La tache rouge carmin foncé de sa veste en velours, contrastant avec les teintes claires, beiges de l'arrière-plan, libère vivement la sensation première du dessin. Dans cette veste rutilante, ce Vieillard assis, en appui sur sa canne (1796 ?) nous captive par son expression amère et désabusée. Ses habits dénotent le 18ème siècle, et il est fait mention de la Hollande et d'Utrecht dans la carte accrochée à un mur, juste au-dessus de ce vieil homme voûté, assis dans le hall d'entrée d'une maison (de retraite ?). Derrière, au bout d'un escalier, on aperçoit par une porte entrouverte deux femmes attablées. OEuvre remarquable dessinée à la plume et à l'encre brune, avec aquarelle et gouache, elle témoigne des talents doubles d'un coloriste et d'un portraitiste. Et il s'agit en l'occurrence d'Abraham van Strij (1753-1826), fondateur avec quelques congénères de la Confrérie de dessin « Pictura »... Le Retour après une joyeuse fête dans une maison bourgeoise sur les canaux (1749) ensevelit dans sa masse sombre quelques personnages curieusement éclairés, et d'autres dissimulant leur état d'ébriété avancée dans une pénombre complice. C'est la gouache mystérieuse d'un artiste polyvalent, notable dans ce 18ème siècle hollandais : Cornelis Troost (1696-1750), qui fait parfois penser à Jan Steen et d'autres fois à Hogarth, avec une mention de singularité pour cette oeuvre nocturne et secrète... Ce Nu féminin assis, non daté, est une sanguine à la fois délicate et douce par ses hachures, mais vigoureuse et bien découpée par ses contours, tout comme le personnage est féminin par ses hanches et seins, masculin par son cou puissant et ses bras musclés. Si elle s'explique peut-être par la difficulté encore à l'époque de pratiquer l'étude du nu féminin, à la différence du nu masculin, l'androgynie du personnage en tous cas saisit le regard. Le dessin est signé de Bernard Picart (1673-1733) né à Paris, mais ayant vécu jusqu'à sa mort à Amsterdam... La mort de Cléopâtre (1699) de Willem van Mieris (1662-1744) est une oeuvre à la fois dramatique par son thème, théâtralisé, et analytique par la précision de ses détails que l'artiste, virtuose avec sa pointe de graphite finement taillée, se plaît à multiplier et fouiller... Ces dessins attractifs et bien d'autres sont à découvrir actuellement à la Fondation Custodia.
D'expositions en expositions, la Fondation Custodia (créée en 1947 par Fris Lugt et son épouse) à Paris est devenue un lieu de rendez-vous incontournable pour les amateurs de dessins. Dans ce lieu ce sont majoritairement des oeuvres des siècles passés qu'ils apprécient. La sélection équilibrée et rigoureuse qu'elle opère sur les collections d'origine, la précision des notes explicatives (proposées en un élégant petit livret offert) et la clarté de son mode d'exposition font que le visiteur à la Fondation Custodia n'est jamais déçu, même si la plupart des artistes flamands dont il découvre les dessins lui sont encore inconnus.
Jusqu'au 14 mai l'exposition Cabinet de dessins néerlandais. Le 18ème siècle - Collection des Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique nous démontre qu'il n'y a pas seulement les artistes du Siècle d'or hollandais à admirer, mais aussi ceux du 18ème (une période allant ici de 1670 à 1820, de Gérard de Lairesse à Daniel Kerkhoff), dont les dessins exposés proviennent de la riche collection Jean de Grez, elle-même fruit des explorations et études de trois générations de collectionneurs installés à Breda. Après celui du Rijksmuseum à Amsterdam, cet ensemble de dessins conservés dans les Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique nous donne la représentation la plus large du dessin néerlandais du 18ème siècle. Sur un ensemble de 1200 dessins, voici donc une fine sélection de 80 feuilles, témoignant d'évolutions thématiques et stylistiques durant ce 18ème siècle qui a marqué un engouement significatif pour la collection de gravures et dessins. Ne sont-ils pas en effet faciles à conserver sans prendre de place, un simple album devenant un cabinet merveilleux ? Et puis l'on assistait à un intérêt croissant pour l'éducation artistique, et des associations de dessins se créaient. Bref engouement, curiosité, émulation... Le dessin ne pouvait que s'en épanouir !
Même sans être spécialiste, le visiteur remarque ici la variété des techniques utilisées : plume, pierre noire, sanguine, pointe graphite, pinceau, encre, aquarelle, gouache, etc. Il note également et apprécie la multiplicité des sujets traités : natures mortes, scènes historiques, religieuses, mythologiques, allégories, scènes de genre, paysages, dessins d'animaux, d'architecture, etc. Et s'il fait un peu plus attention, il remarquera des intentions artistiques différentes, voire opposées. Par exemple à ces paysages italianisants et méridionaux idéalisés succèdent des vues réalistes de la Hollande paysanne...
Quand Vasari écrivait que le dessin est le père de tous les arts, il lui rendait un hommage ambigu, parce que s'il en rappelait l'absolue nécessité préparatoire pour la peinture, la sculpture, l'architecture, etc., il n'envisageait pas qu'il puisse être autonome, insouciant de paternité quelconque, et trouver sa finalité en lui-même. Un art... célibataire en quelque sorte, dont cette exposition nous montre maints registres dans lesquels il peut s'exercer.
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