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[verso-hebdo]
11-03-2021
La chronique
de Pierre Corcos
Une mère et les barbares
La pièce Le courage de ma mère de George Tabori, dans une mise en scène de David Ajchenbaum sera visible, sous réserve de la date de réouverture des théâtres, jusqu'au 27 mars à la Reine Blanche à Paris. Une représentation professionnelle a déjà permis d'en apprécier la dramatique intensité. Cette pièce a l'intéressante caractéristique de laisser de côté la question de la réalité ou de la fiction, du vrai ou du faux dans ce qui nous est ici raconté, tant la force et la justesse de l'évocation priment, et s'imposent au spectateur. Qu'il soit permis de rappeler cette figure de rhétorique appelée « hypotypose », dans laquelle le narrateur montre les choses de façon si énergique - insistant sur les détails les plus accrocheurs et choisissant les notations les plus sensibles - qu'il nous met en quelque sorte sous les yeux, tout comme dans une scène vivante, son récit. David Ajchenbaum, lui, parle d'« anecdotisation », mais la figure d'hypotypose rend peut-être plus compte de ce qui se passe sur la scène. L'effroyable monstruosité de la Shoah est concentrée (mais elle ne s'y épuise pas) dans la petite histoire suivante : en 1944, la mère du narrateur, sortie pour aller faire sa partie de rami habituelle chez sa soeur, est arrêtée par la police hongroise puis entassée avec d'autres Juifs dans un train à bestiaux en direction d'Auschwitz. À la frontière avec la Pologne, elle est miraculeusement libérée par un officier allemand, rentre à Budapest en train, et peut faire sa partie de rami !

Un comédien, Roland Timsit, joue Tabori mais également tous les personnages de la pièce, conçue normalement pour cinq comédiens. Un George Tabori qui raconte l'histoire, et répond à la voix maternelle sortant d'un gros magnétophone. Sa mère était-elle encore vivante au moment de cette évocation ? Ou n'est-elle plus que le fantôme vocal d'un souvenir ?... Sur la scène, des néons, des micros, une lampe rouge, une pédale loop (elle permet de répéter une boucle de sons venant d'être enregistrée) et deux magnétophones. On dirait un studio d'enregistrement. En somme tout est à entendre, imaginer, ressentir, et pas grand chose ne reste à voir. Des soupirs, des évocations sonores, ou les silences entre deux terribles détails. Le thème de la « mère juive », avec ses connotations tendres et humoristiques, contribue à rendre plus attachante cette femme et, par contraste, encore plus inhumaine la barbarie nazie. Et de fait, l'enjeu théâtral essentiel de cette pièce réside sans doute là, dans une série d'antithèses expressives qui se prolongerait indéfiniment, dans des oppositions telles que : humanité/barbarie, douceur/brutalité, paroles/aboiements, ordinaire/monstrueux, conscience/aveuglement, et surtout vie/mort. Les chiffres accablants, les documents épouvantables peuvent-ils nous évoquer cette horreur sans nom de la barbarie nazie aussi bien qu'un témoignage simple, précis et sans pathos, tel qu'un Primo Levi dans Si c'est un homme a su l'écrire ? Ou tel que George Tabori dans cette micro-histoire (et qui paradoxalement se termine bien) a pu la traduire sur la scène ? Et même la poétisation tragique de la Shoah est-elle recevable ? En 1949 Adorno écrivit ces mots célèbres qui ont fait beaucoup réfléchir : « Écrire un poème après Auschwitz est barbare, et ce fait affecte même la connaissance qui explique pourquoi il est devenu impossible d'écrire aujourd'hui des poèmes ». Même si la radicalité de cette proposition est intenable, son mérite reste de nous interpeller déjà sur la vanité ou l'obscénité de propositions artistiques ne payant pas le prix fort de cette irrécupérable catastrophe.
Il est vrai que le Juif hongrois George Tabori (1914-2007), dont les parents furent déportés (seule sa mère a survécu), avait pris un risque dans Mein Kampf (Farce), présentée en 1987, en traitant du nazisme et d'Hitler par la dérision. Dans Le courage de ma mère (1979), l'approche choisie, consistant à suivre par l'imagination sa pauvre mère, fragile, minuscule dans le gouffre vertigineux de cette barbarie, à noter tous ces détails significatifs créant l'identification chez le spectateur, garde cet incontestable mérite d'éviter toute emphase déplacée. Mais quand il y a un rire dans la pièce, il se transmue en un long cri... N'est-ce pas totalement absurde en effet que la mère du narrateur, pour une raison factice et conjoncturelle, ait pu à la différence des autres échapper à l'extermination ? Et que s'est-il vraiment passé dans la tête de cet officier nazi ? Comment une bulle d'humanité se dégageant de la vase épaisse de son endoctrinement fanatique a-t-elle pu émerger à la surface de sa conscience ? Le spectateur est enclin à construire différentes hypothèses s'ajoutant à celle proposée. Tout comme il ressent cette abominable, glaçante réalité du nazisme en y opposant la simple vérité charnelle d'une mère, ou bien l'ordinaire pacifique d'un jour d'été à Budapest en 1944. Et comme il entrevoit cette pulsion de mort qui se déploie, simplement parce qu'il n'existe plus à ces moments la moindre trace de pitié.
Dans Premiers savoirs de la Shoah (CNRS éditions 2017), la chercheuse Judith Lindenberg montre que, contrairement à l'opinion commune, « l'urgence de dire et de faire connaître était présente depuis le début du génocide ». L'histoire racontée par la mère de George Tabori n'était sans doute pas la même que celle écoutée par le spectateur, mais elle ne pouvait que mettre en relief, par l'humanité de sa parole, cette innommable barbarie.
Pierre Corcos
corcos16@gmail.com
11-03-2021
 
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Verso n°136

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