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[verso-hebdo]
30-11-2023
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La chronique de Pierre Corcos |
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La pédagogie du noir et blanc |
L'omniprésente photographie numérique en couleurs semble avoir précipité dans les oubliettes de l'Histoire la photographie argentique en noir et blanc, ressentie désormais comme passéiste ou alors élitiste. Celles et ceux nés après la seconde moitié du XXe siècle doivent globalement se sentir un peu étrangers aux photos en noir et blanc... Pourtant l'axiomatique et l'esthétique de la photographie se sont constituées avec le noir et blanc. Et les plus célèbres photos dans cet art en procèdent majoritairement.
La Bibliothèque nationale de France demeure l'un des plus hauts lieux de ces oeuvres photographiques en noir et blanc. Entièrement conçue à partir de ses richissimes collections, l'exposition Noir & Blanc - Une esthétique de la photographie (jusqu'au 21 janvier 2024 à la BnF, site François Mitterrand) s'offre comme un parcours hautement didactique, tant au niveau des techniques, de la réflexion formelle que de la pratique. Une exposition qui va sans aucun doute interpeller, stimuler ou déranger tous ceux qui s'étaient définitivement installés dans les chatoiements de la photographie en couleurs. Plus de 300 oeuvres du XIXe siècle à nos jours mettant en valeur l'usage virtuose du noir et blanc chez plus de 200 photographes issus de 36 pays semblent conduire apodictiquement à cette conclusion : l'art photographique est en noir et blanc, cette interprétation de la réalité, à la différence de la couleur.
Les commissaires d'exposition (Sylvie Aubenas, Héloïse Conésa, Flora Triebel et Dominique Versabel) ont fait en sorte que la suite cohérente des salles épuise le thème (et parfois le visiteur...), le seul énoncé de leurs titres suggérant l'exhaustivité du parcours : Aux origines du noir et blanc, Objectif contraste, Page blanche, Noir dessin, Nuit noire Nuit blanche, Ombre et lumière, Magie noire, Nuancier de matières, Le noir et blanc en couleur. C'est tout juste si, à la sortie, on n'a pas l'impression bizarre d'être devenu achromatopse !... Plaisanterie mise à part, c'est en « voyant » de prime abord son sujet en noir et blanc, même si la photo était prévue en couleur, que le photographe a le plus de chances de réaliser une oeuvre ne se réduisant pas à une simple capture anecdotique. En effet le noir et blanc mobilise des éléments plastiques essentiels. En voici : la balance des valeurs, la découpe abstraite, le rapport contraste/nuances, le jeu des ombres et lumières, le graphisme. Et, à la suite de cette exposition, le conseil suivant devrait à tout apprenti photographe s'imposer : mettez votre appareil numérique en mode noir et blanc avant de réaliser votre photo en couleurs et vous y gagnerez en abstraction, qui est la vie profonde des formes... Dans l'exposition de la BnF le formalisme, décliné par une démarche analytique, est si puissant qu'il nous contraint à revisiter des photographies célèbres en rejetant au second plan, voire en refoulant, leur thème ! Mais il n'en va pas ainsi aisément pour des photographies de Brassaï, Cartier-Bresson, Willy Ronis, Louis Faurer, Weegee... Et parfois le thème résiste à ce biais formaliste du noir et blanc, comme par exemple dans la photographie Vincent au bol de Willy Ronis ou, mieux encore, Immigrants, Istanbul de Mary Ellen Mark. Bien entendu, elle ralliera tous les suffrages la photo en laquelle le charme du thème, de l'anecdote se marie parfaitement à la rigueur de la composition en noir en blanc. Ainsi Jeune fille au Leica d'Alexandre Rodtchenko ou Je n'ai pas de main qui me caresse le visage de Mario Giacomelli ou encore Tisza Szalka d'André Kertesz ou enfin Venise de Willy Ronis.
La variété et le mélange étourdissants des sujets, des pratiques, des époques, des signatures, des techniques dans cette exposition, justifiés par tous les axes formels que génère le noir et blanc, peut à la longue déboussoler le visiteur ayant l'habitude de s'installer dans une thématique prenante ou alors le style particulier d'un photographe. Cependant toutes les performances auxquelles on accède par les seuls jeux du noir et blanc stimuleront sa curiosité. Par exemple les extrêmes, le presque tout noir ou le presque tout blanc. Une photographie de Stepan Grygar Prague montre une masse noire et une tache blanche en bas à droite. En fait il s'agit d'un capot de voiture garée devant un massif d'arbustes la nuit... Notons une trouvaille scénographique de l'exposition : ce nuancier de photographies qui se déploie en un long ruban, des épreuves les plus noires aux plus blanches. Et vers le milieu, des variations de gris qui rendent étonnamment les effets de matière... Bien entendu le noir et le blanc gardent leur charge symbolique, même s'ils sont des opérateurs plastiques majeurs. Ainsi la photographie Snow on a Rock de Koichi Kurita peut symboliser le Yin et le Yang ou l'aisance, et composer aussi une oeuvre abstraite avec courbe. Mais on en oublie complètement qu'il s'agit d'un peu de neige sur de la roche ! Un film très intéressant montre, avec quelques exemples variés, comment cette dimension du noir et blanc intervient à tous les stades de la photographie, de la captation au tirage. L'exposition se termine par une sorte d'hommage au noir et blanc par la photographie en couleur : certains photographes utilisent de la photographie couleurs pour saisir des sujets... en noir et blanc ! En conclusion, tout blanc devant son tableau noir ou l'inverse, demeure un pédagogue exigeant de la photographie : le noir et blanc.
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Verso n°136
L'artiste du mois : Marko Velk
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