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[verso-hebdo]
10-02-2022
La chronique
de Pierre Corcos
Un souffle libertaire
Bouffée de printemps aigre, c'est une joie désespérée, un humour dévastateur et un souffle libertaire, effet des lointaines bourrasques dadaïstes, qui portent Bad Luck Banging or Loony Porn, le dernier film du cinéaste roumain Radu Jude, Ours d'or de la Berlinale 2021... Mais, dans le contexte politique actuel, plombé par le conservatisme, le ressentiment néopuritain et un nationalisme moisi, ce film a d'autant moins de chances d'être bien reçu que son titre - laissé en anglais et en partie argotique - provoque, transgresse, puisqu'on le traduirait ainsi : « Malchance en baisant ou porno cinglé ». Si peu de gens ont vu ce film, il continue à être programmé, comme si persistait toujours l'effet mobilisateur d'un bouche-à-oreille minoritaire. La dimension critique, sociale et historique de l'oeuvre ne se cantonne pas à la seule réalité roumaine. Quel pavé dans la mare si un cinéaste français aujourd'hui se livrait à un travail similaire ici, en France... Ce souffle libertaire serait pourtant si roboratif !
Le scénario est simple, la forme complexe, travaillée... Emi (émouvante Katia Pascariu), excellente professeure d'histoire dans un collège prestigieux de Bucarest, apprend qu'une vidéo de ses ébats érotiques librement consentis, réalisée par et avec son compagnon Eugen (pour, on imagine, pimenter leur sexualité) a fuité à cause d'une imprudence sur le site Pornhub, puis sur des réseaux sociaux... Du coup, ses élèves et leurs parents ont pu regarder cette compromettante sextape. Scandale ! La directrice du collège convoque Emi et les parents d'élèves pour une confrontation et une sorte de conseil de discipline, dont l'issue peut tout de même se traduire par une démission forcée de cette enseignante de valeur.
Le film de Radu Jude, qui dure 1h46, est divisé en trois parties, et scandé par un titre ironique sur fond rose vif avec une chanson délirante de Bobby Lapointe. Comme si les spectateurs devaient aussi être membres de ce jury populaire, condamnant ou acquittant Emi, les voilà tout de suite confrontés à la litigieuse sextape. La ferveur érotique sincère des deux amants et quelques interventions familiales en voix off excluent cette vidéo du champ pornographique. C'est juste leur affaire privée, et tant mieux pour eux s'ils jouissent autant ! Ensuite la caméra accompagne Emi, bien sage dans son tailleurs gris, traversant Bucarest pour faire des courses. Et cette longue séquence, tout ce qu'elle montre de la ville, indique clairement que le film va déborder largement de son scénario de base, transcender cette malencontreuse anecdote. Une laideur urbaine, des travaux anarchiques et de criardes affiches, une consommation débile, de monstrueux SUV sur les trottoirs, l'écoeurante invasion du kitsch, une galopante américanisation, quelques scènes de rue brutales et grossières interrogent en catimini le spectateur : qu'est-ce qui est vraiment obscène ? Cette question fondamentale, que se posait déjà le philosophe Herbert Marcuse, court tout au long du film... Étymologiquement « obscène » signifie « de mauvais augure ». La seconde partie de Bad Luck Banging or Loony Porn est constitué d'un glossaire de... fort mauvais augure justement, où le cinéaste, qu'anime une cinglante ironie, confronte des mots avec les réalités affreuses qu'ils peuvent connoter. Les valeurs conservatrices et traditionalistes sont bien secouées au passage, l'histoire officielle de la Roumanie sarcastiquement revisitée, et notre civilisation consumériste et capitaliste renvoyée à son immense déchèterie. On se rappelle, à l'occasion, que Radu Jude a déjà réalisé des documentaires (cf. The Dead Nation), qu'il est très à l'aise avec les archives et documents. Sa sensibilité anarchisante, ses innombrables références historiques et philosophiques risquent alors de convertir le film en brûlot d'agitprop. Ce genre, on ne l'ose plus trop aujourd'hui... Mais survient la troisième partie, l'impitoyable confrontation d'Emi avec les parents d'élèves, un panel de bien-pensants hypocrites ou réactionnaires ou même fascisants, à de rares exceptions près. Tout le monde est ici masqué, c'est la pandémie. Mais, si les parents offensés semblent, avec leur museau, former un bestiaire caricatural digne de Grandville, l'expression de la malheureuse Emi, dont on ne voit que les yeux de femme traquée, n'en est que plus pathétique. Le film assume un certain manichéisme : d'un côté le troupeau stupide, haineux et moraliste. De l'autre une femme intelligente et libre. Une « héroïne positive », bien plus convaincante que celle des anciens films de propagande communiste... La question de l'obscénité revient alors, différemment enveloppée. Des considérations pédagogiques, historiques, politiques s'échangent.
Mais Radu Jude ne veut absolument pas se prendre au sérieux. Il met à distance le tragique de son propos, en relativise la gravité par une mise en scène drolatique, puis un jeu avec la narration : il propose en effet trois fins possibles au choix du spectateur, devenu partie prenante de ce procès de moeurs. Et la dernière de ces fins possibles explose comme un feu d'artifice libertaire, extravagant, longtemps contenu. Alors Emi, en guerrière mythologique vengeresse, incarnera toute la colère du réalisateur, de l'artiste contre la bêtise, la violence, la médiocrité grégaire d'un monde, d'une engeance pour le coup radicalement obscène.
Pierre Corcos
corcos16@gmail.com
10-02-2022
 
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Verso n°136

L'artiste du mois : Marko Velk

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