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[verso-hebdo]
08-12-2022
La chronique
de Pierre Corcos
Le travail et le jeu
Aliéné, rationalisé à outrance, contraint par le besoin économique, soumis aux logiques du profit maximum, le travail est loin d'être un jeu... Le jeu, quant à lui, peut nécessiter une forme d'élaboration, des efforts. Mais, librement consentis, ils sont vécus dans la jubilation. Le jeu, devenu créatif, ressemble alors à une variété d'art réjouissante. Les deux spectacles qui suivent abordent clairement ces thèmes tout en distrayant les spectateurs.

Un bon job de et mis en scène par Stéphane Robelin (à la Manufacture des Abbesses) est le type même de spectacle drôle et apparemment inoffensif qui, à travers une caricature adroite, va profondément tourner le fer dans la plaie. La plaie de ce qu'est devenu le travail soumis à la surexploitation, au néo-management, aux déraisonnables contraintes de rentabilité et à ces innovations aberrantes de business(wo)men pour qui l'humain vaut encore moins qu'une variable d'ajustement... Voilà que pour éviter le burn out, Johana (excellente Sophie Volanthen), qui dirige une start up vendant des prestations à domicile dans le monde entier, trouve un nouveau concept : « l'homme à penser » ! Bien plus qu'un secrétaire particulier, cet employé sera l'équivalent d'un alias dans un ordinateur, soit un double complet de son mental. En mesure de gérer ses problèmes d'entreprise aussi bien que familiaux, il allégera sa charge mentale. Le jeune Raphael, embauché sur ce profil de poste, a finalement vendu... sa propre identité pour gagner sa vie. En menant jusqu'à l'extrême ce que le business peut exploiter chez un humain pour se rentabiliser, Stéphane Robelin - par ailleurs documentariste au fait des questions sociales - s'inscrit dans tout ce courant théorique et critique (cf. « Bullshit jobs » aux Éditions Les Liens qui Libèrent, de l'anthropologue David Graeber par exemple) sur la condition laborieuse contemporaine. Et, par la comédie, il trouve sa place dans toutes ces pièces brûlots sur l'aliénation au travail, comme celles, tragiques elles, de l'allemand Falk Richter ou, plus récemment, de l'argentin Guillermo Pisani. Il s'est agi pour Stéphane Robelin de « dépecer délicatement cette personne dite « morale » qu'est l'entreprise et les relations que nous entretenons avec elle pour « gagner notre vie » » (sic). Déjà, au début, l'intrusif entretien d'embauche et la langue de bois néolibérale de Johana indiquent aux spectateurs que le titre de la pièce est totalement ironique. Les péripéties quelque peu « boulevardières » qui suivent ont tout de l'enrobage rose et sucré de certaines pilules amères. De la même manière, les curieuses créations vidéo (signées Ludovic Lang) qui se succèdent en fond de plateau font un peu diversion par rapport à une situation actuelle et pénible que maints cadres supérieurs endurent dans le réel et non dans la parabole théâtrale. Au final Un bon job amuse, tape juste et fait réfléchir. En catimini.

Jusqu'au 4 décembre au Théâtre du Rond-Point, on a pu s'amuser avec un jeu littéraire dirigé et scénarisé par Hervé Le Tellier, conçu et interprété par David Migeot et Denis Fouquereau, et dont le titre était à rebrousse-poil du féminisme : C'est un métier d'homme... Dès qu'il est question de jeux littéraires, on pense évidemment à l'Oulipo. Pour celles et ceux qui l'ignorent, l'Ouvroir de littérature potentielle, l'OuLiPo - ce groupe de recherche en littérature expérimentale réunissant dès 1960 des écrivains et mathématiciens autour de Raymond Queneau et François Le Lionnais - inventait des jeux littéraires à partir de règles, de contraintes qui obligeaient les participants à des astuces créatives, les incitaient à faire des « coups », comme dans tout jeu complexe. Le spectacle en question, pur produit de l'Oulipo, démarre avec une formule qui en fait s'avère une matrice textuelle : « Mon métier consiste à descendre du haut de la montagne jusqu'en bas. À descendre le plus vite possible. C'est un métier d'homme... ». Nous allons ensuite avoir une déclinaison hétérogène de « métiers » où les différentes significations du verbe « descendre », sollicitées, donneront le buveur, le séducteur, le tyran, le professeur, etc., jusqu'au... terminateur de spectacles ! Ce jeu littéraire exige un travail de recherches, d'inventions dont les résultats, surtout quand ils se montrent insolites, inattendus, sont très drôles. Et cette drôlerie se renforce du comique de répétition, puisque la même formule (par ailleurs intempestive à notre époque) s'énonce à chaque « métier ». En outre, ces « métiers d'homme » donnent lieu à de cocasses mini-sketches et déguisements, où le sens comique des deux comédiens joue beaucoup dans la réussite du spectacle... Le public, redevenu enfant par le jeu, est ravi. Alors, là où, dans le travail, la contrainte imposée hiérarchiquement accable l'employé, ici la contrainte librement et joyeusement intégrée stimule la créativité du joueur et réjouit le spectateur...

Certains se demanderont peut-être si ces jeux littéraires sont de l'art. Hervé Le Tellier a suffisamment pris la question au sérieux puisqu'il a publié un ouvrage de référence pour y répondre : « Esthétique de l'Oulipo » (Éditions Castor astral - 2006). Si le jeu et l'art ne se superposent pas toujours (il peut y avoir dans le second un tragique, une gravité, une profondeur qui manquent au premier), leur friction, comme ici par le théâtre, peut à l'évidence produire de jolies étincelles.
Pierre Corcos
corcos16@gmail.com
08-12-2022
 
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Verso n°136

L'artiste du mois : Marko Velk

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