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[verso-hebdo]
08-05-2021
La chronique
de Pierre Corcos
Contemporains... de leur temps
Accompagnant nos classiques du théâtre (Molière, Racine, Marivaux, Musset, etc.), le discours récurrent, obligé semble-t-il, du metteur en scène, du dramaturge ou des chargés de communication et de l'attaché(e) de presse insiste sur la dimension « contemporaine », voire éternelle ( !), des sentiments qui s'y jouent... Auprès du grand public, des lycéens, cet argument lèverait toute réticence quant au caractère « daté », inactuel de la pièce, quant au risque de son obsolescence. Et Stanislas Chollat, metteur en scène de L'Heureux Stratagème de Marivaux (joué au Théâtre Édouard VII, puis accessible sur l'application France.tv), ne déroge pas à la règle quand il affirme que les gens qui voient la pièce ne vont pas imaginer que (sic) ça a été écrit il y a trois cents ans. Et la pièce serait aussi « féministe », etc. On peut rester confiant sur le sens historique des spectateurs : une comédie où il est question de comtesse, de marquise et de chevalier, à l'évidence oisifs, d'Arlequin, Dorante et Damis, où le parler reste bien celui des salons du XVIIIème ou alors le savoureux patois de valets (bien soumis), où les rivalités courtisanes et les jeux libertins parasitent les sentiments amoureux, est immédiatement perçue par le public comme portant l'empreinte de son siècle (la pièce fut créée pour la première fois en 1733 par les Comédiens italiens). Elle n'en demeure pas moins attractive, même si les moeurs amoureuses, les rapports au désir ont considérablement changé depuis. Si l'on veut à tout prix affirmer que ces classiques du théâtre sont contemporains, il convient de sous-entendre qu'ils sont pleinement contemporains... de leur temps !

Le décor et les costumes (se référant à une grande bourgeoisie mondaine d'aujourd'hui avec chauffeur et domestiques) choisis par le metteur en scène, l'adaptation à laquelle l'oeuvre a donné lieu, le piano jazz du début témoignent d'un souci d'actualiser la pièce... supposée être « contemporaine ». Le personnage du chevalier gascon a été transformé en une sorte de parvenu vulgaire dont l'accent corse ( ?) musicalise exagérément la parole. Les transpositions de la mise en scène contribuent à envelopper ou édulcorer une confrontation permanente, dans ce théâtre, des niveaux sociaux (paysan/aristocrate, bourgeois/noble, etc.) qui peut parasiter l'attention portée à l'intrigue. En effet cette confrontation des classes s'avère dans le détail passionnante, même si l'on ne fait pas profession d'historien ou de sociologue. L'intrigue, quant à elle, est une variation supplémentaire sur le sujet primordial, selon d'Alembert, des pièces de Marivaux : la « surprise de l'amour ». Car souvent la vanité, l'image sociale de soi, la coquetterie ou l'amour-propre y empêchent le personnage, féminin ou masculin, de dévoiler en lui un sentiment amoureux dont il est à son insu le jouet.
Alors il faudra un échange de rôles, ou un habile stratagème comme c'est le cas dans cette pièce, pour que s'impose enfin la vérité du sentiment... Ici, deux personnages délaissés, Dorante et la marquise, vont feindre de s'aimer au point de faire semblant de se marier, juste pour piquer la jalousie de ceux (la comtesse et le chevalier) qui les ont négligés par coquetterie, vanité séductrice. Ainsi l'amour, même profond et sincère, ne peut pas l'emporter si l'intelligence du joueur qui simule - et le contrôle des émotions, qui va avec - n'est pas mobilisée. Toutes ces stratégies, dans la guerre des individualités et des sexes, rapprochent souvent le théâtre de Marivaux des romans libertins, et confèrent quelque ambiguïté à cette « victoire de l'amour ». La fin heureuse, dans son théâtre, n'est-elle pas en effet un peu conventionnelle ? Que vaut vraiment un « amour » qui a été gagné à force de stratagèmes, de duperies, en piquant la vanité et en excitant l'envie ? La substance de la pièce reste moins la description du sentiment amoureux (qui n'en existe pas moins, et avec une belle fraîcheur, dans quelques autres pièces d'une inspiration préromantique) qu'une finesse psychologique mettant à jour le besoin de reconnaissance (dans La Vie de Marianne Marivaux écrit : « Nous sommes plus jaloux de la considération des autres que de leur estime »), la guerre permanente des egos, voire l'esprit de vengeance. Le comique, qui contrebalance le pessimisme de ce théâtre, provient fréquemment de la gent domestique, de ses malices ou naïvetés rustiques : par exemple, au début de la pièce maître Blaise s'écrie : « Faut point mourir, ça gâte tout ! ». Il provient également de ce que ces valets vivent - en parallèles ou de façon croisée - des situations identiques (mais en mode « mineur ») à celles de leur maître.

Si l'on veut extraire L'Heureux Stratagème de son enracinement historique, sans doute faut-il recourir aux théories du philosophe René Girard sur le caractère mimétique du désir, qui serait intemporel... Tout désir est l'imitation du désir d'un autre. La pièce, en ce sens-là, échapperait à l'éthos de son temps. Mais Éric Elmosnino, Sylvie Testud, Julie Pouillon, Jérôme Robart, sous la houlette de Ladislas Chollat, ont offert ici un Marivaux charmant où il n'est pas nécessaire de se répéter vingt fois que cette comédie reste très actuelle ou « contemporaine » par son « féminisme » ou ses affects modernes pour s'en délecter.
Il suffit juste de découvrir la joie inhérente à ce rythme, cette finesse, cette alacrité, cette subtilité de parole. Et s'en laisser asperger...
Pierre Corcos
corcos16@gmail.com
08-05-2021
 
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Verso n°136

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