La Maison Louis Vuitton se flatte d'organiser dans ses beaux espaces du Bois de Boulogne une exposition Warhol/Basquiat (qui d'ailleurs a déjà eu lieu). Cela fait évènement, évidemment, mais on se demande à quoi ça sert. Leurs oeuvres communes datent de 1984-1985. C'est le moment de la plus grande créativité pour Basquiat (Le Roi des Zoulous) et l'heure du déclin pour Warhol. De plus, avec la porte de réfrigérateur Sans titre (love) de 1984, Basquiat est très loin du pop en général et de Warhol en particulier. Warhol est un ami admiré, mais Basquiat sait très bien quelle distance artistique les sépare. Il en témoigne avec une certaine cruauté avec le dessin Sans titre (Andy Warhol, 1984). Le roi du pop art apparaît vieilli et désabusé, les yeux cernés derrière ses lunettes. Basquiat ne veut pas se contenter de s'empare dans la ville, comme Warhol, de quelques emblèmes glacés comme la bouteille de Coca-Cola ou la boîte de lessive Brillo : il mêle au contraire en un éblouissant maëlstrom les messages lumineux, les logos, les parcelles d'images qui assaillent le citadin new yorkais, et d'une manière générale tout ce qu'il peut associer par collage et juxtaposition comme en témoigne Sans titre (love)de la même année.
Jean-Michel Basquiat est celui qui réussit à ce moment à « picturaliser » la parole des marginaux de la mégapole cosmopolite. Il construit sa peinture en forme de fresque bavarde de la manière la plus opposée qui soit, non seulement au pop, mais encore à l'art minimaliste et conceptuel qui occupe alors le devant de la scène artistique mondiale. Il y a là un effet de contraste absolu qui explique sans doute pour partie le foudroyant succès du jeune révolté : il a pénétré comme par effraction dans le monde de l'art et y a occupé d'emblée la place de « singulier » génial, y compris précisément lorsqu'il collabore avec Warhol, par exemple avec Sans titre (1984) : le maître du pop a tracé les chiffres d'un million de dollars au-dessus desquels Basquiat projeté une tête grimaçante de Noir. On peut dire que la férocité du jeune noir désintègre littéralement l'apport warholien très conventionnel.
En 1985, Mary Boone et Michael Werner présentent les oeuvres récentes de Basquia à New York alors que le New York Times publie un important article sur lui intitulé : « New Art, new money : the marketing of an american artist ». En septembre - octobre 16 peintures faites à deux avec Warhol sont présentées par Tony Shafrazy et Bruno Bishofberger 163 Mercer Street à grand renfort de publicité. L'affiche les représente tous deux en boxeurs. Jean-Michel est torse nu, l'air agressif et Warhol, en survêtement, paraît plutôt embarrassé par ses gants. Mais il n'y aura pas de match et l'exposition est un échec. Les deux artistes, déçus, prennent leurs distances et arrêtent leur collaboration. Leur amicale complicité ne reviendra plus. Est-il possible qu'elle réapparaisse de manière posthume grâce au savoir-faire de Louis Vuitton ? Ce serait un tour de force. (Warhol x Basquiat à quatre mains, 80 oeuvres, jusqu'au 28 août) En attendant, on préfèrera aller à la Philarmonie de Paris voir 80 autres oeuvres sous le titre Basquiat soundtracks, accompagnées de plusieurs concerts.
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