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[verso-hebdo]
25-03-2021
La chronique
de Pierre Corcos
Mémoire et fantasme
La cause est entendue : regarder un film sur un écran de télévision ou d'ordinateur est tout à fait différent (et en principe moins satisfaisant) que le voir au cinéma. Fellini eut sur la question des mots simples, forts et définitifs. Ce préambule - nécessaire au moment où les plateformes de « cinéma on line » se promeuvent et s'apprécient d'autant plus que le couvre-feu et le confinement se prolongent - vaut comme un souhait impatient exprimé pour que nos cinémas enfin réouvrent leurs portes... Cela dit, comment ne pas être séduit par tout ce que propose, en matière de films notamment, Arte replay ? Des classiques du cinéma, des rétrospectives de réalisateurs (nous avions eu Kaurismaki, Mouret il y a peu), des films primés, intelligemment présentés, visibles gratuitement pendant une durée plus ou moins longue : quelle échappatoire pour celles et ceux que le programme de télévision emplit de morosité !... Ainsi, jusqu'au 30 mars on peut voir le troublant Exotica du cinéaste canadien d'origine arménienne, Atom Egoyan. Un film sorti en 1994 et ayant obtenu une bonne dizaine de prix Génie, récompense que décernait l'Académie canadienne du cinéma jusqu'en 2013.

Cinéaste, plasticien, vidéaste, Atom Egoyan se définit lui-même comme un artiste polymorphe. Et l'aspect déroutant de ses films n'est pas sans rapport avec ses approches esthétiques et réflexives variées. Mais cette démarche expérimentale se met au service d'une introspection. Quid par exemple de ses origines arméniennes, de la blessure enfouie, secrète du génocide ? Né en 1960 au Caire, de parents arméniens à la fibre artistique, Egoyan se retrouve au Canada à l'âge de deux ans et, par la suite, entretient cette contradiction fertile de vouloir s'intégrer pleinement à la société canadienne tout en se livrant à des investigations sur ses origines arméniennes (cf. Next of Kin 1984, Calendar 1993, America, America 1997) et en épousant une Arménienne, Arsinée Khanjian, qui devient son actrice fétiche. Cette quête d'identité culturelle s'enrichit d'une recherche intime sur ses/les fantasmes, l'érotisme, en développant différents thèmes, dont le voyeurisme. Relier le fantasme à une mémoire douloureuse ne semble pas aller de soi. Et pourtant, par son scénario, cette production de l'imaginaire met en scène et « répare » quelque chose du passé qui n'a pas pu être intégré...

Ainsi, comme le film Exotica mêle étroitement, subtilement le fantasme et le trauma ! Comme chacun y est douloureusement seul avec son désir et sa mémoire ! Tout se jouera ici, habilement et à l'encontre de la plate linéarité du cinéma psychologique hollywoodien, à partir d'un récit fragmenté et surtout d'une atmosphère. Donnons un résumé du scénario sans en dévoiler la fin, qui rassemble toutes les pièces de ce puzzle d'actes, de situations, de personnages en apparence hétérogènes : l'Exotica est un club où, sur une musique lascive, des danseuses pratiquement nues ondulent devant des hommes seuls attablés. Le disc-jockey, Eric, anime les languissantes soirées en excitant les fantasmes masculins tout en ayant l'oeil sur les clients. En effet, si l'un d'entre eux touchait une danseuse, il se ferait immédiatement expulser du club. Un client assidu, Francis, n'a d'yeux que pour une danseuse, Christina, qui a cette particularité de se déhancher en costume d'écolière... Pourquoi Eric exalte-t-il autant des fantasmes à conotations pédophiliques ? Et pourquoi Francis conserve-t-il sans cesse cet air éperdu, tragique ? Quelle est l'étrange relation qui semble unir cette Lolita et ce client-ci, et pourquoi Éric ne peut-il pas supporter leur complicité ? Il y a aussi Zoé, la directrice d'Exotica, enceinte et jalouse de l'attention que porte Éric à Christina. Par ailleurs, une action parallèle, qui égare au début le spectateur, nous montre les rituels étranges d'un autre personnage, Thomas, gérant d'un magasin d'animaux exotiques (rappel du titre Exotica, tout comme le lent travelling sur des plantes exotiques qui amorce le film), chez qui Francis, contrôleur fiscal, est venu réaliser un audit. Puis des flash-backs font peu à peu émerger les pièces d'une tragédie, dans laquelle on retrouve ce thème (la mort d'enfants) qu'Egoyan a magistralement porté dans l'un de ses grands films, et sans doute le plus connu, De beaux lendemains. L'intérêt artistique d'Exotica ne tient pas seulement dans le minutieux filmage (image : Paul Sarossy) de ces rituels bizarres structurant les fantasmes (incestueux, pédophiliques ou homosexuels) des uns et des autres. Ni même dans cette intriguante technique « dysnarrative » qui consiste (tout comme dans le « simultanéisme » littéraire d'un Dos Passos) à présenter des actions parallèles sans les articuler au début. La valeur esthétique du film tient aussi à cette audacieuse tentative de coïncider par une atmosphère envoûtante, entretenue notamment par une lancinante musique (Leonard Cohen, Mychael Danna), avec le temps figé, circulaire du fantasme. Fantasme en boucle, en bulle irisée qu'un événement indépassé empêche d'éclater, jusqu'à... Quand Exotica se termine, les protagonistes ne seront plus leur passé, mais ils auront un passé. Reconnu, assumé. L'étrangeté du fantasme se résorbera dans une douloureuse humanité. Bien entendu, ce n'est pas un tel « happy end » qui aura motivé Atom Egoyan, mais toute cette matière filmique, étincelante et sombre.
Pierre Corcos
corcos16@gmail.com
25-03-2021
 
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Verso n°136

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