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[verso-hebdo]
20-10-2022
La chronique
de Pierre Corcos
Une désublimation subversive
Ni réaliste, ni socialiste le « réalisme socialiste » ! Cette doctrine en vigueur dans l'ex- URSS et ses pays satellites prônait en fait un art académique de propagande, édifiant et pontifiant, au service d'un étatisme bureaucratique totalitaire. Et s'il est un artiste qui l'avait vite compris, ce fut bien le photographe ukrainien Boris Mikhaïlov, né en 1938 à Kharkiv, et dont la Maison Européenne de la Photographie nous présente une vaste rétrospective des oeuvres (800 exposées en une vingtaine de séries, jusqu'aux plus récentes) : Boris Mikhaïlov - Journal ukrainien jusqu'au 15 janvier 2023. Mikhaïlov a photographié la laideur, la banalité, le prosaïsme morne du quotidien des Russes et, ce faisant, radicalement sapé l'iconographie officielle... Cette imagerie du pouvoir, glorieuse et grandiloquente, devait s'interposer entre l'oeil de l'« homo sovieticus » et la réalité ambiante. Mais, actes de résistance périlleux, les photographies de Boris Mikhaïlov révélaient un environnement désolé, consternant, un mixte de terrain vague et de blocs lugubre. Elles malmenaient aussi les codes figés de cette iconographie imposée : « En montrant dans mes photos une réalité inacceptable, je violais les canons de la photographie soviétique », commente l'artiste. Cette désublimation subvertit l'artifice et la mystification totalitaires. Elle se joint à un travail conceptuel critique et à quelques performances qui font de Boris Mikhaïlov un artiste contemporain notable et influent en Europe de l'Est. Tandis qu'aujourd'hui même la propagande russe travestit derechef l'invasion de l'Ukraine sous les fringants costumes d'une parade libératrice...

Il est tout à fait possible que de nombreux visiteurs ne trouvent pas une seule photographie rassérénante ou agréable dans cet ensemble, dont l'effet global peut être plombant comme un journal de guerre. Même lorsque l'empire soviétique s'est effondré, et lorsqu'un capitalisme sauvage a chaotiquement prospéré sur ses décombres, les photographies de Mikhaïlov montraient l'émergence d'une nouvelle laideur publicitaire, d'une vulgarité « new look », et surtout (éprouvante série intitulée « Case History » et réalisée en 1997-1998) l'effroyable misère des laissés pour compte à Kharkiv. Dans de grands formats en couleurs, ces SDF, femmes et hommes, exhibent, à la demande du photographe, leurs yeux larmoyants, leur bouche en ruines et leur corps livide, obscène, égrotant. Aucune imagerie supposément heureuse ne résiste au vitriol déprimogène du photographe ukrainien. Par exemple la série « Salt lake » (1986) montre en principe des baigneurs et baigneuses prenant la pose et le soleil sur de belles plages... sauf qu'il s'agit d'un lieu affreusement pollué et que les photographies ont la couleur des boues toxiques ! Dans la série « If I were a German » (1994), le photographe se livre (comme dans d'autres séries d'ailleurs, où un aspect notable de performance et/ou de mise en scène de son travail s'impose, mais en d'inégales réussites) à des scènes loufoques avec des amis revêtus... d'uniformes S.S. Comment justifier cette évocation d'inspiration dadaïste ? La mère de Boris Mikhaïlov est juive et, enfant, il a dans la panique dû fuir l'avancée effroyable des nazis vers Kharkiv... Par ailleurs le photographe n'hésite pas à exhiber sa propre nudité de la façon la plus minable ou ridicule possible. C'est peu dire que la « belle photographie » est totalement exclue de l'ensemble (après tout la photo documentaire est souvent anesthétique), même la laideur perd souvent ici de sa potentielle expressivité au profit d'une mocheté plate et piteuse. Les taches, les défauts de certains rendus sont même revendiqués par Mikhaïlov, déclarant : « La mauvaise qualité m'a servi d'outil de subversion ». Ne voit-on pas affleurer là, peut-être à l'insu de l'artiste, un principe de mort ?

La réponse est négative, parce qu'une réflexion alerte, une expérimentation, une créativité permanentes et un érotisme irrépressible émaillent la production de Mikhaïlov. Dès le début de sa carrière de photographe autodidacte, il s'était fait promptement renvoyer de l'usine qui l'employait, simplement pour avoir réalisé des nus de sa femme avec l'appareil qu'on lui avait confié. Contre le puritanisme et le sérieux mortel des régimes post-staliniens, l'irruption affolante de l'éros féminin vaut comme pulsion de vie. Les jeux de surimpression et de superposition photographiques (série « Yesterday's Sandwich », projetée au son de la musique des Pink Floyd), d'inspiration surréaliste par les télescopages, instillent entre les paupières de l'étrange et du tragique des gouttelettes d'humour. En jouant avec le bleu, le vert, le rouge, la couleur sépia, alternativement et comme couleur d'ensemble de séries photographiques, Mikhaïlov révèle aussi son intérêt pour les démarches picturales. En plus, le  « Sots Art », ce mouvement russe proche du Pop Art mais en plus critique, contestataire et joyeusement anarchiste (cf. la grande exposition qui lui fut consacrée à la « Maison Rouge » en décembre 2007) imprègne maintes expérimentations du photographe ukrainien. L'exposition, conçue en étroite collaboration avec le photographe, fourmille de remarques intelligentes, en ce que cette qualité recèle d'intempestif. En conclusion, ce Journal ukrainien n'a absolument rien d'optimiste, mais tout ce qu'il dénonce s'avère bien plus désespérant.
Pierre Corcos
corcos16@gmail.com
20-10-2022
 
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Verso n°136

L'artiste du mois : Marko Velk

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