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[verso-hebdo]
10-11-2022
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La chronique de Gérard-Georges Lemaire |
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Chronique d'un bibliomane mélancolique |
Les Amis de Proust, Georges Cattaui, préface de Jean-Yves Tadié, L'Herne, 192p., 17 euro.
Dans son intéressante préface, Jean-Yves Tadié s'interroge sur le fait qu'aussitôt après la mort de sa mère, Jeanne-Clémence Weil, en 1905, Marcel Proust n'a plus tenu d'album photographique ni pris le moindre cliché. Et il n'a plus conservé d'image de lui jusqu'en 1921, l'année précédant sa disparition. Il a fallu attendre 1956 pour qu'un chercheur s'emploie à réunir un certain nombre de clichés photographie de l'écrivain, des membres de sa famille et de son cercle amical. Le livre a paru chez l'éditeur suisse Cailler, nous permettant ainsi de rencontrer ce personnage qui sait non seulement faire des analyses très fines, mais écrit très bien et avec une grande clarté. Cailler à Genève sous le titre de Proust, documents iconographiques.
C'était une grande première. Depuis lors, on a peu à peu découvert Proust à différentes époques de sa vie et aussi ceux qui lui étaient proches. Mais l'idée de rééditer ce premier recueil est une bonne idée, car il a permis de découvrir l'auteur d'A la recherche du temps perdu et aussi quelques-uns de ses modèles (il ne s'inspirait jamais d'une personne, mais imaginait une figure à partir de différentes personnes. Georges Cattaui explique toute grande oeuvre crée sa légende et que cela peut prendre des années. Il s'est appliqué à montrer à quel point Proust a utilisé l'art de toutes les époques pour camper ses personnages en établissant une relation entre eux et un tableau de tel ou tel peintre. Il montre comment l'écrivain a une façon très particulière de traiter ses sujets : « Proust sait, comme Mallarmé, passer du grave au frivole et de la métaphysique à l'art du couturier. » Ce n'est pas une forme de désinvolture, mais une méthode pour camper une figure sous tous ses aspects. Notre cicerone parle à cet effet de « rayons humains indéchiffrables », mettant ainsi en relief l'ambition de l'auteur de faire naître une autre littérature. Il insiste sur sa conscience très vive de la brièveté de la vie et aussi sur l'omniprésence de la mort. Il explique toute la complexité du projet proustien, surtout en ce qui concerne la mémoire. Il a écrit sur cette question : « Isolée par l'oubli, flottante et détachée de tout, la remembrance involontaire -, éveillée en notre mémoire affective par la rencontre d'une sensation identique dans le passé et le présent - nous fait tout à coup respirer un air nouveau et nous donne un sentiment nouveau. » Il part sans cesse à la recherche des « souvenirs morts ». Ce principe modifie complètement la vision que nous pouvons avoir de l'oeuvre de Proust, qui semble reposer sur une philosophie de la mort. Cette longue et intéressante préface est une belle et subtile initiation à ce grand livre que Proust nous a laissé en héritage et redouble l'intérêt que nous pouvons avoir pour ce volume qui offre un répertoire iconographique des plus précieux, mais aussi des réflexions tout à fait judicieuses.
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Femmes remarquables du Moyen Âge, Janina Ramirez, Autrement, 376 p.
L'auteur nous rassure dans sa préface : elle n'a pas l'intention de réécrire l'histoire en la mettant au féminin. Ces derniers temps, nous avons été submergés d'événement (surtout des expositions) et des publications qui ont voulu nous démontrer que les femmes ont été exclues du monde des arts et même de l'histoire. Rien n'est plus faux. Il y a eu des injustices, c'est vrai, mais dans l'ensemble on retrouve un nombre considérable de figures féminines dans l'histoire de France, pour ne parler que de ce domaine, certaines d'entre elles ont même régné ! Et puis les romanciers se sont emparés de ces dames célèbres, comme l'a fait Alexandre Dumas et il n'a pas été le seul, loin s'en faut. Mais la mode actuelle a engendré un phénomène délétère, qui sépare chaque domaine en deux parties quasiment inconciliables ! A croire Janina Ramirez, on devrait réécrire l'histoire et - pourquoi pas ? - écrire une histoire masculine et une histoire féminine... La préface est plutôt confuse puisqu'elle part des premières suffragettes pour aller jusqu'aux haut Moyen Âge. Son point de départ est la découverte d'une tombe contenant des bijoux somptueux à Loftus.
On ne sait pas exactement à qui ils appartenaient. A partir de là, elle a commencé à nous dépeindre des reines inconnues du VI ou VIIe siècle. Mais nous ignorons également tout des rois de cette période dans les pays nordiques ! Nous découvrons alors la reine Ethelthryth à qui une femme, Bède, a attribué des miracles. Puis l'auteur nous fait découvrir le monde des monastères. Nous sommes désormais à l'époque carolingienne. On assiste à l'essor de ces institutions, qui seront mises à bas par les incursions vikings. L'examen détaillé des dames de Mercie peut nous donner une idée du rôle des femmes pendant cette phase de l'histoire. Certaines de ces reines ont joué alors un rôle prédominant dans la défense de leur pays menacé, comme cela a été le cas d'AEthelfæd.
En somme l'ouvrage s'est orientée vers la découverte de ces siècles précédant l'an Mille, dont nous ne connaissons, dans le meilleur des cas, que les grandes lignes. Janina Ramirez s'intéresse ensuite aux Vikings et démontre que nous véhiculons un nombre considérable de contre-vérités à leur encontre. Son travail est un singulier mélange d'histoire ancienne et de sociologie moderne, qui a pour ambition de proclamer la supériorité de la femme sur l'homme ! C'est plutôt bizarre et confus. On y trouve des références érudites très intéressantes, même si elles appartiennent à ces périodes historiques mal connues, et puis des considérations idéologiques qui sont celles de notre temps et qui contiennent une part de vérité, mais aussi une part d'absurdité. Je ne sais trop quoi conclure à propos des Femmes remarquables du Moyen Âge. Je pense que l'auteur aurait mieux fait de se limiter à un livre strictement historique, qui nous saurait fait découvrir comment les femmes ont pu avoir une fonction de premier plan dans ces royaumes qui ont ensuite disparu. Janina Ramirez en a fait un parcours bavard et pas toujours cohérent. Mais chez elle, le désir d'être à la mode a prévalu et cela a été sa perte, de mon point de vue.
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Le Parfait wagnérien et autres écrits sur Wagner, Bernard Shaw, édition et préface de Georges Liebert, traduit de l'anglais par Béatrice Vienne et Georges Liébert, Les Belles Lettres, 472p., 29 euro.
George Bernard Shaw (Dublin 1856-1950), est surtout connu pour son oeuvre théâtrale (nous avons pour la plupart en tête sa pièce intitulée Pygmalion). Mais nous ignorons le reste de ses écrits, à commencer par ses roman et tous ses essais politiques et critiques, littéraires, mais surtout sur la musique. Ce recueil est d'une dimension assez considérable et n'est qu'un choix de ce qu'il a pu dire sur Richard Wagner, pour lequel il nourrissait une passion sans borne. Dans sa préface très enrichissante, Georges Liébert souligne un fait curieux dans cette Angleterre triomphante : son absence de musiciens. Et cela était avéré depuis longtemps car ce pays a eu souvent recours à des étrangers comme Haydn ou Haendel, sans oublier Mendelssohn. Alors que l'Allemagne et l'Autriche offraient au monde une quantité impressionnante de grands compositeurs, de Beethoven à Brahms et à Schubert, l'Angleterre se révélait d'une incroyable pauvreté en la matière. Il en oublie de citer sir Edward William Elgar !
Il note néanmoins que ce pays a développé une musique populaire, qui sera à l'origine du music-hall, et que la grande musique a été plus véhiculée dans les jardins publics que dans les salles de concert, malgré l'existence d'orchestres de valeur. Et puis il y eut de nombreuses et plutôt remarquables chorales. C'est dans ce curieux contexte que Georges Bernard Shaw a commencé à publier régulièrement des articles critiques sur la musique contemporaine et cela jusqu'en 1894. Il continue à rédiger quelques papiers jusqu'en 1950. Il a toujours vu dans l'art musical un formidable moyen d'éducation. C'est sans nul doute la base de sa passion pour la critique. Il a découvert Wagner par hasard, quand une fanfare militaire est passée en interprétant la Marche de Tannhäuser.
A Londres, les premières oeuvres de Wagner que le public a pu entendre quand ce dernier est venu diriger un orchestre de la Société philarmonique en 1855 ont été largement décriées. On ne leur a trouvé aucune qualité. La reine Victoria et le prince Albert avaient demandé que soit joué de nouveau à leur intention Lohengrin. Ils ont été déçus (il faut ajouter qu'ils sont proches de Mendelssohn). En 1895, la revue The Meister a publié des extraits des écrits de Wagner (1813-1883) à partir de 1888. Shaw s'est empressé d'en conseiller la lecture. Il s'est rendu à Bayreuth, la première fois pour pouvoir écouter Parsifal (Wagner avait interdit qu'on jour ses compositions hors de ce lieu jusqu'en 1913). Il est revenu plusieurs fois. L'endroit l'a conquis malgré quelques défauts. Il rédige son premier article sur Wagner en 1877.
Il y relate tous les séjours que le musicien a fait depuis sa première visite en Grande-Bretagne. Il fait plus tard partager à ses lecteurs ses impressions lors du Festival Wagner qui s'est tenu en mai 1877 à l'Albert Hall. Puis suivent le compte rendu de tous les événements dont Wagner est le prétexte à Londres. Il commente aussi un petit livre du « musicien de l'avenir » sur la conduction d'orchestre dans le Pall Mall de 1887. Il fournit de multiples détails sur l'exécution de l'oeuvre traitée, décrivant la valeur d'un chef d'orchestre ou d'une cantatrice. L'ensemble de ses observations constituent une véritable campagne pour faire aimer la révolution wagnérienne. Sa ferveur ne s'altère jamais. Mais il se garde bien de ne pas tomber dans le défaut d'éloges immodérés. Il tient surtout à expliquer ce que ce compositeur allemand a l'espoir d'imposer en cette époque où s'achève la période dite romantique (à tort ou à raison) pour se diriger vers un autre horizon musical plus ambitieux encore.
En France, le wagnérisme a aussi ses émules. La société cultivée est divisée en deux camps. Certains ont poussé très loin leur amour sans frein pour cet art créé par un homme intransigeant, comme le délicieux peintre Henri Fantin-Latour, qui a renoncé à ses bouquets de fleurs et à ses natures mortes pour traduire les scènes des drames lyriques de cet Allemand qui est célébré comme étant l'expression la plus haute de la musique nouvelle. George Bernard Shaw a voulu être non le plus influent critique musical de Londres, mais le thuriféraire d'un seul et unique maître dont la cathédrale est désormais Bayreuth où un culte sans réserve lui est réservé de manière exclusive. Sous sa plume, nous devenons des élèves sages qui apprennent à écouter la musique selon des critères inédits et qui doivent tout savoir sur Tristan et Iseult ou sur Les Maîtres chanteurs. Et pour parvenir à convaincre ses lecteurs, il va jusqu'à comparer Wagner à Purcell. De plus, il maltraite de grands noms comme Brahms, considérant son Requiem comme étant « assommant ». Rien n'arrête plus cet homme qui ne saurait apprécier un autre genre de création musicale !
La disparition du grand homme n'empêche pas Shaw de continuer sa campagne de propagande. Il exalte ses opinions, expose ses théories. Ses articles sont chaque fois plus longs, plus détaillés, plus révérencieux. Ils font de chacun de nous des connaisseurs avisés et très documentés. Quand il se rend à Bayreuth, il scrute le plus infime détail et compare les différentes interprétations qu'il a déjà pu y entendre. IL est pris comme d'une transe qui lui rend inacceptables quelques défaits ou incongruités. Il demeure un inconditionnel, un pur laudateur, et un prédicateur dont la foi se renforce d'année en année.
En 1898, il a achevé la rédaction du Parfait wagnérien qui est un commentaire détaillé sur L'Anneau du Niebelung. Ce livre a connu un grand succès car il est réédité régulièrement (à chaque fois, Shaw rédige une nouvelle préface). Il s'agit ici d'une oeuvre considérable qui contient quatre parties, qui deviendront ensuite des opéras à part entière. Il fournit les clefs pour suivre les intrigues développées par Wagner dans L'Or du Rhin, scène par scène, avec un grand luxe de détails, et, une fois encore, il explique en quoi ce musicien s'est affirmé un authentique révolutionnaire. Chacune de ses parties est examinée avec minutie et aussi avec un grand souci pédagogique.
Les sujets tirés de la mythologie germanique sont exposés avec le plus grand soin car étrangers à la culture anglaise. Shaw se révèle très habile dans ce genre de démonstration et sa patience est louable. Mais cela ne l'empêche nullement de faire des remarques plus élaborées de caractère religieux ou philosophique. Il ne tient pas à « vulgariser » le projet wagnérien. Il se révèle également très doué dans sa manière de nous exposer les grands traits de la musique. A la fois pédagogue de premier ordre, Shaw a été en mesure de faire partager sa passion sans limite pour ce créateur qui a voulu changer le cours de l'art musical pendant la seconde moitié du XIXe siècle. C'est un livre qui n'a en rien perdu de sa force et de sa fraîcheur.
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Anthropology, Luigi Manciocco, Civiche Raccolte d'Arte Palazzo Marliani Cicogna, Busto Arsizio, 72 p.
Luigi Manciocco est un artiste qui n'aime pas parler de son existence hors du champ de la connaissance et de l'art. Son existence, selon ses critères, commence en 1984 quand il expose un volume intitulé La parola e il segno qui est présenté par Giorgio Bassani, l'auteur, entre autres, du Jardin des Finzi Contini.
A Partir de 1985, il se consacre à l'anthropologie d'une part et, de l'autre, à l'art. A partir de cette époque à New York, il a participé à un nombre impressionnant d'expositions collectives. Il a rencontré Carlo Levi, avec qui il a eu des rapports étroits. Puis il a connu un grand nombre de personnages importants de la littérature et du monde de l'art. Il a collaboré à de nombreuses publications, et a été le correspondant à Rome de la revue newyorkaise Artspeak.
Sa première exposition personnelle a lieu à New York en 1990 à l'Atlantic Gallery. Là, il tient à mettre en avant sa fascination obsédante pour la couleur blanche. Toute son oeuvre va d'ailleurs sur un certain nombre de clefs qui se répètent sans cesse, comme, par exemple, les abeilles. Chaque objet a pour lui une signification ésotérique et aussi exotérique. Mais l'une ne saurait aller sans l'autre. De surcroît, il voue une grande admiration pour Yves Klein, qu'il ne considère pas comme un maître à penser, mais comme un maître dont l'enseignement lui permet de progresser sur un chemin qui lui est personnel.
De même, il ne s'inspire par du Carré blanc sur fond blanc de Malevitch, ni des oeuvres de Lucio Fontana, ni encore des toiles de Manzoni. Il considère que le blanc est un univers chromatique en soi et pour soi. Il introduit parfois d'autres éléments de couleurs comme le sang de sainte Rita, qu'il est allé chercher dans les recherches extravagantes d'Yves Klein. Et chaque fois, une forme est extrapolée pour en extrapoler la densité et l'essence. Le sang de la sainte, cette goutte imperceptible qui glisse sur la matière peinte en blanc dans son microcosme, est vraiment l'introduction de la notion d'altérité dans un contexte mystique.
Mais il recherche surtout (et il le souligne dans on texte) quel est le lien véritable entre l'artiste niçois et cette sainte si vénérée et pourtant quasiment laïque. L'installation où figure le poupon déshabillé possède quelque chose d'énigmatique. En dépit de l'extrême sobriété de son langage, Luigi Manciocco parvient à nous plonger dans une sorte de zone trouble, un peu effrayante, limbaire où tout devient une question. Dans ce catalogue (bilingue), le lecteur pourra se faire une première idée de cette quête qui est à la fois d'une grande modernité et pourtant liée aux croyances et aux mystères de périodes révolues. Luigi Manciocco sait les faire revivre avec le langue plastique qui est le sien et leur redonne une existence et une puissance nouvelles. C'est un artiste que nous devrons suivre avec la plus grande attention.
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Gérard-Georges Lemaire 10-11-2022 |
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Verso n°136
L'artiste du mois : Marko Velk
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