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[verso-hebdo]
04-05-2023
La chronique
de Gérard-Georges Lemaire
Chronique d'un bibliomane mélancolique

Séduction & Pouvoir. L'Art de s'apprêter à la cour au XVIIe et au XVIIIe siècle. Editions in fine / musée du domaine royal de Marly, 104 p., 25 euro.

Si vous n'avez pas l'opportunité d'aller à Marly, procurez-vous le catalogue de cette exposition consacrée à la mode de la création du château de Versailles jusqu'à l'aube de la Révolution. C'est passionnant en soi car on y apprend les codes en vigueur pour figurer parmi les courtisans, mais aussi parce qu'on y apprend toutes sortes de détails passionnants et qu'on doit aussi abandonner certaines idées reçues transmises au fil du temps. L'ouvrage se présente comme si nous devions nous vêtir pour nous rendre à un bal ou à une réception sans commettre de fautes de goût. Il faut aussi apprendre à suivre la mode, qui évolue sans cesse. La grande rupture est celle qui sépare l'époque de Louis XIV et celle de la Régence et de Louis XV.
Les robes et les atours portés par les hommes s'allègent et ressemblent moins à un déguisement (ce que souhaitait le roi, c'était enfermer l'aristocratie dans une recherche vestimentaire coûteuse, compliquée et un peu ridicule, il fait bien le dire). Le Roi Soleil a voulu transformer les us et coutumes de la cour en une sorte de grand théâtre dont il serait le centre. Quand il déjeunait seul devant tous ces nobles, il devait bien s'amuser de leurs accoutrements portés avec le plus grand sérieux et lui-même donnait le la pour toute modification dans la coupe de ces vêtements. Après sa mort, tout change ou presque. Par exemple, les parfums sont indispensables puisqu'on ne se lavait pas (non par absence d'hygiène, mais par peur des maladies transmises par l'eau). Chaque chose entraînait la création d'objets luxueux, comme ces flacons et ces boîtes à parfum.
Louis XIV a inventé ce qu'on appelle aujourd'hui l'« industrie du luxe » et ce penchant n'a d'ailleurs pas changé jusqu'à la chute du Second Empire. Napoléon se parfumait et c'est lui qui a lancé la mode de l'eau de Cologne, qui n'a pas disparue avec Waterloo. Avec ce catalogue raffiné et complet, vous saurez tout sur l'évolution de la vie à la cour de Versailles et vous découvrirez des détails auquel vous n'auriez pas pensé (par exemple, les boucles des souliers). Les coiffures ont fini, avec Marie-Antoinette par devenir des extravagances insensées. L'exposition doit être superbe et pleine d'instruction et cet ouvrage qui l'accompagne nous fait revivre cette période où la recherche de la beauté la plus outrageusement luxueuse s'élabore alors que ce monde va bientôt disparaître. C'est en plus très bien expliqué par les auteurs et bien illustré.




Degas, Henri Loyrette, « Découvertes », Gallimard, 192 p., 16,20 euro.

Hilaire Germain Edgar De Gas est né en 1834 à Paris. Il est issu d'une famille languedocienne, noble et illustre, les Guast, qui sont devenus ensuite De Gas. Son grand-père, René Hilaire, a pu trouver refuge dans le Royaume des Deux Sisciles. Là, il a pu assurer ses besoins en devenant d'abord agent de change et puis banquier personnel de Joachim Murat. Il est ainsi parvenu à accumuler une jolie fortune lui permettant, entre autres choses, d'acquérir le palais Pignatelli de Monteleone. Auguste, l'un des fils du grand père René Hilaire, est le père d'Edgar, l'aîné de ses enfants. C'est un homme cultivé et raffiné, qui aime les arts. Le jeune garçon fait ses études dans le prestigieux lycée Louis-le-Grand. Il y est devenu l'ami de Paul Valpençon, fils d'un grand collectionneur et de Henri Rouart. Après le baccalauréat, il a étudié le droit.
Mais il les a abandonnées au bout de six mois. Son père l'a laissé alors se dédier au dessin et passer de longs après-midis au musée du Louvre. Il y est devenu amoureux des peintres italiens de la Renaissance et a révéré Ingres. Son père le fait étudier la peinture sous la direction de Félix-Joseph Barrias. Il et entré ensuite dans l'atelier de Louis Lamothe avant d'entrer à l'Ecole nationale des Beaux-arts. Mais l'étroitesse de l'enseignement qui y était dispensé ne lui convenait pas. Toutefois, il a eu d'excellents rapports avec Gustave Moreau. Il s'est rendu à Rome en 1856 et s'est lié avec Léon Bonnat et Georges Bizet. Il a approfondi ses connaissances sur l'art italien et se rend à Florence. Il va aussi à Perugia, à Viterbo, Orvieto et à Assisi et il fait tout son possible pour connaître d'autres cités du sud et y a découvert des artistes moins connus mais néanmoins d'une grande beauté.
Il est rentré à Paris avec un grand portrait de la famille Belleelli avec qui il a demeuré à Florence. De retour à Paris en 1859, il s'est lié à Edouard Manet et s'est intéressé à l'art de Gustave Courbet. Il a dès lors participé à la grande aventure de l'impressionnisme, mais en traitant surtout des sujets de la vie parisienne, les danseuses de l'Opéra, les musiciens dans leur fosse, les lavandières, des blanchisseuses, des chanteuses. Et quand il s'agit de nus, il a aimé surtout peindre les femmes dans leur tubPar ailleurs, il eut une prédilection pour les champs de course. Son plus grand problème a été d'être accepté par le jury du Salon. Il y est finalement parvenu en 1865 avec Scène de guerre au Moyen-Âge en 1865. Henri Loyrette a brossé pour nous un beau portrait d'Edgar Degas, qui ne révèle pas tout de sa personnalité (complexe et pas toujours aimable, avec aussi ce désir de concurrencer Manet à la tête de cette petite troupe et même de former sa propre école avec des artistes italiens, organisant ses rendez-vous au Café du Rat Mort, alors que Manet invitait ses amis à venir au Café de la Nouvelle Athènes, juste en face, place Pigalle !) mais a su bien tracer son parcours artistique.




La Place du conducteur, Muriel Spark, traduit de l'anglais par Alain Delahauys, « Pavillons proche », Robert Laffont, 162 p., 8 euro.

Muriel Sarah Spark (1918-2006) est née à Camberg, dans la région d'Edinburg. Elle est la fille d'un émigrant juif provenant de Lituanie. Entre 1934 et 1935, elle prend des cours de correspondance commerciale. Puis elle a enseigné avant de se tourner vers le secrétariat dans un grand magasin.
En 1937, elle se fiance avec Sidney Oswald Spark et le suit en Rhodésie, où ils se marient à Salisbury. Ils ont un fils l'année suivante, Samuel Robin. Elle se rend compte que son maria des tendances maniaco-dépressives et qu'il peut se montrer violent. Celui-ci rentre en Grande-Bretagne et travaille à l'Helena Club à Londres. Quant à elle, elle est engagée dans les services secrets jusqu'à la fin de la guerre. Elle vit à Camberwell, au sud de Londres. Elle commence à écrire des critiques littéraires à partir de 1947. Elle devient éditrice de la Poetry Review, mais elle renonce à ce poste en 1948. Son premier roman, The Conforter, paraît en 1957, qui a un assez grand succès.
Elle publie un roman tous les deux ans et son Driver's Seat est publié en 1970. Comme toutes ses oeuvres de fiction, elle est à la fois assez conventionnelle et en même temps se révèle assez peu respectueuses des codes classiques de la grand littérature anglaise. L'histoire de Lise qu'elle nous raconte dans ce livre est celle d'une jeune femme qui a longtemps travaillé pour un cabinet d'experts-comptables, quitte sa place et désire voyager dans le Sud de l'Europe. Elle achète une garde-robe extravagante, très colorée, C'est une excentrique en quête d'aventures. Elle fait des rencontres, mais elles ne sont jamais assez de son goût. Elle a du mal à trouver l'âme jumelle. Cette histoire paraît une gentille pochade pleine d'humour, mais se révèle une tragédie, car a dernier homme qu'elle rencontre va lui donner la mort. Si ce roman est daté, il n'a pas perdu de sa vivacité et de son originalité. Il sera curieux d'observer comment les nouvelles générations pourront l'accueillir.




Ils étaient tous mes fils, Arthur Miller, traduit et adapté de l'anglais (Etats-Unis) par Marcel Duhamel, « Pavillons poche », Robert Laffont, 224 p., 9 euro.

Enchanté de vous connaître, Arthur Miller, traduit de l'anglais par (Etats-Unis) par Jean Roseenthal, « Pavillons poche », Robert Laffont, 416 p., 12 euro.


Né en 1915 à Harlem (New York) il meurt en 2005 à Roxbury dans le Connecticut. Il a grandi dans une famille plutôt aisée d'émigrants juifs qui sont ruinés par la Grande Dépression. A la fin de ses études secondaires, il est obligé de travailler. Il est parvenu à économiser assez pour entrer à l'université du Michigan en 1938. Il a commencé à écrire des pièces très tôt. Son premier succès est All my Sons, pièce pour laquelle il obtient le Tony Award en 1946. C'est d'abord une réaction à l'antisémitisme qu'il a subi. C'est un beau succès à Broadway.
La réussite de Jack Keller grâce à son usine d'armement, est remarquable. Mais son fils Tommy qui est aviateur n'est pas revenu à sa base un 9 février il y a quatre ans. Il croit toujours à un miracle. Sa fiancée Anne elle aussi l'attend toujours. Le frère de Tom, Chris est désormais résolu à épouser Anne. Le dernier frère, George, arrive à son tour. Au gré des discussions, on apprend peu à peu la vérité de ce qui s'est passé à l'usine avec cette affaire culasses défectueuses. Il ne s'agissait pas de pièces défectueuses, mais de pièces volontairement abîmées et qui a provoqué la mort de vingt-deux pilotes. C'est une histoire plutôt horrible et choquante. Mais tout le monde croyait que tout s'arrangerait maintenant que la guerre était terminée. Une page glorieuse de l'histoire des Etats-Unis était tournée. Cette affaire sinistre pouvait alors passer par perte et profit.
Arthur Miller n'a pas été que dramaturge. Il a aussi écrit des nouvelles, dont celles qui sont réunies dans I Don't Need You Anymore, publié pour la première fois en 1951.Presque toutes ont été composées pendant l'immédiate après-guerre et l'une elle a été écrite spécialement pour cet ouvrage. Ce n'a pas été son genre de prédilection, mais il a contribué à donner encore plus d'ampleur à une oeuvre déjà considérable. Il a tendance à étirer ses récits et leur faire prendre la forme d'un tout petit roman alors que le sujet est mince. Ce qui le sauve, c'est encore et toujours la vivacité de sa manière de narrer les choses et la dynamique de son écriture. Un de ces nouvelles est particulièrement expressive : « La prophétie ». Il s'agit d'une soirée entre vieilles connaissance et l'une de ses dames déclare sa faculté de prévoir l'avenir. Toute m'assemblée commente ses prévisions et l'on comprend quels liens unissent ces personnes. C'est assez prenant, il faut le reconnaître, et la chute du récit est pathétique alors que l'histoire à proprement parler n'est pas tragique pour un sou, mais plutôt insolite et même drôle (sous cape). Son plus grand défaut est le classicisme de son écriture, qui manque de surprise et de tension. Plus que classique, j'aurais dû dire : conformiste. Cela n'empêche pas que toutes ces histoires sont bien construites et retiennent l'attention malgré la lenteur de leur développement. Lui qui a été un prodige dans la sphère du théâtre se révèle moins incisif dès qu'il s'agit de nouvelles. Mais est-ce une raison nécessaire et suffisante pour le bouder ? Je ne le crois pas.




Paris-Berry, Frédéric Berthet, « La petite Vermillon », La Table Ronde, 112 p., 6, 60 euro.

Né à Neuilly-sur-Seine, a été un brillant élève de l'Ecole Normale Supérieure. Il a joué un rôle dans l'édition, mais sa véritable vocation a été l'écriture. Disparu prématurément en 2003, il n'a eu le temps que de publier six ouvrages. Ce qui frappe c'est son incertitude en la matière : il ne parvient à se définir romancier ou nouvelliste. On a même le sentiment qu'il a voulu à tout prix éviter une définition ferme et définitive. Cet ouvrage en est la démonstration. Il dévoile son mal-être devant sa machine à écrire. Son héros se trouve seul dans une maison du Berry que lui a prêtée une amie afin qu'il puisse écrire son roman. Il écrit, certes, mais se content que de très courts chapitres où il installe une idée, une sensation, une pensée, un souvenir.
`Jamais il ne développe une trame. L'intrigue est peut-être d'ailleurs cette impossibilité à parvenir à ses fins, qui ne sont d'ailleurs pas définies de façon précise. Mais cela ne signifie en rien que le livre est un constat d'échec : ce serait plutôt les prémisses d'autre chose qui pourrait se concevoir en littérature et qui se délivrerait par bribes. On ne se laisse prendre à ce jeu curieux et on ne le regrette pas car la question se pose en effet, à une époque où le Nouveau Roman avait déjà su planter ses banderilles et où, déjà, une autre littérature cherche tant bien que mal à s'imposer (ce sera en général un échec). Berthet n'a pas cherché un quelconque dépassement des règles romanesques, mais plus exactement un chemin de traverse qui soit en mesure de dire les choses en d'autres termes.
Paru chez Gallimard en 1993, ce petit livre a conservé toute sa fraîcheur et aussi son étrangeté qui n'est pas dépourvue de clairvoyance. Il mérite vraiment d'être redécouvert.




Felicidad, Frédéric Berthet, « La petite Vermillon », La Table Ronde, 176 p., 7, 50 euro.

Ce recueil de nouvelles est une suite de récits qui semblent disjoints, mais qui, selon moi, ont beaucoup à partager les uns avec les autres. Le thème du père, qu'on trouve au début, se retrouve plus loin. C'est vraiment un ouvrage d'initiation que Berthet nous a laissé, celui des relations avec les membres de sa famille et celui avec les jeunes femmes. Le narrateur est un écrivain qui a décidé de partir dans une région assez isolée afin de ne as être dérangé pour composer son roman. Il n'a pour seule compagnie qu'un chat - le chat qu'André Malraux aurait en porté sur une île déserte.
Il revient sur un certain nombre d'expériences vécues et qui ont laissé une marque profonde. L'une d'elle est sa rencontre avec Felicidad, une jeune femme qui l'a séduit profondément et dont l'image se repropose à lui. D'ailleurs, le livre est construit à partir de réminiscences (des rencontres, des choses qu'on a pu lui dire, tout cela dans des circonstances et des lieux très différents. De tout ce vécu encore en pointillé, l'auteur tire des conclusions sans un ordre apparent, souvent à l'emporte-pièce et, pourtant, ses récits participent sur la nature humaine qui sont un. Toutes ces histoires s'enchaînent pour distiller une philosophie qui est loin de l'esprit des Lumières.
C'est un parcours idiosyncrasique auquel il nous invite, pensée par un garçon qui n'a pas encore eu le temps de cerner la vérité de l'âme humaine. Justement pour cela, il prend toute sa valeur, car ce n'est pas encore un monde achevé qu'il dépeint, mais plutôt celui d'une tentative de comprendre de quoi est véritablement faite la nature humaine et quels en sont les ressorts essentiels de l'âme humaine. C'est écrit avec beaucoup de bonheur, avec une évidente gourmandise, mais aussi avec le souci de pouvoir se retrouver dans le labyrinthe de la vie moderne.
Gérard-Georges Lemaire
04-05-2023
 

Verso n°136

L'artiste du mois : Marko Velk

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Christophe Cartier

"Rêves, ou c'est la mort qui vient"
édité aux éditions du manuscrit.com