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[verso-hebdo]
31-01-2019
La chronique
de Gérard-Georges Lemaire
Chronique d'un bibliomane mélancolique

Asen : Mémoire de fer forgé / art vodum du Dahomey, Suzanne Preston Blier, musée Barbier-Mueller, Genève, ides et Calendes, 12o p., 29 euros.

En dehors des collectionneurs très avisés et des spécialistes de l'art africain, on songe d'abord des objets rituels, des maques, des statues sculptées en bois. Mais il y a eu beaucoup d'oeuvre faites en métal. Ce sont d'ailleurs les plus anciennes que l'on connaisse, car elles ont moins souffert des injures du temps que les oeuvres en bois. Les pièces rassemblées ici appartiennent toutes au merveilleux musée Barbier-Muller de Genève. Il s'agit du culte rendu aux ancêtres. Malgré bien des différences, ces ouvrages ont des traits communs : les ancêtres sont assis sur une sorte de trône et sont parfois entourés d'objets ou de formes symboliques. Ils reposent sur une forme ronde, ovale, ou un plan incurvé sur les bords. Là, l'imagination du créateur a pu avoir libre cours. Mais le principe général de ce genre de représentations est conservé selon les lieux où ils ont été façonnées et aussi l'époque (toutes datent de la fin du XIXe siècle ou du début du XXe ).. on est immédiatement frappé par l'originalité des formes, l'incroyable imaginaire déployé par les artistes et par la densité de la composition. Cette forme d'art remonterait au XVIIe siècle, mais il existe fort peu de témoignage concret de cette datation. Dans les oeuvres qui nous intéressent, on constate l'influence des colonisateurs : on voit des objets communs ou princiers et des vêtements typiquement européens. Ce qui est le plus intéressant dans ce catalogue, c'est qu'on a montré des dessins d'objets ayant été utilisé dans cette vaste région de l'Afrique et aussi des exemples de vêtements et de cases. On retrouve ces pièces dans les sculptures qui sont présentées. Ce qui nous frappe le plus, c'est à quel point les artistes qui ont réalisé ces scènes en fer forgé ont employé un langage plastique qui nous paraît d'une incroyable modernité. C'est bien sûr une illusion d'optique, surtout quand on sait combien l'art africain a pu influencé l'art occidental, d'André Derain à Jean-Michel Basquiat, mais tout de même on ne peut s'empêcher d'admirer l'originalité de leur conception et du rendu de ces remises d'offrandes, qui ont tout de même un caractère très sérieux, puisqu'il s'agit d'un culte. Sérieux, certes, mais pleinement intégré à l'esprit d'une culture, qui n'est jamais dépourvue de fantaisie. Ce catalogue est absolument à consulter car il nous débarrasser de certaines idées toutes faits de l'art africain et nous permet aussi d'un percevoir à la fois là magie et l'humour qui lui est propre dans ce cas, qui ne brise pas l'idée sacrée qui en est la source : les ancêtres participent à la vie, et à une vie festive quand elle est belle.




Géricault - Cheval-peinture, Jean-Marie Touratier, Galilée, 88 p., 18 euros.

L'auteur n'a pas voulu écrire une biographie en coupe réglée de Théodore Géricault, ni même chercher de percer le mystère de la personnalité et de l'art de ce grand peintre mort trop jeune comme l'a fait Louis Aragon dans La Semaine sainte qui est un pur chef-d'oeuvre et aussi une recherche très précise. Non, il a préféré mettre en place, selon un dispositif narratif, les sentiments que lui ont inspirés les travaux de ce dernier. Il s'agit donc d'un texte libre, mais pas en roue libre : Touratier demeure très attaché à la vérité historique et aussi à ce qu'a vraiment été sa quête artistique pendant de longs mois. Il nous fait comprendre en quoi le cheval a tenu une place prépondérante dans son existence et dans sa création (il faut se souvenir qu'il est mort à la suite de deux chutes de cheval consécutives). Mais il nous relate aussi comment il a conçu son chef-d'oeuvre qu'est Le Radeau de La Méduse. Il rappelle qu'elles ont été les grandes émotions et les expériences fructueuses qui ont alimenté sa science de la peinture, son désir d'aller le plus loin possible dans la connaissance de la morphologie humaine, mais aussi de la psychologie des individus (d'où sa série des Monomanes réalisée en hôpital psychiatrique). Ce n'est pas le plus grand réalisme qui lui importe par le sens le plus aigu de l'humain, qu'il devait considéré ne pas avoir été exploré à fond dans le passé. C'est chez lui un mélange de connaissance scientifiques et des travaux pratiques. L'habilité de l'auteur est dans ce cas de savoir intégrer la meilleure connaissance possible de ce qu'il réellement accompli et un sens prononcé de l'ellipse et d'une certaine forme de poésie pour la rendre sous l'apparence d'une fiction qui procède par fragments. Il nous raconte le scandale qu'a été la présentation publique du grand tableau au Salon de 1819. Il a fait injure aux plus traditionnalistes, mais aussi à David et à sa clique néoclassique. Il a transformé le cours de l'histoire de l'art français. Malheureusement, il meurt cinq ans plus tard, sans avoir pu donner toute la mesure de son génie. Le livre de Jean-Marie Touratier nous introduit à ce que peut être une quête picturale qui se révèle un défi aux canons en vigueur, au bon goût, à l'esprit d'une époque ; Il sait nous dire comment il a su traduire un tragique événement d'actualité en un événement qui bouleversera la pensée esthétique de son siècle. C'est d'une lecture impressionnante et jouissive.




Nous autres réfugiés, Hannah Arendt, traduit de l'anglais par Danile Orhan, Allia, 48 p., 3,10 euros.

C'est un tout petit essai. Mais il n'en est pas moins important. Il a paru dans le périodique The Memorah Journal en janvier 1943 aux Etats-Unis. Sans doute l'auteur n'a-t-elle pas pris la mesure de la portée de ce qu'elle a alors écrit, car personne n'a encore pu avoir conscience de l'ampleur de la destruction systématiques des Juifs qu'on a appelé la « solution finale ». La conférence (secrète) de Wannsee (aux environs de Berlin) qui a eu lieu le 20 janvier 1942 où se sont réunis le général Reynard Heyrich, le général Heinrich Müller et Adolf Heichmann, le colonel Eberhard Scöngarth, le major Rudolf Lange et le major général Otto Hofmann, ainsi que certains représentants de l'Etat. Hitler avait chargé Heydrich de planifier l'extermination des Juifs d'Europe et de Russie. Il s'agissait pour tous ces responsables de mettre en application une décision prise en haut lieu. Et ils se sont montrés très efficaces et ont pu bénéficier de la pleine coopération de l'industrie allemande. Cette réunion n'a pas été filmée et il ne nous est parvenu que des bribes d'enregistrements. Le peuple allemand ne devait pas connaître la dimension wagnérienne de ce projet létal. Au début, il s'agissait de faire partir les ressortissants juifs et, étape par étape, les nazis en sont venus à mettre en oeuvre leur disparition physique ; et cela est devenu l'un des principaux objectifs de la guerre. Hannah Harendt, comme sans doute la plupart des Juifs exilés, devine déjà qu'il se passe quelque chose de terrible à l'Est, mais ne connaissait en aucun cas son application généralisée. Elle s'interroge sur le statut de « réfugiés » qui lui est attribué ainsi qu'à ses coreligionnaires. Elle se considère comme une immigrée. On pense d'abord que cette nuance dans les termes n'est pas très importante. Mais elle analyse l'optimisme qui découle de la sensation de s'être tiré d'un assez mauvais pas. Il incite à l'oubli. Mais le passé finit par revenir sous une forme ou sous une autre. La conséquence est une incapacité à se forger une idée du futur et de ses idéaux. Ce profond malaise est la conséquence de la volonté d'assimilation (être Allemande, dans son cas). Quand le lien social se brise, il ne reste plus grand chose. Bien sûr, toutes les possibilités sont ouvertes. Mais beaucoup de Nations européennes ont banni à leur tour les Juifs tentant de fuir. L'Histoire a cette fois rompu sans appel avec l'histoire du judaïsme.




Scandale de la vérité, essais, pamphlets, articles et témoignages, Georges Bernanos, édition présentée par Romain Deblue, « Bouquins », Robert Laffont, 1376 p., 32 euros.

Très étrange personnage, des plus difficiles à cerner, que Georges Bernanos (1888-1948), qui a été toute sa vie un catholique ardent, mais qui a aussi pris la défense de la commune de Paris ! Il a été militant à l'Action française, s'en est détourné un moment, est revenue vers cet organe des factieux antisémites et monarchistes, pour rompre définitivement avec Charles Maurras en 1932. Il est resté antisémite jusqu'au milieu des années trente (on le constate dans La Grande peur des biens pensants de 1931-1948), mais a fait ensuite amende honorable. Patriote jusqu'au fond de l'âme, il a combattu pendant la Grande Guerre et a été blessé plusieurs fois. Mais quand éclate la guerre contre l'Allemagne, il s'exile au Brésil (où il rencontre Stefan Zweig et ne rentre en France qu'en 1945. Il qualifie Pétain de « vieux traître  », fréquente les milieux gaullistes en Amérique du Sud, soutenant la résistance. Quand il revient à Paris, il est dégoûté par l'épuration. Cette longue parenthèse de l'autre côté de l'Atlantique lui a inspiré des essais de caractère politique, dans le sens large du terme. La lettre aux Anglais, qu'il publie a Rio de Janeiro en 1942 et vraiment très saisissante : il ne considère pas les choses d'un combat de la démocratie contre la barbarie, mais plutôt d'une tradition liée à l'histoire d'une civilisation contre tout ce qui veut la réduire à néant. Si le ton est sérieux et parfois des accents dignes de Bossuet, Bernanos n'abonde pas dans la rhétorique et encore moins dans le pathos. Dans la dernière partie de son essai, il s'adresse Franklin Delano Roosevelt, pour l'inciter être l'ultime rempart contre cette lame de façon risquant d'emporter la culture, la foi et la liberté sur son passage. Il faut noter qu'il a publié ce texte avant l'attaque japonaise sur Pearl Harbour. Il ne devait pas ignorer que le président américain aurait été favorable à une intervention militaire, mais que ses électeurs n'étaient pas encore prêts à le suivre. Pour bien comprendre l'était d'esprit qui guidait la démarche intellectuelle dans laquelle il se trouvait alors, il fait se remettre en mémoire le livre qui a le plus surpris et qui se trouve au début de cette abondante anthologie : Les Grands cimetières sous la lune, paru en volume en 1938, après avoir été publié en feuilleton dans la revue dominicaine Sept, comme « témoignage d'un homme libre ». A Palma de Majorque depuis 1936, il assiste à la révolte du peuple espagnol con il pronunciamiento du général Francisco Franco le 18 juillet de cette même année. Et il est loin d'adopter les idées de ses amis catholiques et d'extrême-droite : il défend la République espagnole ! Il finit de rédiger son ouvrage en France en 1937 et quand on le fait paraître, il provoque des réactions très violentes. La première édition est épuisée en deux semaines ! Il n'a pas fait un choix idéologique : il a simplement désiré défendre l'honneur des hommes. Après quoi, quand le conflit mondial survient, il prend fait et cause pour la libération de la France de l'occupant allemand, mais aussi de la clique de Vichy. Il y a dans ce recueil un libre bien moins connu de lui, Le Chemin de la croix des âmes, rédigé au Brésil de 1943 à 1945 (il n'a paru en France qu'en 1948). C'est une méditation d'un homme qui observe la guerre de loin, comme peuvent le faire les habitants du grand pays où il a trouvé refuge ; cette distance n'est pas seulement géographique, elle est aussi spirituelle et lui permet de s'interroger sur ce qui pourrait bien sortir de bon de ce désastre. Il compare l'homme français catholique, qui ne s'appuie plus sur l'épiscopat, mais sur les paroles de L'Action française qui le supplante et l'homme nazi, l'antithèse le l'homme chrétien. Il ne cesse de s'interroger sur les atrocités commises et sur ceux qui les ont justifiées - même des hommes d'Eglise (mais pas Pie XI). Oui, vraiment un curieux homme que celui-là, qui laisse encore perplexe aujourd'hui, car il semble toujours avoir une face de Janus, même s'il prend fait et cause pour la justice et la bonne morale. J'espère avoir l'occasion de revenir dans un numéro suivant sur sa biographie de Saint Dominique.




Insectes sans frontières, Guido Ceronetti, traduit de l'italien et postfacé par Samuel Brussell, Editions du Cerf, 206 p., 15 euros.

Pour ne pas oublier la mémoire, Guido Cerenotti, traduit de l'italienne par Béatrice Vierne, Editions du Cerf, 112 p., 12 euros.


Non, ne vous faites pas l'idée qu'avec Pour ne pas oublier la mémoire qu'il s'agisse là d'un traité d'histoire de la philosophie (comme le remarquable essai de Yates) qui nous rappellerait comment on envisageait la mémoire aux temps antiques et pendant le Moyen Age. Loin s'en faut. A l'époque où nous vivons, nous sommes confrontés à la mémoire électronique, plus efficace que la mémoire d'être humain, mais qui est encore loin d'avoir sa subtilité, car elle véhicule avec elle des odeurs, des sons, des réminiscences connexes, des associations d'idées et d'images aussi. Il est étrange que nous soyons en même temps confrontés à une maladie qui existe depuis l'aube des temps, mais qui fait peur car elle se généralise à cause de notre longévité récente et aussi parce qu'on lui a donné un nom -, un nom qui fait peur : Alzheimer. Il existe des centaines de formes de mémoire et chacun de nous en possède plusieurs ou, tout du moins une. Allen Ginsberg, m 'avait toujours surpris par son étonnante mémoire et sa précision. Il m'a expliqué que dans chacune des situations vécues, il associait un nombre limité d'éléments lui permettant de restituer la chose dans le temps et l'espace. C'était un de nombreux moyens mnémotechniques imaginables. De plus la mémoire est d'abord dans l'esprit de l'auteur la vaste et labyrinthique construction d'une culture. Les dictatures sont les ennemies de la mémoire (quoi que, je pense qu'elle joue aussi sur ce registre en le faussant). Cerenotti pense qu'il faut les combattre sur ce terrain. Ce qui est étrange dans ce livre si divertissant et si stimulant qui nous parle de la longue tradition de Eglise aussi bien que d'Einstein, c'est de le voir se conclure par une remarque insistante sur l'apprentissage de l'alphabet car il semble soudain préoccupé de la perte de la langue devant un fut qui s'en débarrasserait au profit d'un autre langage qui serait peut-être celui de l'électronique. Il en appelle donc à un autre combat ! Plus pour des idéaux, mais pour la défense de la mémoire ! Ces « pensées du philosophie inconnu » d'Insectes sans frontières ont tout pour déconcerter. Ce n'est pas de la philosophie (dieu nous en garde) dans le sens classique, mais pas non plus de l'anti philosophie. C'est une démarche qui s'avère et se revendique inclassable. En un certain sens, c'est quelque chose qui a de profondes racines dans la culture italienne. Qui sont les grands philosophes italiens du siècle dernier ? Croce, Gentile ? Mais qui, vraiment ? Et pourtant la péninsule a donné de grands hommes et de grandes femmes, qui n'ont pas oeuvré selon les codes d'une discipline bien définie. De hautes figures se sont distinguées dans des genres impurs (si je puis dire) car à la croisée des chemins entre la littérature et la pensée. Ils ont tous choisi des chemins de traverses ce qui fait qu'il y a peu de très grands romanciers (il n'y eut que de grands poètes), au sens propre du terme, mais tout de même un bon nombre de grands écrivains. Guido Ceronetti fait partie sans conteste possible de cette catégorie. Et c'est ce qui fait le charge de ce qu'il écrit, bien peu classable en vérité, mais qui finit par être rêvé par un auteur qui serait un peu Calvino et beaucoup Borges. Ce livre est conçu comme un traité de Cicéron, avec des chapitres numérotés, chacun abordant un sujet défini. On pourrait aussi pensée à la manière de cataloguer leurs écrits par les auteurs d'aphorismes. Mais il n'y a pas d'aphorismes, que des réflexions qui surgissent au détour d'une page. Mais ces dernières sont atypiques : elles s'écartent des sentiers battus pour aller là où tout est devenu improbable. Il y a ici un humour qui est problématique : on ne sait pas quand exactement l'auteur se moque de nous ou de lui (ou des deux la fois). C'est un anarchiste, mais pas un idéologue de la chose. En fait, il nous glisse dans le creux de l'oreilles des pensées profondes et une vision du monde qui n'est pas franchement agréable attendre mais qui est quand même drôle. D'autre fois, il se moque vertement de l'esprit de sérieux qui sous-tend toute bonne philosophie, qui ne lit pas, mais se traduit, après bien des épreuve, avec une sorte d'arrière-goût théologique. Il faut commencer par perdre son latin, pour le retrouver - si Dieu le veut ! Pas de système donc, mais une manière de pénétrer les choses de biais, comme si l'intelligence était prise revers. On s'amuse beaucoup lire et on s'amuse souvent de ce qu'il nous chante ici. Mais certaines phrases ont un poids et permet de révéler des intuitions enterrées au fond du cerveau. Derrière de goût prononcé du jeu, Guido Ceronetti se démontre un être cultivé, intelligent, d'une grande finesse capable de nous placer devant des questions véritables. En fait c'est une invitation au voyage dans le temps de la pensée et des penseurs, mais en prenant toujours des chemin de traverse : c'est ainsi qu'on apprend à entrer dans la sphère du monde de la connaissance et de la métaphysique. Mais avec la volonté d'en découdre avec la sacro-sainte logique et les idées reçues béatifiées.




L'Effondrement, Zolàtn Szabò, traduit du hongrois par Agnès Jàfràs, préface de Gyulia Sipos, Exils, 288 p., 18 euros.

En janvier 194o, un jeune étudiant hongrois arrive à Paris grâce une bourse d'étude qui lui a été octroyée. La guerre est déjà déclarée, mais rien ne se passe encore en France. Le 1o mai, il entend retentir les sirènes. Puis il sort dans la rue et lit dans le journal que les Allemands ont attaqué les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg. A partir de ce moment, il consigne par écrit non seulement le cours des événements, mais aussi comment la guerre est perçue du côté des Français. Le narrateur vit ces événements de loin, comme s'ils se passaient ailleurs et même loin, avec d'abord la confiance dans la victoire, puis peu à peu la mise en alerte de la Patrie, et enfin les rumeurs les plus folles sur la situation du front, qui est de toute façon mauvaise ! On pense d'abord que les Allemands veulent prendre Calais pour envahir sans attendre la Grande-Bretagne. Et la peur saisit les habitants de la capitale après des jours et des jours d'attente un peu inerte. Ils fuirent en masse vers le Sud. Et notre héros prend une bicyclette et se met en tête de rejoindre Tours, où aurait été transféré son consulat. En chemin, on lui fait changer d'idée et il se retrouve Bordeaux. Son consolât est encore déplacé et il renonce pour se rendre à Bordeaux. Et là, dans l'incapacité de trouver un visa pour rentrer chez lui, il décide de partir sur la Côte d'Azur. A Nice, se confirment les informations qu'il avait pu glaner : la signature de l'armistice, l'occupation allemande, l'installation du gouvernement à Vichy et enfin l'occupation italienne du sud du pays. Ce journal, qui a été écrit pour en rendre la lecture fluide (presque comme un roman) est un beau document sur cette période, mais aussi pour que cette succession accélérée d'épisodes tragiques et même inimaginables puisse rendre rendue par sa relation et son expérience très distanciée des choses. Il observe toute l'absurdité de cet effondrement de la France. Ces mémoires sont merveilleuses, car elles rendent bien ce climat d'irréalité de la guerre entre 1939 et 194o et la débandade de la population (et des troupes !) sur les routes devant la poussée irrésistible de l'ennemi. C'est vraiment un ouvrage qu'on peut lire pour ce qu'il nous apprend de cette malheureuse période mais aussi parce qu'il a su en restituer l'atmosphère avec beaucoup d'acuité et de talent.




Film parlé, Irène Némirovsky, Folio, 96 p., 2 euros.

Cette fiction a paru la première fois dans le recueil intitulé Les Vierges et autres nouvelles, en 2009 chez Denoël (le premier titre avait paru seul en 1942, peu avant l'arrestation de son auteur). Elle fait aussitôt songer à Guy de Maupassant, mais avec quelque chose d'encore plus amer et cruel, et sans cet humour grinçant qui fait tout le charme des récits de l'écrivain normand. C'est d'abord un milieu forclos que la femme de lettres a désiré décrire, celui d'une boîte de nuit qui s'appelle Willy's Bar. Toutes ces femmes qui y travaillent ont perdu l'espoir d'un beau mariage ou de rencontrer un riche amant qui leur ferait échapper à leur sombre condition, chacune d'entre elles la prenant d'une manière différente. Ce sont des destins de femmes qui paraissent avoir été sélectionnés pour se retrouver confiner dans l'atmosphère des nuits tristes de ce local avec des enfances malheureuses et des existences sans espoir. Mais Irène Némirovsky ne semble jamais dans le mélodramatique et son styler enlevé lui permet d'affronter ces situations peu joyeuses avec un rien d'ironie et parfois une sorte d'humour aigre-doux. C'est une nouvelle très caractéristique de sa manière de construire son récit, qui se situe au antipodes du « swing time »  de Scott Fitzgerald, bien que les deux écrivains finissent par se rejoindre dans une forme aiguë de nihilisme.




La Maison de M. Raison, Stefan Themerson, dessins de Franciszka Themerson, version française de Livia Parnes & Pierre-Emmanuel Danzat, revue Conférence, 144 p., 12 euros.

Stefan (1910-1988) a créé après la dernière guerre une maison d'édition à Londres baptisée Gaberbocchus. Il y a aussi publié la totalité de ses ouvrages, mais aussi les illustrations de son épouse Franciszka (1907-1988), qui était peintre et dessinatrice. Parmi tous ces ouvrages se trouvaient un certain nombre de livres pour enfants. Celui-ci est particulièrement réussi ; l'histoire est fort simple : l'honorable Mr Reason est déterminé à se faire construire une maison. Il se rend donc chez un architecte, M. Hilaire de la Bâtisse, qui lui présente plusieurs genres d'habitats naturels, qui ne sauraient convenir à M. Raison, qui souhaiter une demeure tout à fait conventionnelle. Alors il lui dresse les plans d'une maison des plus communes. Mais de nombreuses avanies surviennent et ce n'est qu'après bien des efforts et des corrections que le commanditaire peut enfin prendre possession de l'ouvrage qu'il avait espéré. Le déroulement de l'action est déjà très drôle, mais les pièges tendues par les mots ne font que renforcer cet humour. En effet, Stefan Themerson a toujours été fasciné par la sémantique et en a fait l'objet de ses romans. Et même de ces livres destinées aux enfants, comme c'est le cas ici. C'est là un livre très divertissant et qui ne devrait pas seulement plaire aux gamins, mais aussi aux adultes ! La revue Conférence a eu une excellente idée de publier en in ce volume en français pour la plus grande joie, comme on disait autrefois des petits et des grands !




Alfabeta materiali, Almanacco 2019, cronaca d'un anno, Alfabeta2, Milano, 20 euros.

Qui a connu l'Italie des dernières années du siècle dernier a nécessairement connu la revue Alfabeta, qui a été le plus grand journal culturel de la péninsule. Aujourd'hui la revue renaît de ses cendres, mais sous une forme très différente : il s'agit d'une publication annuelle, par conséquent d'un livre qui a un format à l'italienne. La formule est simple : la première partie est constituée d'articles conséquents su les sujets d'actualité les plus variés avec pour illustration une longue suite de photographies prises par un seul auteur, Ulianos Lucas, commentées par Furrio Colombo. Il y est donc question de théâtre, d'architecture, de philosophie, mais aussi de politique, de sociologie, de musique, de littérature (de thomas Pynchon à Carlo Emilio Gadda, en passant par Adolfo Bioy Casares), le cinéma, le design, les arts plastiques et même la gastronomie ! Et la seconde, de compte rendu de livres parus l'an passé. Il y a même des oeuvres de fiction, dont une de Nanni Balestrini. C'est une sorte de compendium de l'année qui vient de s'écouler, mais sans la moindre volonté d'être exhaustif. Au contraire : ce sont les questions qui ont paru essentielles aux rédacteurs et qui leur ont semblées mémorables, même si peu de monde y a prêté attention sur le moment. En définitive, c'est déjà une année écoulée qui est débarrassée de toutes les scories des événements plus ou moins significatifs ou importants pour laisser place à ce que la mémoire se doit de préserver comme expression de cette période.
Gérard-Georges Lemaire
31-01-2019
 
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Verso n°136

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