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La bibliothèque de l'amateur d'art
par Gérard-Georges Lemaire


Situations II, septembre 1944-septembre 1946, Jean-Paul Sartre, nouvelle édition revue et augmentée par Arlette Elkaïm-Sartre, Gallimard, 478 p.

Dans ce second volume des Situations, c’est le Sartre journaliste qui prend le pas sur le Sartre philosophe et théoricien. Sartre fait une description passionnante de « Paris sous l’Occupation »

(paru dans La France libre en 1944) dans toutes ses ambiguïtés et surtout dans ce spectacle presque surréel où tout semblait montré que tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes avec les Allemands un peu partout. Il parvient à faire comprendre comment la vie se vivait pendant cette période compliquée à tout point de vue. Sartre fait déjà preuve d’une qualité rare d’observateur du monde, qu’on n’a guère tendance à lui attribuer. Et elle ne fait qu’être plus évidente quand on lit les nombreux articles qu’il écrit aux Etats-Unis entre janvier et mai 1945 dans Le Figaro et Combat. Il y démontre un caractère très méthodique, presque méticuleux, abordant toutes sortes de sujets, du spectacle de la rue jusqu’au fonctionnement des syndicats en passant par l’organisation de la société et le système de production. Mais il peut s’arrêter sur des questions qui peuvent paraître secondaires ou futiles, mais qui sont extrêmement révélatrices. Il tient à souligner les grandes différences entre l’Europe et le Nouveau Monde. Il rend compte de l’industrie cinématographique d’Hollywood et fait une analyse sans doute trop brève mais tout à fait pertinente. En somme, quand Sartre lance Les Temps modernes, nous perdons le journaliste au profit de l’homme de réflexion et de l’homme de conviction. Il est intéressant de trouver à la fin de ce volume des petites pièces délicieuses et rares sur les bars de New York.

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La Comédie, Dante Alighieri, « Poésie », Gallimard, 1280 p., 17 €.

Parue entre 1997 et 2007 en trois volumes à l’Imprimerie nationale, la Comédie de Dante Alighieri (1265-1321) vient d’être rééditée en un seul volume dans la collection « Poésie » de Gallimard. C’est un événement important car cette traduction récente fait date. Personne n’aura oublié le travail, récent lui aussi, de Jacqueline Risset, qui a voulu traduire ce grand œuvre poétique rédigé en « langue vulgaire » dans un français aussi limpide que possible. Cette optique était tout à fait légitime puisque Dante avait l’homme qui avait souhaité, dans un essai demeuré célèbre (« De vulgaria eloquentia », 1303), qu’on écrivit les ouvrages importants dans la langue vernaculaire et non plus en latin. Mais, comme toute entreprise partant d’un point de vue systématique, l’entreprise de Jacqueline Risset avait ses limites, d’autant plus que ce livre est un jeu complexe de références et d’allusions de toutes natures, allant de la théologie à la politique florentine au début du XIVe siècle. Vegliante a tenté de rendre le poème dans toute sa complexité, mais sans aller jusqu’au point de non-retour, c’est-à-dire l’illisibilité. Au contraire, il donne au texte français une grande fluidité qui ne peut rendre au toscan de Dante son caractère, mais qui a au moins le mérite de ne pas le trahir. L’avantage de cette édition est aussi d’être bilingue, ce qui donne plus de liberté au traducteur : l’original est en regard et permet toujours une confrontation ou un approfondissement. Quoi qu’il en soit, ce travail mériterait d’être primé et salué comme une de grandes réalisations de ces derniers temps dans le domaine si délicat de la traduction. Remercions Vegliante pour les longues années passées à peaufiner ce texte qui donne à Dante une autre langue que la sienne, et une langue riche, intense, fluide et agréable à entendre.

 

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