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[verso-hebdo]
05-09-2024
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La chronique de Pierre Corcos |
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Pérégrinations de la photo, Arles 2024 |
La bonne surprise de ces Rencontres de la photographie (jusqu'au 29 septembre en Arles) est sans doute nippone... Vingt-six photographes japonaises des années 50 à nos jours (Quelle joie de vous voir) s'étant vaillamment extraites de la tradition patriarcale, dans un très large éventail (comme les Japonais savent si bien les façonner !) d'approches esthétiques. Avec aussi les clichés superbes d'Uraguchi Kusukasu sur les plongeuses en apnée, ou encore ces photographies japonaises témoignant du cataclysme de 2011... Mais, par ailleurs, la photographie s'interroge sur elle-même aux Rencontres, sous la houlette de son directeur, Christophe Wiesner. Une question par exemple : convient-il de la mêler à d'autres langages ?
Qu'on le veuille on non, insérer la photographie dans un dispositif global comprenant d'autres images, beaucoup de textes, des objets, des enquêtes, des vidéos, etc. risque toujours de minorer, en la relativisant, la photographie, dans un festival qui lui est tout de même consacré. De plus, un effet de dispersion peut nuire à la saisie d'ensemble. Ainsi la grande exposition sur le graffiti Au nom du nom, en dépit de la brillante introduction d'Hugo Vitrani, offre une lisibilité faible à nulle par désordre, accumulation, et cette croyance optimiste que le visiteur, studieux, zélé, effectuera sans mal la synthèse et reconstituera le sens... Il en va du même risque de brouillage pour l'exposition Les vampires n'ont pas peur des miroirs, mixant différents médiums, sur la culture visuelle colombienne autour d'El Grupo de Cali. Mais, quand la signification est à la fois prégnante, actuelle et tragique (la traversée migratoire du Mexique vers les States), comme dans le terrible Voyage au centre de l'espagnole Cristina De Middel, alors la complexité du récit/dispositif pourra jouer comme valeur ajoutée... Si les photographies sont là seules pour constituer un reportage - avec un regard plus ou moins critique - sur différents thèmes, comme le Baroque du quotidien en Inde (Rajesh Vora), les variations chromatiques de l'eau à différentes profondeurs, Fleuves océan (Nicolas Floc'h), quelques fictions mystifiant le regard des Américains sur leur nation, Citoyens modèles (Debi Cornwall), la diversité de la flore alpine, Le Jardin d'Hannibal (Marine Lanier), etc., la fonction documentaire de la photographie se haussera par l'originalité des sujets. Ou par l'impertinence des modes opératoires (Manège fantôme de Mo Yi) ou encore par une évasion vers l'imaginaire (Les fermiers du futur de Bruce Eesly). On peut user de cette fonction d'archives fidèles, propre à la photo : une petite histoire du... repas ferroviaire, ou bien cette étrange mode vestimentaire fonctionnelle dans l'armée américaine ! Plus intéressante sera cette démarche conceptuelle visant à définir une réalité par le cumul systématique de ses représentations photographiques (collection Astrid Ullens).
Mais photographier reste aussi une façon médiate et esthétiquement reconnue de célébrer quelque être (ou objet) aimé. De l'exhausser, de l'exalter, mais aussi bien de tenter peu à peu de comprendre pourquoi et comment l'on aime cet être ou cette chose, et ainsi de mieux appréhender son propre rapport global au monde. Dans Belongings, la japonaise Ishiuchi Miyako (née en 1947) célèbre par la photographie différents objets associés à sa mère défunte (cf. Verso Hebdo du 11-1-24). Des vêtements, un tube de rouge à lèvres et même un dentier : la photo couleurs, minutieuse, vient à la place de l'objet, lui-même à la place de la mère, chérie et disparue. L'artiste photographie également quelques objets ayant appartenu à Frida Kahlo qu'elle aime tant, ou à des victimes de la bombe atomique. Le rapport au monde de Miyako consiste à « fixer sur le papier ce qui est invisible : le temps et les souvenirs », et l'on ajouterait : y faire transparaître son attachement... Ancien grand reporter de l'agence Rapho, l'allemand Hans Silvester, dans Viser juste, témoigne par ses photos innombrables d'un noir et blanc soigné de cette passion qu'il porte depuis plus de 60 ans à la pétanque comme jeu précis, étonnante gestuelle, discipline rigoureuse, et surtout petit théâtre provençal avec toute sa dramaturgie. Bien plus qu'une enquête, voici une célébration... Un humanisme empreint de bienveillance voire d'empathie commande l'objectif de l'américaine Mary Ellen Mark (1940- 2015), dont Arles nous offre une rétrospective exceptionnelle (Rencontres). Dans la ligne de Dorothea Lange, ses portraits des exclus de la société (pauvres, marginaux, prostituées, malades mentaux) les incluent vivement dans notre mémoire imagière, envahie par la surexposition médiatique des mêmes « winners ». Ses photos de jumeaux, de la famille Damm ou bien Le père Noël à l'heure du déjeuner restent des chefs d'oeuvre dans le genre... Le luxembourgeois Michel Medinger adore le charme suranné des cabinets de curiosités. Alors il les réinvente puis les photographie. Étonnant !... Vasantha Yogananthan, dans Le passé Composé, explore la Provence en amoureux de ses paysages, architectures et personnages qu'il magnifie grâce à un merveilleux parcours photographique et poétique. Une femme âgée, mystérieuse, apparaît de dos. On s'attache à sa solitude comme le photographe s'attache à ses pas... Résistant aux « déterritorialisations » de la modernité, au torrent glacé des métropoles, le chinois Lahem (L'odyssée du retour dans la ville natale) nous offre un hommage photographique à son cher village natal niché dans les montagnes du Jiangxi mais, sauf à être sublimé en essence de la Tradition, irréversiblement condamné à disparaître...
Pour Finir en beauté avec Sophie Calle, enfonçons-nous avec elle dans les cryptoportiques souterrains d'Arles où, dans une suintante pénombre de caveau, sa mise en scène exalte le pathétique rapport de la photographie avec la perte, l'effacement et la mort.
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Verso n°136
L'artiste du mois : Marko Velk
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