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[verso-hebdo]
14-03-2024
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La chronique de Gérard-Georges Lemaire |
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Chronique d'un bibliomane mélancolique |
Eric Vassal, Anaptyxes, préface d'Hélène Sirven, Collection de l'atelier, 294 p., 39, 50 euro.
Eric Vassal a choisi de faire feu de tout bois : il a utilisé plusieurs techniques, de la plus traditionnelle à la plus actuelle - de la peinture à la vidéo, en passant par de la sculpture et à la gravure jusqu'à la photographie-et les installations. Il a manifestement désiré élargir le plus possible Ce robuste ouvrage qui inclut de nombreuses reproductions donnant une idée précise de son parcours depuis le milieu des années quatre-vingt-dix jusqu'à nos jours. Il a donné ce titre à cette histoire personnelle car il signifie « déploiement ». Avant de nous faire connaître son aventure esthétique, il a tenu à nous parler de ses débuts dans la presse comme dessinateur. Il a été l'auteur de portraits et surtout de caricatures. Puis il est question d'une confrontation constante entre lignes brisées et lignes courbes. Il a ensuite décidé de construire ce livre selon les moyens qu'il a utilisés. Il a commencé par la peinture. Il nous présente une suite d'oeuvres baptisées Anamnèses (autour des années 2000) Il s'agit de supports en bois qui sont entaillés selon des principes différents et qui, ensuite, sont peints. Il peut, avec cette méthode de travail, imaginer un nombre important de possibilités plastiques. Les Anamnèses se sont développées, avec plus de variantes et aussi plus de contrastes de couleurs.
Après quoi, il est passé à un autre genre de recherche, qu'il a appelée Puzzle. Il a multiplié le nombre des techniques employées et a aussi voulu augmenter le nombre des points de vue. Il s'agit cette fois de formes abstraites de toutes sortes, qui sont agencées pour créer des cartes purement fictives, qui sont autant de moyens pour découvrir des territoires qui sont le fruit de ses rêveries. Là encore, les techniques se conjuguent pour tracer ces routes spéculaires. Par la suite, en 2006, il a composé des sculptures murales qu'il a nommées Graffiti qui sont le prolégomène à un autre type de recherche. Il n'y a plus de tableaux à proprement parler, mais des segments faits avec des planches peintes. Il fournit comme exemple un mur où s'alignent des avec des lignes brisées dont le nombre change selon chaque oeuvre. Il a décidé d'investir la troisième dimension en introduisant ses Alvéoles (des plans en bois où il a découpé des alvéoles qui sont alignées de manière régulière.
Par ailleurs, il a réalisé des formes désarticulées au sol. Il a aussi réintroduit des tableaux, comme, par exemple, ces pièces uniformément noires. Selon les lieux d'exposition, il a associé des Graffiti et d'autres séries dont il a déjà fait usage. En sorte que l'espace (celui donné par les lieux d'exposition) est investi par diverses modalités plastiques. Il n'a pas cessé d'enrichir son répertoire formel en développant telle ou telle de ses inventions. Ses Graffiti sont alors devenus des plans arrondis qui se déploient sur les parois. Ils sont en règle générale, monochromes (surtout rouges ou noirs). La combinaison de plus en plus de ses diverses façons de moduler des éléments issus de suites différentes l'ont conduit à développer des compositions en trois dimensions. On a le sentiment qu'il ne peut pas (et ne veut pas) s'arrêter à un moment de son expérience. Par exemple, il a utilisé d'autres matériaux, comme l'aluminium. Ses propositions se font de plus en plus complexes et il en est arrivé à ce qu'il a nommé Directions, où il a souhaité ne plus poursuivre la logique de toutes ces déclinaisons.
Le recours à la gravure (sur bois et sur papier) lui a permis une grande souplesse dans ses actes, lui consentant de changer sans cesse de registre. Et il convient de remarquer qu'il a tenu à mêler formes archaïques et formes modernes, comme si elles appartenaient à une culture identique. Il n'a fait que représenter notre propension à être émus et séduits par les arts primitifs que par les arts propres à notre époque. Le terme « mémoire » revient souvent dans ses propos et cela n'est que l'évidence : ses considérations artistiques n'ont pas de frontières temporelles. Le voilà qui a changé une fois de plus d'orientation avec les Graph, qui sont comme des écritures dont chaque « lettre » est reliée à l'autre dans un absolu désordre. Cette apparence a pour finalité de ne pas suggérer qu'il a conçu un langage traduisible, mais un langage qui nous parle par son expansion sur un plan. Il est passé un peu plus tard aux Tapis, puis au Textilhenge, le changement de texture étant lié à un changement d'intervention - ce qui est placé in situ devenant prédominant, c'est l'essence de ses réalisations. Il y aurait encore beaucoup à dire sur les problématiques d'Eric Vassal - la photographie ayant une place tout à fait particulière dans son cheminement. Je laisse le soin aux amateurs de son univers en évolution permanente (tout en conservant cependant ses lignes-forces). En tout cas, il ne fait aucun doute qu'il a pénétré depuis un certain temps dans la cour des grands !
Sintesi magica in Tamburello, vita e aneddoti, Tina Taglieri, Liceo Artistico Regionale San Stefano di Carnastra, 350 p.
Concetto Tamburello est d'origine sicilienne. Il a d'ailleurs consacré un superbe ouvrage sur le petit cimetière entièrement fait de tombes entièrement recouvertes de carreaux de céramique (Che sono, dove il « sonno della morte » incontra l'arte de la ceramica (Je vous avais parlé de ce livre passionnant il y a quelques mois : le Ministère de bien culturels ne s'est pas intéressé à ce lieu unique en son genre). Il a ainsi rendu hommage à son lieu où la vie lui a été donnée en 1947.
L'ouvrage débute par une histoire de San Stefano Carnastra, petit bourg qui de village de paysans et d'éleveurs est devenu par la suite un petit bourg de pêcheurs. Suit aussitôt l'histoire de la famille Tambourello. Si déjà au début des années soixante, ses dons pour le dessin et la peinture sont patents et si son registre est essentiellement réaliste, il faut néanmoins ajouter que ses premières oeuvres sont marquées par le surnaturel. Ce qui est le plus marquant dans ses débuts, c'est sa capacité à réduire le traitement des formes. Il a une disposition naturelle pour la synthèse et la concision. Enfin, le fantastique n'est pas absent de ses compositions. C'est une tendance qui n'a de laisse de s'accentuer. Il semble alors évident, dès le début des années soixante, qu'il ne va pas s'engager dans une voie académique. Et puis, ce curieux mélange de réalisme et de fantastique a donné à ses premiers dessins un caractère plutôt étrange.
Toujours pendant la même période, il a entrepris de réaliser des céramiques avec un indéniable succès, appelée minchiette. Les formes sont classiques, mais les figures sont déformées (d'abord blanches sur fond blanc, inspirés des peintures rupestres, puis noires sur fond rouges, inspirées par les vases grecs). Il a également fait de grands plats avec des signes ésotériques ou représentant, entre autres thèmes, une tauromachie. Au lycée, son professeur de dessin ne lui a pas indiqué la direction de l'académisme, au contraire, C'est ainsi que ses travaux ont pris des tournures assez curieuses pour son âge. Ses études secondaires terminées, il s'est inscrit à l'Académie des Beaux-arts de Brera à Milan. Sans complètement abandonner la figuration, il a eu tendance à s'engager dans la voie de l'abstraction (il n'est que de voir son Hommage à Dante de 1966.
Il a franchi un cap et ses personnages sont presque toujours souffrants et toute leur physionomie est déformée. Il éprouve le besoin d'une évolution et surtout d'une transformation. Pendant plusieurs années, il a tenté de se débarrasser des objets et des silhouettes humaines. Il a peint des apocalypses géométriques, qui n'avaient rien d'apocalyptiques, mais qui traduisaient cette nécessité de passer à une nouvelle histoire. Son Radeau de la Méduse de 1967, inspiré par le célèbre tableau de Théodore Géricault, prouvait qu'il était encore en train de s'interroger sur le devenir de sa recherche artistique. Les événements de 1968 n'ont fait que renforcer ses interrogations. Et puis est venu le moment de la décision : il a opté alors pour une architecture géométrique très méticuleuse. Il lui est encore arrivé d'associer cette géométrie avec des figures comme dans Une seringue pour de l'enfer deux ans plus tôt. En 1971, il faisait encore des portraits. Puis, il a décidé de renoncer à la peinture ou au dessin traditionnels. Il a eu l'envie de construire ses tableaux en utilisant la technique de la mosaïque, en utilisant toutes sortes de matériaux, qui ne sont pas forcément employés à cet effet.
Le Mandala de l'esprit, 1976° est un exemple de cette manière d'envisager un espace plastique qui pouvait échapper aux conventions encore en vigueur (mais sans verser dans l'expérimentation à outrance. Il est évident qu'il a pu finalement trouver son « écriture » qu'il n'avait plus qu'à affiner son projet. Pendant une longue période, il est revenu à la peinture en multipliant les formes abstraits (carrés, losanges, rectangles, cercles, etc.) qui qu'il a associés comme un long ruban qu'il a voulu rendre ludique par ses éléments, mais aussi par ses couleurs vives et tranchantes. Quand on revient un peu un arrière et qu'on observe avec attention ses toiles des années 1971-19872, on constate qu'elle montre des groupes de personnes dans un contexte mythique, et surtout que de larges plages colorées (souvent en rouge) servaient de fond à ces étonnantes foules qui appartenaient à un rêve mêlant l'agréable et le désagréable, la beauté et les dangers que supposaient ces attroupements quasi irréels. Peut-être a-t-il donné une consistance aux limbes des Anciens.
En 1981, il a fait son autoportrait abstrait avec mille nuances de bleus sur fond noir (il s'agit d'un grand tondo). Il a aimé passer d'un technique à l'autre (la céramique tient une place importante dans ses créations)et il a suivi une ligne de conduite surprenante car elle n'a jamais cessé de conjuguer cette abstraction radicale et cette figuration atypique. Tout ce qu'il a poursuivi est un mouvement de balancier - ce qui n'écarte pas la rigueur de son cheminement. Il a voulu avant toute chose être l'expression la plus déroutante de cette culture dont il est le dernier représentant en date. Ses « synthèses magiques » sont une sorte de leurre pour qui est un connaisseur de l'art moderne et même de l'art le plus récent : il n'a voulu ni appartenir à ce grand passé du XXe siècle qui a épuisé ses dernières ressources, mais n'a pas non plus aimé se jeter à corps perdu dans folle équipée dans une contemporanéité dont on ne saisit pas forcément les finalités. Il a donc façonné une autre façon de penser l'art où la tradition est incluse dans le registre de son présent perpétuellement changeant. Concetto Tambourello est un artiste qui n'a pas son pareil et qui, malgré cela, ne trace pas une rupture sans retour. Il a élaboré son individualité et nous l'a transmise sous cet aspect où le jeu est lié étroitement avec les très graves mythes lointains.
L'Horizon des événements, fragments d'une constellation, Christine Jean.
Cette publication donne l'impression d'un catalogue. Mais c'est plutôt une forme d'autobiographie qui inclut ses oeuvres et de réflexions, sans qu'un auteur nous présente ses travaux les plus récents. Pas de texte de présentation produit par un critique ou un historien d'art, pas d'essais ni même de poèmes par une femme ou un homme de lettres. Simplement quelques réflexions personnelles qui permettent d'éclairer ces ouvrages qui sont une nouvelle disposition de ses méditations. La seule chose qui la rattache à ses peintures récentes est l'ampleur de l'espace découvert.
On le remarque déjà dans ses carnets, qui introduisent des volumes verticaux ou des lignes d'écritures, des lignes qui s'enchevêtrent ou encore de grands motifs dont la couleur est (souvent le noir) volontairement déformée par l'ajout de l'eau. Il y a toujours chez elle cette fascination sur ces plans qui sont modifiés de manière continuelle par ces gouttes d'eau qui en altèrent la régularité. Les marées exercent une fascination dans son esprit : tout ce qui a été défini par le mouvement des vagues sur le rivage est aussitôt effacé et remplacé par d'autres paysages. Elle s'est employée à saisir cet instant fugitif qui n'a pu s'installé qu'un court instant. L'autre point qui est saillant dans toutes ces compositions est le grand nombre d'éléments qui apparaissent et qui, à ses yeux, sont des déclinaisons visuelles des arbres. Cela peut être imprimé sur cette surface de bien des façons et ses tableaux sont désormais des tensions entre des formes qui s'affirment avec plus ou moins d'intensité. Ce sont des champs de force, des plages spéculaires où se confrontent diverses intensités.
Plusieurs visions se proposent simultanément et donnent lieu à des conflits et des tensions qui, jusque-là, n'étaient pas le propre de son grand dessein picturale ou graphique. Elle peut dès lors aussi bien être tentée par la monochromie que par des contrastes violent. Parfois elle parle de « constellations » car les deux dimensions qu'elle investit sont des surfaces où sont disposés des signes en grand nombre qui procure la sensation d'un univers saturé de lignes plus ou moins parallèles évoquant des plantes formant une barrière pour l'oeil. Ce que je retiens de cet ensemble est que volonté d'aller vers des horizons violents et denses ayant pour but de marquer avec force le spectateur qui ne peut pas rester de marbre. Ses compositions ne sont pas faites pour la méditation, mais pour une relation intense et bouleversante.
Christine Jean a passé cependant ces mois un cap déterminant. Elle recherche désormais une beauté qui peut être une blessure. Tout ce que je sais est que ces créations ont été présentés au musée d'art et d'archéologie du Périgord à Périgueux dans le cadre d'un festival qui a eu lieu cette année. Depuis l'époque où elle peignait ces grandes toiles figurant les pages de la baie de Somme, qu'elle transformait en vue aérienne des plus abstraites (sans pourtant éliminer la présence de l'eau et du sable, des reflets sombres des nuages qui devaient surplomber les lieux qu'elle avait choisis, tout à cette époque la rapprochait de Turner, qui observait la nature sans séparer sa dimension paisible de ses fureurs impétueuses. Elle a parfaitement réussi ce passage magistral. C'est fascinant et véritablement prenant.
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Gérard-Georges Lemaire 14-03-2024 |
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Verso n°136
L'artiste du mois : Marko Velk
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