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[verso-hebdo]
16-05-2024
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La chronique de Pierre Corcos |
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La prison, c'est dehors |
Jusqu'au 30 juin au Palais de Tokyo, une importante exposition, Toucher l'insensé, donnera du grain à moudre par ses textes, vidéos et productions artistiques à ceux pour qui la « maladie mentale », la « folie », et la manière dont les sociétés les traitent et les signifient croisent en différents points la création artistique. Non qu'il y ait à pathologiser l'art mais, à l'inverse, à déceler de communes « lignes de fuite » (Deleuze), « en partageant les désirs d'expression de personnes pour qui les « évidences de la quotidienneté » ne vont pas de soi », comme le fait entendre François Piron, le curateur de cette exposition profondément inspirée par la « psychothérapie institutionnelle » (Jean Oury, Félix Guattari, François Tosquelles).
Pour rappel, la « psychothérapie institutionnelle » (nommée ainsi par le psychiatre Georges Daumezon en 1952) désigne un mouvement de rencontre, amorcée dès les années 40, entre la psychiatrie et la psychanalyse mais aussi une sociologie critique. Car ne convient-il pas de « soigner » d'abord... l'hôpital avant de soigner les malades ? Au fond cette démarche d'humanisation réflexive remonte aux débuts du 19ème siècle avec Philippe Pinel. Elle intègre le trouble mental dans son contexte social, économique et culturel (de la ségrégation quasi carcérale avec maltraitances de jadis... à un système ouvert et une convivialité thérapeutique véritable, s'enrichissant de créativité artistique). En 1953, Jean Oury (membre de l'École freudienne de Paris) découvrait le château de La Borde, et y fonda la célèbre clinique qu'il dirigea jusqu'à sa mort en 2014. Ce lieu devint le laboratoire où il réinventa continuellement cette « psychothérapie institutionnelle ». Il ne s'agit pas d'une simple technique, on entre ici dans le réel de la « maladie mentale » et l'on y analyse la résultante d'une double aliénation : la première psychique, dans une logique freudienne, et la seconde sociale en un sens marxiste. Or l'artiste ne cherche-t-il pas également à fuir/critiquer la norme aliénante voire oppressive, à inventer d'autres mondes imaginaires qui désenclavent l'imaginaire social dominant ?
L'exposition - rassemblant des artistes actuels, mais également des soignants ou des éducateurs ayant initié un certain nombre de pratiques artistiques dans des institutions liées au soin psychique (hôpitaux psychiatriques, centres d'accueil, instituts médico-éducatifs, etc.) - évoque beaucoup et indirectement les contre-cultures anarchisantes et leur efflorescence de l'après 68. Une liberté de pratiques et de ton qui semble perdue... Pourrait-on ainsi publier une revue aussi hétérodoxe que « Gardes-fous » aujourd'hui ? Les vidéos passionnantes de François Pain ayant documenté l'ordinaire de La Borde, enregistré les paroles inspirées d'Oury, Guattari et Tosquelles, peuvent faire penser aux films actuels de Nicolas Philibert (cf. notamment Verso Hebdo du 18-5-2023). L'exposition se présente comme un long labyrinthe de cimaises en bois clair dans les niches desquelles on découvre comment certains « patients » expriment leur... impatience au moyen de l'art, ou alors comment des artistes contemporains peuvent être différemment inspirés par les dysfonctions mentales. Par exemple Signe Frederiksen (née en 1987 au Danemark) qui, ayant travaillé avec des enfants atteints de troubles autistiques, se sert du dessin (parfois animé, parfois mural) pour exprimer diverses formes de violence sociale, et rendre compte des « trous noirs » et des mondes parallèles propres à la dite « folie ». Ou Michel François (né en 1956 en Belgique), qui a travaillé avec des détenus-patients du TBS (centre de détention clinique) de Rotterdam et propose une « mise en scène documentaire ». Ou encore l'artiste espagnole Dora Garcia (née en 1965), lancée dans une recherche au long cours sur les relations entre poésie, psychiatrie et émancipation, ayant réalisé de grands diagrammes à partir de ses annotations en marge des livres de Jacques Lacan ou de Philip K. Dick. Ou Abdeslam Ziou Ziou (né en 1986 et vivant à Casablanca) qui s'est livré à une enquête sur la musicothérapie et collabore avec de nombreux artistes de l'École de Casablanca. Ou Agathe Boulanger (née en 1983), artiste mais aussi soignante en pédopsychiatrie d'adolescents qui utilise la photographie, prend des notes et réalise des installations textes/images éclairant son quotidien. Comme souvent avec l'art contemporain (nous sommes au Palais de Tokyo !), les recherches et démarches plus ou moins complexes et divergentes restent plus parlantes que les « oeuvres »...
On peut regretter ici que les dimensions émotionnelles, affectives et passionnelles des désordres psychologiques se soient progressivement gelées dans ces discours intellectuels ou sous les protocoles distanciés de l'art contemporain. Mais quand dans tous ces lieux de relégation transformés en refuges et convoqués ici, on loue la créativité, les moments de partage, l'anti-autoritarisme, l'absence de brutalité et de hiérarchie traduisant l'incarnation des valeurs propres à la « psychothérapie institutionnelle », on comprend mieux cette formule trouvée au Centre Familial de Jeunes (une alternative vivifiante, hélas définitivement fermée en 1992, aux sinistres « maisons de correction ») : La prison, c'est dehors.
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Verso n°136
L'artiste du mois : Marko Velk
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