant. Mais qui peut lutter contre la mode. Quoi qu'il en soit, ce catalogue est un ouvrage de référence qui doit figurer dans les bibliothèques des personnes soucieuses d'explorer un des grands sujets religieux dans l'iconographie, autant en Orient qu'en Occident.




Au coeur de la Monnaie de Paris, Jean-Noël Mouret, Gallimard « Découvertes » / Monnaie de Paris, s. p., 14, 50 euro.

La Monnaie de Paris n'est ni un monument ni une institution bien connue à Paris. Cela est sans doute dû au fait que ces derniers temps, elle a abrité des expositions diverses et variées, les unes discutables, les autres remarquables, sans une ligne de conduite trop précise. Et pourtant elle est une des créations les plus anciennes de la monarchie française puisqu'elle a vu le jour en 864, sous le règne de Charles le Chauve. Elle n'est pas installée seulement dans la capitale et ce n'est qu'en 1775 qu'elle a un seul siège à Paris. Elle est décentralisée pour la production de la monnaie en 1973 à Pessac. L'auteur nous narre son histoire avec clarté et nous fait découvrir le bâtiment qui l'abrite de nos jours, qui est un palais superbe - le palais Conti -, qui a valu à son architecte, Jacques-Denis Antoine, de nombreux éloges.
Les ateliers actuels s'occupent en général de la question des métaux, de la gravure des pièces, de la conception de l'outillage de frappe, de son évolution dans le temps, de la création des médailles, dont les décorations, des différentes techniques mises des oeuvres, mais aussi de la signification de ses productions pour lire l'histoire. Ainsi nous sommes en mesure de visiter ce lieu assez méconnu et d'en saisir les fonctions toujours actuelles, même si bien des choses, en toute logique, ont changé. Reste à savoir maintenant le devenir de ce lieu qui devrait avoir une dimension plus muséographique et plus pédagogique. En tout cas, ce volume est très complet et nous donne l'opportunité de découvrir ce palais qui nous pouvons contempler depuis les quais de la Seine, mais dont nous ignorons pas mal de choses.




Ce qui est au-dedans, Sam Shepard, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Bernard Cohen, préface de Patti Smith, « Pavillons poche », Robert Laffont, 256 p., 8 euro.

L'Espion qui est en moi, Sam Shepard, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Bernard Cohen, « Pavillons », Robert Laffont, 128 p., 14, 90 euro.


Sam Shepard (1943-2017) est plus connu dans son pays comme acteur et comme metteur en scène. Il a été aussi scénariste, musicien producteur et, bien sûr, romancier. En France, on le connaît surtout pour ses pièces de théâtre (il en a composé quarante-quatre). Il a des origines rurales : il est né dans l'Illinois. Son père était agriculteur (il avait servi dans l'aviation pendant la Seconde Guerre Mondiale) et sa mère, institutrice. Il a fait ses études secondaires, s'est diplômé et a quelque temps étudié les techniques agricoles. Il a commencé à se passionner pour la littérature et a aimé particulièrement Samuel Beckett. Il a été aussi conquis par l'école de peinture de New York et l'expressionnisme abstrait. En 1962, il a commencé à s'intéresser au théâtre expérimental et il a participé à plusieurs spectacles.
C'est au début des années 1970 qu'il s'est mis à écrire sa grande trilogie et qu'il écrit des scénarios de films importants, comme ceux de Paris, Texas de Wim Wenders et Zabriskie Point de Michelangelo Antonioni. En 1977, il a publié Rolling Thunder Logbook (en français sous-titré : Sur la route avec Bob Dylan). Il a été l'auteur d'un certain nombre de romans et de nouvelles ainsi que de chroniques. The One Inside (Ce qui est au-dedans) a paru en Amérique en 2017, l'année de sa disparition.
La préface de Patti Smith est brève, mais juste : il y a d'ailleurs des points communs entre les deux écrivains dans ce désir de se raconter et de transformer son existence en un récit d'aventure. L'ouvrage est construit d'une manière singulière : il est constitué de chapitres de longueur inégale (parfois ne faisant pas plus qu'une page) et surtout sans solution de continuité. Beaucoup de ces récits fragmentés se déroulent en Oklahoma. La vie sauvage qu'il privilégie se situe souvent entre le rêve et la réalité. Et les histoires qu'il narre sont elles aussi fragmentaires, mettant en exergue un moment choisi pour son étrangeté ou pour ce qu'il révèle d'une relation entre un homme et une femme. Ces morceaux de textes ne donnent pas cependant une impression de notes décousues. Quand on les parcourt, elles forment une constellation qui a une sorte de logique, chacun des éléments la constituant finissent par se recouper et donc à se compléter.
C'est un ensemble qui a sa poésie et surtout sa logique propre. Ainsi peut-on faire la découverte d'un univers qui, loin de se segmenter, s'enrichit sans cesse. Avec Spy of the First Person, devenu L'Espion qui est en moi, paru lui aussi en 2017, achevé avec la complicité de Patti Smith et de quelques amies pour la révision finale. Cette fois, Sam Shepard a opté pour une narration plus linéaire, en apparence, mais qui est fondée sur l'ellipse et un style bref et scandé. Il a voulu remonter aux origines (à ses origines) et ces pages sont avant tout des réminiscences. C'est là un ouvrage très court, mais très prenant, on l'auteur a tendance, comme toujours à se confondre avec le narrateur. C'est une oeuvre qu'on peut lire d'un trait et aussi avec une délectation véritable. Sam Shepard s'est beaucoup dispersé, mais sa quête littéraire, en premier lieu introspective, possède une réelle beauté. 





Notre correspondant sur place, Robert Perisic, traduit du croate par Chloé Billon, Gaia, 384 p., 23 euro.

Ce roman surprend d'entrée de jeu : le style de l'auteur fait songer au langage des jeunes gens de notre époque, mais de ceux des banlieues, mais plutôt du lycée Luis-le-Grand. Mais, en réalité, les choses sont un peu plus compliquées, car il transpose cette manière de s'exprimer qui est orale, et l'inscrit dans une forme d'écriture qui est plus traditionnelle et qui est celle du roman. C'est un peu déroutant au début, mais on s'y fait assez vite et même si l'on n'est pas séduit, du moins on se prend au jeu. Au début, le caractère picaresque du roman peut troubler le lecteur. Mais, très vite, il s'habitue à cet univers morcelé où passé et présent de confondent, dans une sorte de recréation d'une histoire qui a perdu le nord. Cela devient prenant et savoureux. On se retrouve, par exemple, au beau milieu de la répétition d'une pièce de théâtre inspirée par Bertolt Brecht (« La Fille Courage ») et des figures curieuses font leur apparition et se définissent.
On est entraîné dans un univers en perpétuelle mutation. Cette fiction est découpée en journées et le rythme de la narration est très vif. En réalité, l'auteur nous fait passer de l'ancienne Yougoslavie à la guerre qu'a provoqué son démantèlement, puis à sa reconstruction et son entrée dans la communauté européenne, comme si le chaos avait été une nécessité pour opérer cette métamorphose. Toutes ces relations nous font comprendre le sens de ces transformations, qui n'effacent pas tout à fait les stigmates des années révolues. Il faut noter que le livre prend ses racines en 2003, après le conflit violent entre des pays frères (sic) qui ont traversé des décennies sous la férule de Tito soudés les uns aux autres. De plus, c'est la date de son entrée dans la communauté européenne... L'équilibre qui a fini par se créer paraît des plus précaires. Dans ce tohu-bohu incessant, on assiste à cette résurrection d'un pays qui a un lourd poids à véhiculer encore (celui de la Seconde Guerre mondiale). Mais il existe des liens entre ces différents moments de l'histoire croate qui donne du sens d'un côté et engendre une confusion indéniable de l'autre. Je dois avouer que malgré cette concession au langage parlé, aux expressions de mise actuellement, d'une construction mal ficelée (volontairement), je me suis senti comme un fétu de paille emporté par ce courant puissant : l'auteur ne nous laisse pas reprendre notre souffle et cette manière d'écrire à une vitesse croissante, parfois vertigineuse, rien ne peut lui résister !
On sent sous l'écrivain qui joue la mode et les aspects déplaisant de notre modernité, un connaisseur très avisé de la littérature ancienne. Chaque journée est saturée d'événement où le protagoniste principal - un journaliste, non pas hasard - nous soulève des pans de cette société qui se régénère et qui s'efforce à tout prix d'échapper à ses féroces fantômes d'autrefois. Il y a quelque chose d'un peu rabelaisien (dans la forme, non dans l'esprit), qui rend cette sarabande des plus joyeuses et des plus fantasques, bien qu'elle puisse bien souvent avoir l'aspect mystérieux d'une sorte de danse de mort. C'est truculent et en même temps c'est d'un cruel réalisme. En somme, voilà un roman d'un genre assez nouveau que l'écrivain a su rendre digne de ses illustres prédécesseurs. A mon sens, c'est une authentique découverte - une révélation jouissive - qui nous éloigne de la production prolifique de notre littérature romanesque qui, à quelques exceptions près, est usée et banale.
Gérard-Georges Lemaire
07-04-2022
 
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