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[verso-hebdo]
12-09-2024
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La chronique de Pierre Corcos |
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Variations sur l'amour |
Émergence de l'Eros, du désir, et complications. Usure de l'amour, et séparation... Un film indien et un film espagnol méritent qu'on s'y attarde.
Dans son premier long-métrage, Girls Will Be Girls (Prix du public au Festival de Sundance 2024 et Grand Prix du Festival de Biarritz 2024), la cinéaste indienne Shuchi Talati, formée aux États-Unis, filme les premiers émois érotiques et amoureux d'une lycéenne modèle de seize ans, Mira (Preeti Panigrahi, également primée), choisie pour l'excellence de ses résultats et de sa conduite comme préfète d'un pensionnat strict, bourgeois et huppé du nord de l'Inde. Son père est pris par les affaires, Anila, sa mère, habite une résidence secondaire près du collège afin que Mira, sous sa pointilleuse surveillance, puisse y dormir et surtout étudier dans les meilleures conditions avant le difficile examen de fin d'études. Le double contrôle dont elle se voit l'objet joint à celui qu'elle doit exercer sur ses camarades n'empêchent pas Mira de tomber amoureuse du charmant Sri, fils de diplomate. Bouleversée par la puissance du désir, elle se donne crûment à lui, tandis que l'habile jeune homme, pour faciliter ses rencontres avec Mira, non seulement s'attire les bonnes grâces de la mère mais encore provoque en elle, esseulée et sans doute délaissée, un désir inconscient... Rivalité sourde entre la fille et la mère, puis dégradation rapide de l'icône de lycéenne modèle que représentait Mira auprès de ses camarades. Ils finissent par haïr la duplicité de celle qui n'hésite pas à dénoncer leurs écarts de conduite tout en s'y abandonnant sans vergogne. Et c'est finalement la mère qui va sauver sa fille d'une vindicte collective... Au thème classique de l'éveil du désir, traité ici avec une audacieuse crudité, s'ajoutent celui des relations très ambivalentes mère/fille, observées finement, et celui de la grande relativité des règles strictes affichées mais aisément transgressées (au point qu'on pourrait décrypter ici une parabole critique sur l'Inde de Narendra Modí). Le film nous rappelle la nécessaire solidarité des femmes dans le carcan indien patriarcal où les hommes, eux, se tirent toujours d'affaire. Mais Girls Will Be Girls ne se contente pas de traiter avec brio tous ces thèmes. Une sensualité, mieux encore une sensitivité de circonstance exaltent l'oeuvre. La remarquable science du cadrage de la réalisatrice, son art accompli des silences baignés de torpeur et habités de sourires radieux nous rappellent la grâce éminemment séduisante du cinéma de Satiajit Ray... À la condition que Shuchi Talati puisse elle-même s'émanciper de la référence autobiographique, toutes ces qualités stylistiques restent, pour un second film, prometteuses.
Trueba (pas David ni Fernando, mais Jonas) est un cinéaste espagnol, inspiré par Rohmer et Truffaut, pratiquant la légèreté grave, ou la gravité légère, avec une notable aisance. L'un de ses précédents films, Eva en août (La virgen de agosto) (2020), tirait des vacances la notion de vacance, et de cette vacance l'occasion à la fois d'une insouciante promenade émaillée de rencontres, et d'un profond retour à soi par le biais d'un journal intime. Légèreté grave... Dans Septembre sans attendre qui paraît être la suite d'Eva en août (nous retrouvons les mêmes acteurs), gravitant dans le milieu du cinéma et en couple depuis 15 ans, Alex (Vito Sanz) et Ale (Itsaso Arana), sans conflit visible ni cause indiquée, décident de se séparer et même de marquer leur séparation par une petite fête. Cette décision annoncée rend perplexe, laisse ahuri l'entourage (amis et famille). Mais également le spectateur... Si ce dernier s'agace de ne pas comprendre les raisons de cette décision, la légèreté d'une telle attitude grèvera son appréciation du film, l'intrigue lui semblera mince, peu crédible et la forme affectée. Mais si en revanche il passe outre, considère que c'est là un geste de provocation, une plaisanterie, ou peut-être simplement un film dans le film - comme certains éléments de la mise en scène le donnent à penser -, alors il se laissera sans doute charmer, séduire par cette pétillante et folle légèreté de ton au moment où, dans le réel en général, la visqueuse et sordide aigreur des ruptures vomit ressentiment et mesquineries... Il appréciera aussi, tellement présentifiée par le scénario, la société madrilène, si vivante, chaleureuse et sympathique, voire empathique (un des amis du couple se met à pleurer quand il apprend qu'Alex et Ale vont se séparer), la comédie optimiste, façon Hollywood des années 30, d'un remariage possible (le titre espagnol du film, Volveréis, signifie « vous reviendrez »), et sans nul doute cette périlleuse alliance de gravité réflexive (le père d'Ale, qui n'est autre que Fernando Trueba, cite les philosophes Soeren Kierkegaard et Stanley Cavell) et d'apesanteur cocasse... Septembre sans attendre commence par une chanson sentimentale, continue par un incessant babillage et se conclut en fête musicale. Mais une question demeure : la cruelle fuite du temps (le vieux film émouvant qu'Ale a retrouvé sur leur ordinateur), la crise de la quarantaine et l'amour qui se serait éteint peuvent-ils être, sans risques de facticité gênante, à la fois mobilisés en thèmes existentiels oppressants (après tout Ale fait des cauchemars) et traités ainsi de cette façon ludique et aérienne ?
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Verso n°136
L'artiste du mois : Marko Velk
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