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[verso-hebdo]
05-05-2022
La chronique
de Pierre Corcos
Le cinéma, le commun, la vie
Dès ses débuts, le cinéma ouvrait deux voies : d'un côté, une saisie documentaire du réel en action avec Louis Lumière (il parlait de « prendre la nature sur le vif ») et, d'un autre côté, aussi bien les truquages que la fiction avec Georges Méliès. Mais, dans les deux cas, ces vues photographiques animées donnaient, par le mouvement, son identité au cinéma (du grec kinema = « mouvement »). Et quand, par la caméra et le projecteur Pathé-Baby lancés dès le début des années 20 par Charles Pathé, le cinéma amateur grand public fut rendu possible, les gens ne se lassèrent pas de se filmer. C'est-à-dire de bouger devant la caméra (marquant ainsi l'écart avec la photographie), de filmer de préférence leurs moments joyeux (le mouvement et la joie entretenant des rapports intéressants), et de tenter parfois des ébauches de scénario. Ainsi, ces innombrables films amateurs reprennent à leur insu les origines du cinéma...

Le réalisateur, scénariste et caméraman français André Bonzel, ancien étudiant à l'Insas, école supérieure de cinéma à Bruxelles, le sait parfaitement, lui qui depuis toujours collectionne ces courts-métrages d'amateurs. Mais l'idée d'en faire la matière filmique de sa dernière réalisation, Et j'aime à la fureur, s'est concrétisée quand, à ce montage d'archives d'anonymes, il a imaginé adjoindre un commentaire autobiographique et réflexif, et un choix musical approprié (musique originale de Benjamin Biolay). Le résultat, un petit chef d'oeuvre, mérite qu'on aille vite le voir avant qu'il disparaisse de nos écrans, contraints semble-t-il à pratiquer un zapping de survie. Ce petit bijou-ciné naît de ce qu'alchimiquement Bonzel est parvenu à transmuer l'insignifiance répétée de ces bobines d'amateurs en un magnifique éloge du cinéma, porteur de mémoire, de vie, de joie. Comme dans l'excellent documentaire Retour à Reims (fragments) de Jean-Gabriel Périot (à vite voir également, mais là c'est le récit biographique et sociologique de Didier Eribon à propos de ses origines prolétariennes), il s'agit de parler de soi en montrant, par un montage illustratif d'archives, les autres. Soi par les autres. Émerge alors ce qui nous est commun... L'« être ensemble » (un Gemeinwesen dont, selon Marx, le capitalisme nous a éloigné), qui est aussi une réponse à la mort.

Dans Et j'aime à la fureur André Bonzel (né en 1961) nous raconte les moments significatifs de sa biographie au moyen de ces films amateurs, a priori sans intérêt, montrant la vie des autres. Or sa vie à lui fut blessée par des drames familiaux (un père qui ne l'a jamais reconnu, aimé, une mère malheureuse), des pertes cruelles (la mort, si jeune, de celle qui fut son premier grand amour, le suicide en 2006 de Rémy Belvaux, son ami et collaborateur, etc.). Et du coup, ce contrepoint tragique, douloureux, personnel - en évitant que monotone à la longue ne devienne ce défilé joyeux d'anonymes qui devant la caméra s'agitent - creuse une profondeur esthétique. Ce va-et-vient entre la gaîté et le désespoir tient aussi à ce que le commentaire d'André Bonzel libère des jets d'humour en forant le malheur. Les cinéphiles n'ont sans doute pas oublié son fameux C'est arrivé près de chez vous (1992), une fiction d'humour noir déguisée en hilarante parodie de l'émission de télé « Streap tease ». C'était avec Benoît Poelvoorde et Rémy Belvaux... Ici, le réalisateur s'amuse à nouveau en fouillant sa généalogie complexe, ornée d'ingénieurs et de scientifiques qui déjà prenaient plaisir à filmer. Et il s'amuse encore à nous raconter ses frasques amoureuses, érotiques (jusqu'à sa rencontre avec celle qui est toujours son épouse) avec une totale liberté de ton, révélatrice d'une génération que le « culturellement correct » ne concernait pas encore.

Dans le réemploi de films qui existent déjà (le « found footage » selon la formule anglaise), le montage doit être particulièrement soigné. Ces bobines d'inconnus, variées dans leurs thèmes, époques et gestuelles, mais où le mouvement reste on l'a vu omniprésent, requièrent en effet une chorégraphie d'ensemble. Par ailleurs, choisir telle ou telle courte séquence d'amateurs pour illustrer un épisode particulier de son histoire reste une prise de risque : quand Bonzel raconte comment il a vraiment souhaité une fois et concrètement la mort de son père, le spectateur voit à l'écran des paysans français joyeusement égorger et saigner un gros porc... Enfin, et c'est sans doute ce qui peut le plus nous émouvoir, le réalisateur a su donner un vibrant effet d'ensemble à la fois nostalgique (ces inconnus ont voulu arrêter le temps mais aujourd'hui sont morts) et euphorique. Il a su exalter un sentiment de joie de vivre par les mouvements anarchiques de ces inconnus, et le cinéma qui les a en partie suscités et accompagnés. Qu'importe après tout que ce sentiment de jubilation soit peut-être surjoué (on ne sait rien sur ces rires et clowneries d'inconnus devant la Pathé-Baby d'un cameraman amateur), que cette gaîté soit emphatique ? Qu'importe puisque l'amour est, dans l'histoire, présent partout. Liant un cameraman et les siens, le cinéma et le mouvement, et liant André Bonzel - il reprend les vers de Baudelaire : « ...et j'aime à la fureur/Les choses où le son se mêle à la lumière. » - à tout ce qui nous ressemble, à tout ce qui nous rassemble, un jour particulier et lumineux devant l'éternel. Et surtout devant la caméra...
Pierre Corcos
corcos16@gmail.com
05-05-2022
 
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Verso n°136

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