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[verso-hebdo]
23-05-2024
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La chronique de Gérard-Georges Lemaire |
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Chronique d'un bibliomane mélancolique |
Ernst Haas, Virginie Chardin, Photo Poche, Actes Sud, 144 p., 14, 50 euro.
Virginie Chardin nous relate l'existence de ce photographe autrichien Ernst Haas (1921-1986), qui a révélé très tôt ses dons pour son art (son père était lui-même photographe). Il a commencé par faire des reportages sur la Vienne en partie détruite par les bombardements et puis à voulu raconter le retour des derniers prisonniers autrichiens en 1949. Il l'a fait dans un sens qui n'était pas celui du documentaire, mais a voulu traduit l'émotion de ce moment émouvant pour les rescapés et pour les familles, surtout de ceux qui espéraient le retour d'un proche.
Ses clichés trouvent assez vite grâce à New York et il est publié par le magazine Life. Il a connu alors un grand succès. Il s'est rendu aux Etats-Unis en 1951, après un séjour très enrichissant à Paris, Il a documenté le voyage qu'il a fait à travers l'Atlantique et son arrivée à Ellis Island. Il s'est installé à New York a travaillé pour Magnum et, dès lors, il a beaucoup voyagé, en Europe, en Egypte, à Bali, à Bangkok. Il n'est pas un grand passionné du reportage en tant que tel et du journalisme pur, et il est parti très tôt à la recherche de son propre style. Il a ensuite fait la découverte de la couleur, ce qui a été une révélation pour lui. Il est allé vers une liberté d'expression la plus grande, tirant une poésie même des plus grandes métropoles modernes. Il a fait aussi des natures mortes.
Il a publié chez Life trois portfolios à partir de ses voyages à Paris, en Afrique du Sud et à Venise. Il a su transformer les rues de New York en de véritables oeuvres d'art. C'est-à-dire qu'il a eu la faculté de dépasser la simple fascination du spectacle offert par les gratte-ciels et par les publicités au néon en un champ plastique des plus étonnants. Par ailleurs, il n'a jamais cessé de faire des expériences techniques pour rendre l'espace urbain qu'il glorifiait encore plus surréel et attirant. C'est l'un des grands créateurs dans le domaine de la photographie pendant la période de l'après-guerre.
Bruce Gilden, Hans-Michael Koetzle, Photo Poche, Actes Sud, 144 p., 14, 50 euro.
Né en 1946 à Brookyn (New York), il a commencé à s'intéresser sérieusement à la photographie en 1960. Très vite, il a adopté un mode de création qui lui est non seulement très personnel, mais qui échappe aux canons de la beauté et même du simple réalisme. Bruce Gilden par en quête de l'insolite, de l'absurde, de la laideur même.
Il n'y pas une seule prise de vue qu'il ait faite qui ne soit surprenante et bien loin de ce que nous avons attendu de la photographie. Il capture avec son objectif les aspects les plus triviaux et grotesques des scènes de rue dans plusieurs villes du monde, Tokyo à New York, Il est parvenu à trouvé à Bogota, la veille des reines de beauté, des modèles qui défient les lois de l'harmonie. Il admit tout ce qui est ou alors il conserve la mémoire de zones urbaines particulièrement affreuses. En somme, il fasciné par l'envers du décor, ce que nous offre les périodiques, les affiches, les publicités. Son monde est un monde de ce que nous ne souhaitons pas voir. Bien sûr, c'est un parti pris qui pourrait donner lieu à quelques critiques car il ne prend en considération que des femmes disgracieuses et parfois repoussantes. Les disgrâces de la nature sont son terrain d'élection. Il est vrai que nous avons tendance à fermer les yeux et ne pas fois ces corps difformes et des cicatrices hideuses. Tous ces êtres ont droit de cité dans son enfer qui n'a rien de dantesque, mais qui serait ce que notre monde se refuse de voir.
Il s'est aussi appliqué à montrer la laideur de certains lieux qui sont fréquentés par tous, comme les plages, par exemple. Je ferai certaines réserves sur ce goût très prononcé pour l'hideux et le misérable, comme signe de ce que la société pouvait produite et tentait de dissimuler. Sans doute ces lieux et ces personnes existent bel et bien, hélas, mais en faire l'objectif d'une recherche artistique pendant toute une existence me paraît excessif. Il n'en reste pas moins que Bruce Gilden est assez doué, avec un esprit tourné vers le bizarre poussé à l'extrême et l'incongru. C'est sans aucun doute un excellent photographe, mais il s'est laissé ailler à suivre ses fantasmes qui rendaient plus ou moins cauchemardesque le monde réel comme une façon de montrer cet autre face du monde moderne.
Helen Levitt, préface de Jean-François Chevrier, Photo Poche, Actes Sud, 144 p., 14, 50 euro.
Helen Levitt (1913-2009) est née à Brooklyn (New York); En 1938, elle a visité une exposition des photographes modernes et a été particulièrement frappée par le travail de Walker Evans. Il s'agissait du travail qu'il avait fait en 1929, nous précise le préfacier, quand il avait travaillé pour pour la Farm Security Administration à l'instigation du président Roosvelt en 1929. Hele Lewitt l'avait secondé pour la préparation de cette exposition.
Elle a rencontré Henri Cartier-Bresson quand il est venu faire un séjour à New York. Ce dernier l'avait convertie à l'usage du Leica. Elle s'est alors installée à Manhattan. Elle s'est rendue au Mexique en 1941 et y a passé plusieurs mois. Mais son véritable centre d'intérêt a été de tirer ses sujets de la rue à New YorkElle s'est beaucoup intéressé aux enfants et à leurs jeux. Elle a eu une grande exposition au Museum of Modern Art de sa ville et a préparé un livre qui était prêt déjà en 1946, mais qui n'est sorti qu'en 1965.
Elle s'est aussi pris de passion pour les graffiti tracés à la craie et en a fait un ouvrage qui a paru seulement en 1965, A Way of Seeing. Pendant les années quarante, elle a commencé à considérer la rue comme une scène de théâtre et a fait de nombreux clichés d'enfants en train de jouer et aussi de leurs graffiti sur les murs ou sur le sol. Elle a aussi tenu à conserver le souvenir de scènes insolites, par exemple ces quatre femmes dont une tient un journal ouvert avec le titre en grand de l'avancée des alliés en Italie (1943).
Son univers est drolatique et tient à conserver l'esprit du réalisme lorsqu'elle photographie ces divertissements enfantins. Au début des années soixante-dix, elle a choisi de passer à la couleur. Mais l'idée de base demeure la même. Il n'y a pas que des enfants, mais aussi des adultes qui sont saisis à un moment où leurs attitudes ont quelque chose de spécial. Le fait est qu'elle a continué à faire la chronique de la vie new-yorkaise, dévoilant ses versants les plus affligeants, surtout les miséreux qui dorment sur les trottoirs. Mais dans l'ensemble, son oeuvre est plutôt joyeuse, même si les décors sont le signe d'une existence difficile dans les quartiers pauvres.
Elle a dès lors pris pour modèles des adultes, ne faisant qu'accentuer son journal de bord de cette cité mythique qui se révélait dans sa nudité dramatique (mais sans jamais donner dans le pathétique). Elle mérite vraiment d'être découverte par les amateurs de photographie, et pas seulement car elle a été une artiste au plein sens du terme,
Kafka. Un mondo di verità, Giorgio Fontana, Sellerio editore Palermo, 306 p., 16 euro.
Pour les lecteurs qui ont la faculté de lire l'italien, et aussi aux éditeurs qui n'auraient pas oublié que nous fêtons le centième anniversaire de la mort de Kafka, je tiens à recommander chaudement l'essai de Giorgio Fontana, qui vient de sortir voici peu. Une foule d'écrivains du siècle dernier et encore de nos jours se sont employés à examiner sous tous les angles possibles et imaginables le « problème Kafka », à commencer par son meilleur ami, Max Brod, qui a écrit un roman peu après son décès où il apparaît sous une autre identité et de se dédouble. Il y a eu I. B. Singer, Georges Bataille, Jorge Luis Borges, André Breton (qui le fait apparaître dans son Anthologie de l'humour noir en 1940 ), Elias Canetti, Maurice Blanchot, Claudio Magris, Roberto Calasso, Milan Kundera, Ivan Klima, W. G. Sebal, sans compter les essayistes et biographes, comme Marthe Robert, Claude David, Patrizia Runfola (qui a écrit un précieux Praga al tempo di Kafka), K. Wagenbach, sans oublier les philosophes comme T. W. Adorno, Gilles Deleuze & Félix Guattari... en faire la liste complète serait déjà l'objet d'un livre en soi !
Il n'y a pas un mois à Paris où ne sort quelque chose sur Kafka ! Je galère à peine ! Avec plus ou moins de succès, tous ont tenté de saisir l'insaisissable, c'est-à-dire l'essence de l'écriture de Franz Kafka. Ce qu'a entrepris le jeune Giorgio Fontana est une véritable gageure. Après avoir donné quelques indications sur la vie de Kafka, de manière assez lacunaire, il a surtout tenté de comprendre comment fonctionnait sa littérature. Et là, il a dépeint avec beaucoup de sagacité ce qui paraît être la marque de fabrique de cet écrivain hors normes. Il nous fait comprendre que l'écrivain pragois avait pour habitude de modifier l'espace où se trouvaient ses personnages, ou encore de dilater le temps du récit. Ce sont des observations essentielles. On découvre que l'univers qu'il dépeint est à la fois réel et irréel, toujours en proie à quelques modifications étranges qui rendent ses histoires toujours plus problématiques. Ses analyses sur sa façon de traiter les affaires de famille ou la situation du fils, qui sont chez lui des questions presque de nature violente. Il explore le déroulement du Procès, le roman le plus abouti car il ne manquerait qu'un chapitre, qui, à nos yeux, ne semble pas important.
Il est aussi vrai que Max Brod a rangé les chapitres dans un ordre qui lui paraissait logique, mais qui n'était peut-être pas celui voulu par l'auteur. Mais là, que dire ? J'ai trouvé admirable son étude du Château, qui est une oeuvre absolument ésotérique pour lui la découvre. La lecture qu'il a faite de ce livre particulièrement ésotérique est plutôt remarquable, car il parvient à mettre en évidence les visées de K., qui sont nécessairement déjouées.
Dans ces pages, il s'est révélé un excellent lecteur, capable de comprendre certains mécanismes de cette fiction assez bizarre et déroutante par définition. Giorgio Fontana fait encore l'analyse de quelques récits, et parle des dernières années de Kafka et de sa mort. En fait, il ne s'est pas orienté vers une sorte de conclusion. Au contraire. Il a voulu faire diverses expéditions dans le coeur de l'écriture de Kafka sans avoir la prétention d'être parvenu à dire tout ce qui pourrait être dit , d'abord parce que c'est impossible, ensuite parce que ce serait très vaniteux de sa part. Il est néanmoins parvenu à éclairer les curieuses machineries qui ont abouti à ces textes et surtout à ses deux premiers romans.
Je crois que Kafka lui-même s'est perdu lors de la rédaction de ces deux grandes oeuvres, car l'art romanesque requiert des qualités et des conditions dont il était dépourvu. Avec cette sorte d'infirmité, il a produit des pièces magnifiques, inoubliables, prenantes, qui, à plus de cent ans de distance nous touchent encore et ne sont pas devenus des « classiques », c'est-à-dire des pièces de littérature mémorables, mais désormais d'une autre époque. Giorgio Fontana est un guide capable de nous conduire dans ces labyrinthes narratifs. C'est là une qualité rare.
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Gérard-Georges Lemaire 23-05-2024 |
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Verso n°136
L'artiste du mois : Marko Velk
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