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[verso-hebdo]
11-05-2023
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La chronique de Pierre Corcos |
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Un humour bienveillant |
« La vie de chacun de nous, à l'embrasser dans son ensemble d'un coup d'oeil, à n'en considérer que les traits marquants, est une véritable tragédie ; mais quand il faut, pas à pas, l'épuiser en détail, elle prend la tournure d'une comédie », écrivait le philosophe Arthur Schopenhauer. Et sans aucun doute, le photographe américain Elliott Erwitt (né en 1928) s'est focalisé sur ces détails comiques saisis par son objectif, au pas à pas de la vie humaine, après avoir vite abandonné ses premiers clichés graves, proches de Robert Frank. Erwitt déclare en effet : « Il faut juste s'intéresser à ce qu'il y a autour de soi et se soucier de l'humanité, de la comédie humaine ». Alors, après avoir découvert au musée Maillol la grande rétrospective, riche de ses 215 photographies (à voir jusqu'au 15 août), consacrée à cet autre membre célèbre de la prestigieuse agence Magnum, saurons-nous changer notre regard ? Ce n'est pas certain, car le photographe mentionne également un état et une attitude qui nous font terriblement défaut dans le monde actuel : « La photo n'est autre qu'un état d'oisiveté et de contemplation intense qui aboutit à un bon cliché en noir et blanc », ajoute-t-il.
Si nous avions émis des réserves sur le manque de rigueur de la précédente exposition consacrée à l'hyperréalisme au musée Maillol (cf. Verso Hebdo du 6-10-2022), tel n'est pas du tout le cas pour celle-ci, conçue et produite en étroite collaboration avec Magnum Photos. Les commentaires, nourris et pertinents, la scénographie, logiquement pensée, les deux vidéos proposées, courtes certes mais très didactiques, viennent s'ajouter à cet espace « Fabrique » émouvant, dans lequel le visiteur découvre les objets (dont le Leica et le Rolleiflex) évoquant son studio new-yorkais. Le noir et blanc est pour les oeuvres personnelles, la couleur reste pour les travaux de commande. Cette exposition connaît un grand succès, et le visiteur repart avec une idée juste de la diversité des sujets abordés, classés ici par thèmes, en même temps que de l'unité de l'oeuvre. On pourrait sans doute l'identifier, cette unité, à un humour bienveillant du regard... Donc ni causticité (à la Martin Parr), ni critique politique, ni conceptualisation. Cette oeuvre photographique, consensuelle et charmante, peut sans dommages s'ouvrir à la publicité et à un photojournalisme dédramatisé. Elle déborde en films documentaires dans les années 70 et même dans des programmes comiques pour la télévision dans les années 80. Une telle carrière fort longue (sept décennies !) a donné au photographe l'occasion d'éditer une vingtaines de livres et d'obtenir une reconnaissance internationale. On regretterait dans ce travail une carence en recherches formelles si la dimension comique, tellement rare en photographie, n'offrait à Eliott Erwitt une distinction, un relief indiscutables.
Est-ce l'humour juif d'ailleurs qu'Elio Romano Erwitz, fils d'émigrés juifs russes qui a passé son enfance en Italie, a trouvé dans son milieu familial ? Ou bien est-ce l'humour de « nonsense » américain, qui déjà l'inspire lorsque, recruté par l'armée américaine en 1951, il sort ses premières photos spectaculaires et drolatiques ? « Je ne me lève pas le matin en me disant : je décide d'être drôle. Vous n'avez qu'à les regarder, les choses sont drôles », déclare Erwitt. En fait, son sens aigu de la dérision repère instinctivement les terrains et thèmes d'observations les plus propices : la plage, les chiens, la ville, les musées, les enfants, les naturistes, les jardins publics... Le comique naît de situations cocasses (le père et sa fille naturistes, pris de dos, se rendant à une cérémonie de mariage), de brouillage dans la perception (jambes humaines mêlées à des pattes de chien), de ressemblances fortuites (un héron et un robinet), de jeu avec les codes (stéréotype du Français en béret basque avec baguette de pain détourné par un dédoublement père/fils à vélo), d'historiettes suggérées (deux chaise-longues semblant avoir propulsé leurs occupants), de mimiques qui en disent long (le couple marié a surpris le regard narquois d'un célibataire), de scènes dérisoires (le couple de nudistes âgés sur un banc, elle qui tricote et lui terminant son thé). L'exposition est également jalonnée de maints autoportraits clownesques ou dans des situations bouffonnes...
Il n'est pas plus suffisant de définir Eliott Erwitt comme « humaniste » que comme « voleur d'images », comme on le répète à l'envi dans les médias, car il partagerait alors ces qualifications, vagues au demeurant, avec bien d'autres photographes (déjà la photographie dite « humaniste »... etc). Son style, présenté dans l'exposition, est avec raison défini comme un « mélange de spontanéité, de fraîcheur du regard, d'humour aussi, qui lui fait saisir d'instinct l'insolite, le drôle, le décalé ». Benoît Remiche, co-commissaire de cette rétrospective, a anticipé que ce regard humoristique et tendre devrait correspondre à une attente réparatrice du public, dans un contexte où la photographie est devenue synonyme de catastrophes et tragédies... Alors, quand le torrent d'images du réel aussi épouvantables que celles des fictions cesse de nous doucher, enfin tranquilles et à sec, nous prenons quelque plaisir à cette fraîche, légère et inhabituelle distance avec la réalité qu'on appelle humour.
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Verso n°136
L'artiste du mois : Marko Velk
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